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Des permanences

Dans la première moitié du XIXème siècle, le monde médical s’intéresse beaucoup à la grossesse et à son déroulement. Les mécanismes de la fécondation, du développement du fœtus et leurs conséquences sur l’organisme sont de mieux en mieux connus, ce qui permet au diagnostic de la grossesse de s’affiner au cours du temps. Un certain nombre d’ouvrages ou de thèses de médecine sont d’ailleurs consacrés à ce sujet, surtout dans la première moitié du siècle391

. Dans les ouvrages d’obstétriques plus généraux, le nombre de pages traitant de ce point reste important, mais son importance relative diminue392. L’approche est aussi plus pragmatique et rationnelle qu’à l’époque moderne. Dans une volonté parfois encyclopédique, les praticiens recensent parfois tous les indices de grossesse évoqués dans la tradition médicale, la quarantaine de signes étant souvent dépassée, mais leur nombre ne permet pourtant pas toujours de lever les incertitudes393.

Malgré des remises en cause, les signes de la conception fertile, hérités de l’Antiquité, sont encore évoqués dans les ouvrages médicaux de la première moitié du XIXème siècle, en particulier dans les thèses de médecine. On peut penser que les futurs médecins, soucieux de faire preuve de leur érudition et peu enclins à rompre avec la tradition pour ne pas décevoir le jury, ont cherché à être exhaustifs dans l’énumération des signes jusque-là recensés. Ils continuent donc à colporter ces symptômes classiques, en indiquant quand même la plupart du temps leur désuétude. Mais ces signes se rencontrent aussi dans des ouvrages qui font davantage autorité. Ainsi, le docteur Murat dans le

Dictionnaire des Sciences médicales en 1817, dans sa volonté d’être complet, reprend tous ces signes

datés : « Au moment de l’imprégnation », indique-t-il, on observe « une décomposition dans les traits de la femme », « le nez, dit-on s’allonge, l’ouverture de la bouche est plus grande » « le battement des artères est perceptible », « depuis Démocrite, on a donné comme signe de conception le gonflement du cou », etc.394. On ne sait jusqu’à quel point ces signes sont encore réellement pris au sérieux. Par contre, une importance particulière reste accordée au plaisir ressenti pendant le coït ainsi qu’au frisson ou tressaillement général, qui se distingue de l’orgasme lui-même. Entre l’abandon de la théorie de la double semence et la victoire de la croyance en l’ovulation spontanée, les médecins cherchent toujours à discerner les signes de conception et beaucoup restent persuadés qu’un ensemble de sensations voluptueuses permettent de repérer le moment de la fécondation. L’évolution des connaissances n’a donc pas immédiatement abouti à la dévalorisation du rôle des émotions et sensations féminines dans l’union charnelle395

. Ces signes de la conception fertile finissent cependant par disparaître dans le courant du XIXème siècle, rangés au rang des superstitions, notamment à cause de la découverte de l’ovulation spontanée dans les années 1840396

. Cependant, les représentations traditionnelles perdurent bien plus tard dans le XIXème. On en trouve la trace dans le Traité théorique et pratique de

l’art des accouchements de Cazeaux, qui date de 1840 mais est encore réédité en 1874397

. Celui-ci a beau avoir été réactualisé sur un certain nombre de points pour tenir compte des découvertes scientifiques récentes, il reprend encore ce type d’affirmation :

Tous ces signes [antiques] n’ont que peu ou pas de valeur. Je place bien avant eux la sensation plus voluptueuse, l’éréthisme plus général qu’éprouvent certaines femmes pendant le coït fécondant, et auxquels quelques unes reconnaissent presque d’une manière certaine qu’elles sont devenues enceintes398.

391 Voir la présentation des sources au début de cette partie, p. 177.

392 C’est surtout la médecine légale qui se préoccupe alors de ces questions.

393 Voir le tableau reproduit dans les annexes, pp. 1083-1084.

394 Murat, article « Grossesse », art. cit., dictionnaire Panckoucke, 1819, pp. 370 et sq.

395 Corbin (Alain), L’harmonie des plaisirs…, op. cit., p. 79.

396 Gafé souligne ainsi « Pour réfuter ces opinions, il suffit de faire remarquer que la fécondation et le coït ne sont nullement simultanés et que la fécondation est postérieure au moins de quelques heures, sinon plus, au coït (…) il est impossible d’en préciser, même approximativement, l’instant », Gafé (H.), De l’exploration…, op. cit., 1884, Chap. III.

397 Cazeaux (Paulin), Traité théorique et pratique…, op. cit., 1874.

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Quant aux signes précoces de grossesse, certains sont encore mentionnés au début du XXème siècle, notamment sous la plume de Bouchacourt. Tout en prenant ses distances avec la tradition hippocratique, il manifeste sa volonté de vérifier la validité de certains signes tenant au changement de l’aspect extérieure de la femme. Ainsi, à propos du gonflement du cou évoqué depuis Démocrite, il prend appui sur les travaux de Lange concluant à l’hypertrophie gravidique du corps thyroïde. Ce dernier aurait une plus grande activité pendant la grossesse, du fait de la surproduction de toxine, ce qui expliquerait le gonflement du cou. Il évoque aussi la modification des yeux, le nez qui s’effile et la pâleur du visage, relatés depuis Hippocrate, en soulignant : « Ces signes sont plus subjectifs qu’objectifs (…) sauf les modifications qu’on observe du côté de la peau, qui perd sa fraîcheur et se recouvre parfois d’un granité jaunâtre. Généralement, la surface cutanée devient d’un blanc mat et comme laiteux, sauf pour les brunes où elle est plus foncée ».399 Il ne s’agit donc plus de colporter par tradition les signes classiques de l’Antiquité, mais de valider par une approche scientifique certaines observations des médecins du passé.

Evolution des signes de grossesse au XIXème siècle

Les signes de la grossesse sont abordés de manière plus organisée qu’à l’époque moderne. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, certains médecins continuent d’adopter la classification ancienne qui distingue signes rationnels et signes sensibles de la gestation. C’est le cas de certains dictionnaires médicaux400, ou de quelques ouvrages ou thèses de médecine401. Cazeaux reprend également cette classification et fait un tableau élaboré et très complet, mois par mois, de ces deux types de signes de grossesse402. D’autres cependant, comme Dubois403 ou Pinard, pensent que tous les signes n’ont pas la même valeur et que leur importance varie en fonction de l’époque de la grossesse404. Ils distinguent d’abord les signes de présomption, qui sont les signes rationnels classiques indiquant des modifications fonctionnelles dans l’organisme maternel et qui interviennent principalement dans les trois premiers mois de grossesse. Ces signes sont pour la plupart notés par la femme, et comme ils peuvent se rencontrer hors de la gestation, ils ne permettent pas de certitude ; ils ne sont révélateurs que lorsqu’ils sont associés. Dans un deuxième temps, ils discernent les signes de probabilité, permises par les sens, qui se distinguent surtout à partir de la fin du troisième mois et qui concernent le corps de la femme. Enfin, ils évoquent les signes de certitude, plus tardifs, qui sont des signes sensibles se rapportant au fœtus lui-même et qu’on reconnaît grâce aux nouvelles méthodes d’exploration405. Cette dernière catégorie de signes témoigne de l’assurance prise par les praticiens masculins de la naissance depuis le XVIIIème siècle et qui pensent pouvoir faire état de signes incontestables. Mais comme le souligne Jürgen Schlumbom,

399 Bouchacourt (Léon), Le diagnostic de la grossesse…, op. cit., 1906.

400 C’est le cas de :

- Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, des sciences accessoires et de l'art vétérinaire dir. par

P.-H. Nysten, 12ème édition, Paris, J.-B. Baillère.

- Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, de l'art vétérinaire et des sciences qui s'y rapportent... 13ème éd., revue par E. Littré et Ch. Robin, Paris, J.-B. Baillère, 1873.

401 Gardien (Claude-Marie), Traité d’accouchements, des maladies des femmes, de l’éducation médicinale des

enfants et des maladies propres à cet âge, Paris, 1807, 4 t. ; Dugès (Antoine-Louis), Manuel d’obstétrique, ou précis de la science et de l’art des accouchements, Paris, Gabon et Cie, 1826 ; Casassus (Jean-Baptiste), Des signes de la grossesse…, op. cit., 1860.

402 Voir dans les annexes la reproduction de ces tableaux, pp. 1071-1073.

403 Dubois (Paul-Antoine), Pajot (Charles-Marius-Edme), Traité complet de l’art des accouchements, op. cit., t. 2.

404 Cette classification est toujours en vigueur aujourd’hui. Les thèses de médecine l’adoptent, pour certaines dès les années 1820, mais de manière plus systématique à partir des années 1850. On la retrouve également ailleurs en Europe ; voir le Précis d’obstétrique (1802) du Pr Osiander de la maternité de Göttingen cité par Schlumbohm (Jürgen), « Les limites du savoir… », art. cit., pp. 3-4. Osiander distingue deux catégories de signes de grossesse ; les signes incertains et trompeurs, et les signes certains.

405 Voir le tableau récapitulatif dans les annexes de ces signes selon ce mode de classement.

Pinard distingue quatre signes de certitude : les mouvements passifs reconnus par l’interrogatoire et le ballottement abdominal et vaginal, les mouvements actifs, les battements du cœur, la perception directe de l’œuf par le toucher lorsque le col est entrouvert ; Pinard (Adolphe), article « Grossesse », art. cit., dictionnaire Dechambre, 1886.

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La différence avec les signes incertains tient moins à la netteté ou l’imprécision de la sensation qu’au sujet qui la perçoit ou « pense l’avoir ressentie » : tous les signes certains sont constatés par l’accoucheur et par lui seul ; quant aux signes incertains, la plupart d’entre eux ne peuvent être notés que par la femme, tandis que le médecin, en règle générale, n’en a connaissance qu’à travers son témoignage406.

Mais cette certitude reste cependant à nuancer ; elle ne se manifeste que dans la deuxième moitié de la grossesse et dans des cas rares, certains signes peuvent ne pas s’observer malgré la présence d’un fœtus ou passer inaperçus à cause de circonstances contre nature.

Les signes rationnels n’évoluent guère pendant le XIXème siècle. Cependant, la suppression des règles est enfin reconnue comme « un signe capital de la grossesse »407. Ribemont-Dessaignes et Lepage considèrent maintenant que l’aménorrhée pendant la grossesse est « la loi générale, presque sans exception ». Pinard affirme même qu’il n’a pas « observé une seule fois la persistance des règles chez une femme enceinte », ce qui est bien différent du point de vue qui prévalait un siècle plus tôt408. Pour le reste, on retrouve toujours les signes classiques : l’augmentation du volume de l’abdomen avec saillie du nombril, le gonflement et la tension des seins, le développement et la coloration plus foncée du mamelon, les mouvements du fœtus, l’anorexie, le dégoût ou les appétits dépravés, les nausées et les vomissements, mais aussi les troubles des facultés intellectuelles et morales.

La nouveauté au XIXème siècle vient surtout de l’appréhension de nouveaux signes sensibles. En effet, les médecins disposent de moyens d’investigations tout neufs qui font progresser le diagnostic. Jacquemier, en 1846, est le premier à consacrer, dans son traité d’obstétrique, un chapitre aux différents modes d’exploration employés pour constater la grossesse :

Pour recueillir les signes relatifs à la grossesse et à l’accouchement, on emprunte à la pathologie générale ses divers modes d’exploration. Ceux qui se rapportent aux organes génitaux, au bassin et à l’abdomen deviennent indispensables et constituent d’une manière plus spéciale l’exploration obstétricale qui ne se borne pas aux différentes manières de pratiquer le toucher409.

On observe qu’à cette époque, les principaux signes de grossesse se concentrent surtout sur l’utérus, alors qu’à l’époque moderne, l’ensemble du corps était davantage concerné410

.

La vue est davantage utilisée pour diagnostiquer la grossesse, car un nouveau moyen d’exploration des organes génitaux est diffusé, le speculum, réintroduit par Récamier au début du XIXème siècle411. Son utilisation est parfois contestée412 mais des médecins comme Jacquemier et Chailly s’y intéressent413. Ils notent que pendant la grossesse la coloration de la muqueuse du vagin et du col de l’utérus devient violette-bleue et ils en font un signe de présomption majeur du diagnostic de

406 Schlumbohm (Jürgen), « Les limites du savoir… », art. cit., p. 4.

407 Bouchacourt (Léon), Le diagnostic de la grossesse…, op. cit., 1906, Chap. III : « Diagnostic d’existence de la grossesse », pp. 19 et sq.

Pour Jacquemier : « Pour la plupart des femmes, comme pour le médecin, le premier phénomène qui fait ordinairement présumer la grossesse est la suspension de l’écoulement menstruel (…). Ce phénomène, bien interprété, a pour le diagnostic de grossesse une valeur séméiologique d’une grande importance (…). Lorsqu’une femme habituellement réglée régulièrement, bien portante et dans les conditions de concevoir, cesse d’avoir ses menstrues sans causes accidentelles ou autres appréciables, il est probable qu’elle est enceinte », Jacquemier (Jean-Marie), Traité complet des accouchements naturels, non naturels et contre nature, Paris, Baillière, 1846, p. 217.

408 Pinard (Auguste), article « Grossesse », art. cit., dictionnaire Dechambre, 1886.

409 Jacquemier (Jean-Marie), Traité complet des accouchements…, op. cit., 1846.

410 « Les signes véritablement diagnostiques se tirent de l’utérus, qui cesse d’être le siège de l’écoulement menstruel, des changements survenus dans sa forme, son volume et sa situation », Jacquemier (Jean-Marie),

Manuel des accouchements…, op. cit. 1849, p. 214.

411 Appareil existant dans l’Antiquité, puis dont l’usage s’était perdu. On le trouve sur les planches du traité d’Ambroise Paré au XVIème siècle mais on doute qu’il s’en soit vraiment servi ; voir Lafaye (Michel), Histoire

du diagnostic de la grossesse…, op. cit. p. 52.

412 Carol (Anne), « L’examen gynécologique en France… », art. cit., p. 58.

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grossesse. Cependant, l’utilisation du spéculum ne se diffuse vraiment que dans la deuxième moitié du XIXème siècle :

Il n’y a pas très longtemps que les chirurgiens se sont familiarisés avec l’application du spéculum chez les femmes enceintes. Justement effrayés de l’influence fâcheuse que pouvait avoir l’introduction répétée de cet instrument, ils n’avaient pu se faire une idée exacte de l’état du col aux diverses époques de la gestation. Disons toutefois que ces craintes étaient un peu exagérées, et qu’introduit avec prudence, le spéculum ne produit jamais d’accidents sérieux. C’est dans tous les cas le spéculum à deux valves ou à quatre valves qui me paraît préférable. (…) il suffit d’écarter un peu les valves de l’instrument pour voir le museau de tanche414. L’examen des seins est aussi plus poussé et les descriptions s’affinent, notamment dans les années 1840 grâce à Mongomery. On repérait déjà depuis longtemps l’élévation et la coloration de l’aréole qui fonce, mais on note maintenant l’apparition vers le quatrième mois sur l’aréole de petits tubercules papillaires, signes de grossesses infaillibles pour Mongomery415. Cependant, Dubois et Cazeaux contestent la fiabilité de ce symptôme.

Autre mode d’exploration du corps, le toucher vaginal se banalise au XIXème

siècle, mais il est longtemps mal employé et limité au simple toucher vaginal à un doigt. En outre, les modifications du col de l’utérus qu’il permet d’appréhender ne sont toujours pas jugées significatives d’une grossesse, même à la fin du siècle. Pinard fait état d’opinions encore dissemblables sur la question. « Aujourd’hui encore, la science ne paraît pas définitivement fixée »416, indique-t-il. Quant au palper bimanuel, il est encore rarement pratiqué au début du siècle, malgré les recommandations de Baudelocque.

« Toucher en position horizontal », dans Maygrier (Jacques-Pierre), Nouvelles démonstrations d’accouchements, 1822, pl. 30 (lithographie, dessinateur Chazal Antoine, graveur Chouché fils)

Dans les années 1830, le chirurgien Velpeau donne de nouvelles consignes qui font école pendant une cinquantaine d’années, et remet en vigueur le toucher abdominal (au dessus des os du pubis). Les deux touchers combinés permettent, d’après les médecins, de faire un diagnostic de

414 Cazeaux (Paulin), Traité théorique et pratique…, op. cit., 1874, p. 456.

415 Ces petites glandes portent d’ailleurs aujourd’hui son nom.

416 Dumoret (Paul), Difficultés du diagnostic…, op. cit., 1897.

Pour Bouchacourt, cependant, le col de l’utérus subit des modifications significatives : le col utérin s’abaisse, il se ramollit, l’orifice externe du col a une forme circulaire et un bouchon muqueux se met en place ; Bouchacourt (Léon), Le diagnostic de la grossesse, op. cit., 1906.

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grossesse vers la douzième semaine et de repérer deux signes essentiels : les mouvements actifs et passifs du fœtus et son ballotement dans l’utérus.

« Toucher pour exécuter le ballottement » (détail), dans Maygrier (Jacques-Pierre), Nouvelles démonstrations

d’accouchements, 1822 pl. 31 (lithographie, dessinateur Antoine Chazal, graveur Couché fils)

Le toucher est aussi utilisé pour d’autres raisons pendant la grossesse car il permet aussi d’apprécier la présentation de l’enfant, le volume fœtal et la largeur bassin, essentiels en vue de l’accouchement. Le toucher anal est parfois évoqué par les accoucheurs, mais comme un moyen supplémentaire et beaucoup plus limité que le toucher vaginal. Seul Velpeau le préconise à cette époque. Pour Jacquemier, Cazeaux, Chailly ou Lafargue, son emploi ne doit être qu’exceptionnel417.

La percussion est également utilisée comme un moyen auxiliaire pour dissiper les incertitudes. Elle permet de reconnaître les viscères pleins des creux et de reconnaître la forme et les limites de l’utérus. Les progrès et la nouveauté au XIXème siècle sont surtout issus de l’auscultation. Certes, des accoucheurs ont su distinguer, dès 1630-1640, « le souffle utérin » à travers les parois abdominales d’une femme enceinte418, mais cette observation est accidentelle et n’entre pas dans les examens classiques pratiqués pendant la grossesse. L’utilité de l’auscultation dans les maladies du poumon est démontrée par Laennec (1781-1826). Un médecin suisse, Mayor (1775-1847), entend le bruit du cœur de son fils en voie de naître en collant directement son oreille contre l’abdomen de son épouse ; mais sa découverte, publiée en 1818, n’est pas diffusée. En 1818, les premiers essais d’auscultation indirecte du cœur fœtal à l’aide d’un stéthoscope sont expérimentés par Jacques-Alexandre Lejumeau, vicomte de Kergaradec (1787-1877). En 1823, il publie sa découverte dans Mémoire sur l’auscultation

appliquée à l’étude de la grossesse où ildécrit les deux bruits qu’on entend dans le ventre d’une

femme enceinte419 : un bruit de souffle, dont l’interprétation pose longtemps problème, et le bruit du

417 Lafargue (P.C.), Du diagnostic…, op. cit., 1847.

418 Jacques Gélis évoque le cas des médecins limousins Lussaud, Marsac et Le Goust qui comparent ce bruit au tic tac du moulin, dans Gélis (Jacques), L’arbre et le fruit…, op. cit., pp. 113-114.

419 « Madame L. touchait au terme de sa grossesse. Un jour que je m’attachais à suivre les mouvements du fœtus, je fus frappé tout à coup d’un bruit auquel jusqu’alors je n’avais fait aucune attention : il me sembla entendre qu’une montre placée très près de moi me faisait entendre des battements. J’éloignais mon oreille de la parois de l’abdomen, aussitôt le bruit cessa complètement. Je crus d’abord à une illusion de l’ouïe ; mais m’étant approché de nouveau le même bruit se fit entendre. L’expérience, plusieurs fois réitérée, fournit constamment le même

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cœur du fœtus. La perception de ce dernier est très caractéristique car rapide (entre 120 et 150 pulsations par minutes), asynchrones au pouls de la mère et irrégulier. Cependant, cette découverte ne connait guère de succès en France à ses débuts, certains allant jusqu’à nier l’existence de bruits fœtaux. Elle intéresse cependant plusieurs obstétriciens allemands qui répandent ensuite la méthode dans toute l’Europe420.

Autre mode de détection de la grossesse, l’examen des urines, promis à un brillant avenir, est également réactualisé au XIXème siècle mais sans succès encore très probants. En effet, en 1840, des scientifiques français, notamment Nauche, pensent avoir découvert une caractéristique essentielle de l’urine de la femme enceinte. Dans celle-ci, laissée à température ambiante, finit par se former une pellicule blanchâtre causée par la présence d’une substance baptisée kyéstéine421. Certains, comme Cazeaux, sont convaincus et y voient un signe infaillible ; d’autres, comme Chailly, n’y croient pas. Des théories concurrentes utilisant les urines se développement aussi, mais leur portée reste limitée en