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A VOIR DES ENFANTS , UNE IMPERIEUSE NECESSITE Une nécessité collective

Au XIX ème siècle

A. A VOIR DES ENFANTS , UNE IMPERIEUSE NECESSITE Une nécessité collective

Dans les sociétés traditionnelles, la fécondité et une nombreuse descendance sont vues de manière positive. Avoir des enfants est une évidence car ils incarnent la pérennité, les naissances assurant la permanence du cycle vital et la relève de l’espèce et de la communauté. Elles permettent de maintenir l’équilibre entre le nombre des bouches à nourrir et le nombre de bras capables de travailler. Dans cette conception cyclique de la vie, la mort n’est qu’une étape et avoir des enfants permet de continuer la chaîne de la vie. On y voit aussi une forme de circulation des esprits des ancêtres qui s’incarne à chaque génération dans de nouveaux corps205. Aujourd’hui, les psychologues distinguent le projet, le désir et le besoin d’enfant, mais les individus des sociétés traditionnelles ignorent ces distinctions subtiles206. Projet et désir d’enfants n’ont pas à s’exprimer verbalement car ils vont de soi et sont inclus dans l’union de l’homme et de la femme. Le désir et l’attente des enfants sont d’ailleurs collectifs, pas seulement individuels ou propres au couple. On n’a pas des enfants pour soi mais pour sa famille, sa parenté.

Avoir une progéniture correspond en effet à des besoins fondamentaux pour chacun des groupes sociaux. Pour les pauvres, avoir des enfants est une projection concrète sur l’avenir. Comme dit le proverbe « enfants sont richesse de pauvres gens »207 car ils fournissent très tôt une force de travail indispensable et ils constituent une assurance pour les parents trop âgés pour travailler. Pour les riches et les puissants, les enfants renforcent la lignée et permettent à celle-ci de durer dans le temps. L’héritier perpétue le nom et le patrimoine ; les cadets permettent l’insertion de la famille dans les grands corps de la société : Eglise, armée, magistrature. Même les filles, malgré la charge financière que représente leur dot, apportent les alliances profitables à leur famille.

En outre, il est nécessaire autrefois de mettre au monde de nombreux enfants pour compenser l’énorme mortalité infantile. Malgré des différences notables selon les périodes et les régions, retenons que, jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, la moitié des enfants n’atteint pas son dixième anniversaire208.

204 Houbre (Gabrielle), La discipline de l’amour…, op. cit., pp. 161-162.

205 Gélis (Jacques), La sage-femme ou le médecin…, op. cit.

Id., L’arbre et fruit…, op. cit.

206 Knibiehler (Yvonne), Fouquet (Catherine), Histoire des mères…, op. cit. ; Knibiehler (Yvonne) « Désir d’enfant » dans Le Roc de la maternité, Etudes freudiennes, 32, nov. 1991, pp. 143-157.

207 Flandrin (Jean-Louis), Familles…, op. cit.

208 La mortalité infantile est particulièrement difficile à calculer autrefois, en raison de l’absence ou de l’irrégularité de l’enregistrement des enfants mort-nés pendant l’accouchement ou dans les jours qui suivent la

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Pour que deux ou trois enfants parviennent à l’âge adulte, il est donc nécessaire d’en mettre au monde au moins deux fois plus. Après chaque crise de mortalité sous l’Ancien Régime, on remarque d’ailleurs une forte reprise de la fécondité, comme si une pulsion de vie poussait les survivants à faire des enfants pour réparer les dégâts causés par la mort.

Désir de grossesse

Puisque la maternité est considérée comme un devoir et la vocation « naturelle » des femmes, celles-ci manifestent souvent le désir d’être enceinte rapidement après leur mariage209. Ainsi, Suzanne Necker, la femme du célèbre ministre de Louis XVI, mariée le 30 septembre 1764, s’inquiète vite de n’être pas encore enceinte : « Mariée depuis huit mois, écrit-elle à son amie madame Puthod le 9 juillet 1765, je n’ai pas une apparence de grossesse, cette idée me harcèle car j’aime mon mari à la passion, et si je meurs sans enfant il faudra que je le laisse en proie à des héritiers avides, ou qu’une autre… je ne puis achever »210. On perçoit l’idée qu’un enfant doit naître pour incarner l’intensité du lien entre les époux et le resserrer davantage. Mme Necker imagine aussi déjà les conséquences dramatiques de sa mort si elle n’a pas d’enfant.

La correspondance de la marquise de Bombelles, née Angélique de Mackau, et de son époux Marc, marquis de Bombelles, montre également une attente impatiente de la première grossesse211. Leurs fonctions respectives – elle comme suivante de Mme Elisabeth à la cour de Versailles, et lui en tant qu’ambassadeur à Ratisbonne – les tiennent pour de longs moments éloignés l’un de l’autre, ce qui suscite une abondante correspondance, exceptionnellement conservée212. Mariés le 17 janvier 1778, leur union se transforme vite en mariage d’amour et Angélique souhaite très vite être enceinte. Sa correspondance témoigne de cet empressement quasi obsessionnel ; elle fait part du moindre espoir de grossesse à son mari, plusieurs fois à tort213. Son mari la rassure et en plaisante : « Tu avais l’exemple du courage héroïque avec lequel j’appris à Wörth la mort de mon fils aîné »214

. Angélique essaye de ne pas s’enthousiasmer trop vite, mais chaque espoir déçu la désole un peu plus, même si au début elle tente de faire bonne figure. En mars 1778, elle indique :

Je vous dirai pour nouvelles que je ne suis pas grosse, mes règles m’ont prise samedi au soir. J’en ai été bien aise et fâchée. J’aurais eu sans doute bien du plaisir à avoir un petit marmot que j’aurais bien aimé puisqu’il aurait été votre fils, mais peut-être ma santé s’en serait-elle altérée au lieu que je vais prendre de la force et lorsque je deviendrai grosse je n’aurai plus aucune inquiétude215.

Quand elle fait part à son mari d’une nouvelle déception, dans la lettre du 28 octobre 1778, elle a du mal à cacher sa peine :

Je ne sais pas où m’y prendre pour te dire une chose qui me fait de la peine et qui t’en fera peut-être aussi : c’est que je ne suis pas grosse, mes règles m’ont prise avant-hier. J’en ai eu du

naissance. Toutefois, l’échantillon, tiré de l’enquête de 1958 de l’INED, permet de calculer les quotients plus ou moins corrigés de mortalité infantile de la population d’Ancien Régime. Ces quotients sont très variables selon les régions ; la plupart étant compris entre 200 à plus de 300 pour mille. Ainsi à Samouillan en Haute-Garonne, le quotient de mortalité infantile est de 107 pour mille, il atteint 394 à Vic-sur-Seille en Moselle ; Beauvalet (Scarlett), La population française à l’époque moderne. Démographie et comportements, Paris, Belin, p. 310.

209 Comme le souligne Yvonne Knibiehler, même aujourd’hui où la maternité n’est plus un impératif de la vie des femmes mais reste socialement très valorisée, le désir d’enfant « enraciné dans le corps et le cœur des femmes, est un des plus exigeants qui soient » ; Knibiehler (Yvonne), La sexualité et l’histoire, op. cit., p. 11.

210 Béatrice D’Andlau, La jeunesse de Mme de Staël, Paris-Genève, Librairie Droz, 1970, p. 17.

211 Bombelles (marquise et marquis), « Que je suis heureuse d’être ta femme », lettres intimes, 1778-1782, présenté et annoté par Evelyne Lever, Paris, Tallandier, 2009.

212 Le départ précipité du couple après les journées de juillet 1789 ne leur a pas permis d’emporter avec eux leur correspondance. Elle fut saisie et conservée aux Archives départementales des Yvelines, longtemps ignorées et inédites. Le travail d’Evelyne Lever et d’étudiants de maîtrise de Paris IV Sorbonne a permis la publication récente d’une partie de ces lettres qui forment un rare témoignage de la vie privée d’un couple noble de la fin du XVIIIème siècle en France.

213 Voir les détails sur ce point dans le chapitre II (sur le diagnostic de grossesse).

214 La marquise avait déjà probablement annoncé à tort un espoir de grossesse à son mari ; Bombelles (marquise et marquis), « Que je suis heureuse d’être ta femme »…, op. cit., lettre de Marc à Angélique de Bombelles, 6 novembre 1778, p. 102.

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chagrin mais j’ai fait beaucoup de réflexions qui m’ont un peu consolée. Lorsque je saurai que tu en as pris ton parti je le serai tout à fait, mais j’ai été assez bête pour imaginer que cela diminuerait un peu l’intérêt que tu prendrais à moi. Cette idée-là m’a fait pleurer. Ensuite je me suis reprochée mon injustice et je me suis grondée d’avoir pu croire que mon chat m’aimerait moins parce que je n’étais pas grosse. Il me semble que je suis tout à fait isolée. Cette idée de grossesse m’occupait malgré moi, me rapprochait davantage de toi. Depuis que je sais que je ne le suis pas, ton absence m’attriste encore plus216.

Toujours inquiète et déçue, elle ajoute le 11 novembre : « Je suis bien fâchée de n’être pas grosse car, malgré tous tes raisonnements, j’entrevois que cela t’aurait fait un grand plaisir ; je suis sûre que tu auras été aussi affligé que moi quand tu auras appris que je ne l’étais pas »217. On mesure à ces propos l’importance de la grossesse à ses yeux. Il ne s’agit pas seulement d’accéder au statut envié d’épouse accomplie et de mère, mais aussi de matérialiser l’amour conjugal qui unit les deux époux ; elle souhaite d’ailleurs un fils qui serait une autre image de l’être aimé. On sent également la peur de décevoir son mari si elle ne lui donne pas rapidement un héritier. Enfin, l’idée même de grossesse lui est chère dans sa solitude ; le fait de porter un peu de son mari en elle, alors qu’il est si loin, constitue un gage de réconfort et la rapproche de lui. Son mari fait cependant preuve de beaucoup de compréhension et tempère l’impatience de son épouse. En effet, âgée d’à peine seize ans, il la trouve encore un peu jeune pour être mère. Pour l’aider à surmonter sa peine, il lui confie même qu’il souhaiterait différer cette première maternité afin qu’elle profite un peu de sa jeunesse et se renforce physiquement :

Loin d’être affligé de ce que tu ne sois pas grosse, je t’avoue que rien ne pouvait m’aider plus efficacement à supporter ton absence qu’en apprenant que tu ne souffriras pas, que tu pourras jouir de tout, que l’exercice à cheval que tu aimes ne t’es plus interdit. Je sens comme je le dois à la délicatesse de ton sentiment, le charme de tout ce que tu me dis que t’eût été l’enfant que tu croyais porter dans ton sein, mais tu n’en aimeras pas moins ton mari, n’étant pas enceinte, et tu prendras des forces qui te serviront un jour plus utilement.

Pour moi, je trouve dans tout ceci mon honneur aussi bien gardé que mon cœur est satisfait. On a su les doutes de ta grossesse, on a vu tes désirs, de là on a conclu que je m’étais bien conduit, que ma conduite t’avais plu et que j’étais un très heureux mari. Je ne serais revenu près de toi que pour te voir souffrante, peut-être aurais-tu toujours persisté dans le désir de nourrir ton enfant, alors plus de permission de me bien conduire, alors comme Tantale au milieu des plus douces eaux, j’aurais eu bien des sacrifices à faire ; le ciel, plus clairvoyant que nous, a ménagé ton âge. Après avoir gémi d’une cruelle absence, je te retrouverai plus sensible à l’amour que tu le fus jamais. Je te rappellerai ce souhait si flatteur que tu fis d’avoir un enfant de moi ; je n’aurai plus comme autrefois la crainte de te déplaire en te serrant dans mes bras, plus tendres, plus heureux cent fois, que dans les premiers temps de notre union, nous formerons un être qui recevra l’empreinte de notre félicité. Tu me connais, juge d’après le ton de cette lettre, si tu devais être embarrassée de m’apprendre l’arrivée de tes règles218. Ce témoignage est exceptionnel par sa longueur et son contenu, rarement exprimé aussi explicitement. Marc de Bombelles affirme qu’il aurait été triste de voir sa femme enceinte loin de lui, car il n’aurait pas pu soigner ses maux et se serait inquiété. Il trouve même qu’un simple espoir de grossesse suffit pour le moment car il témoigne d’une entente conjugale harmonieuse et de sa virilité. Cette situation l’arrange aussi car elle lui fait espérer que sa femme désirera de nouveaux rapprochements conjugaux et lui permettront de découvrir les plaisirs de la sexualité, auxquels il l’initie depuis peu. En outre, elle permet au mari de ne pas avoir à se priver de relations conjugales pendant la grossesse et l’allaitement, ce qui le réjouit par avance. Mais, on le verra plus loin, le couple n’attend finalement guère pour avoir un premier enfant, qui naît en 1780219.

216 Ibid., lettre d’Angélique à Marc, 28 octobre 1778, pp. 85-86.

217 Ibid., lettre d’Angélique à Marc, 11 novembre 1778, p. 115.

218 Ibid., lettre de Marc à Angélique, 6 novembre 1778, p. 102.

219 Dans cette même famille, d’autres cas de stérilité temporaire malheureuse peuvent être citées. C’est le cas des sœurs de Marc, Jeanne et Henriette de Bombelles. Ces deux jeunes femmes, frustrées de maternité, se prennent d’une affection envahissante pour le premier enfant de leur frère, surnommé Bombon. Henriette Victoire, mariée depuis mai 1775 à un vieillard impuissant, le landgrave de Hesse, se désespère de n’être pas mère. Elle fond en larme à la vue de son neveu : « J’ai été dîner chez ta sœur (Jeanne) ou Mme de Vaupalière et Mme de Reichenberg (Henriette) sont venues. Lorsque cette dernière a vu Bombon, elle s’est mise à pleurer et l’a caressé

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Au XIXème siècle, les angoisses des jeunes mariées restent souvent les mêmes. Le journal de Caroline Brame témoigne bien de cette attente éperdue de l’enfant220. Mariée le 19 avril 1866, la jeune femme ne devient en effet mère qu’une dizaine d’années plus tard. Pendant tout ce temps, elle espère une grossesse, mais c’est au début de son mariage que l’obsession de l’enfant est la plus grande. Le 14 août 1866, mariée depuis quatre mois, elle voit une première espérance déçue :

Mon Dieu que votre volonté soit faite ! J’avais espéré et mon cœur était radieux, mais vous ne l’avez pas voulu. Oh ! je ne me lasserai pas de vous la demander, cette grande grâce ! Oh que je serai fière et heureuse lorsque je pourrai dire « mon fils, ma fille » ! Ma chère petite fille, elle s’appellera Marie. Oh ! que demain je vais demander à la sainte Vierge d’intercéder pour moi221 !

L’année suivante, elle regarde avec envie les enfants des autres : « Claire Lepine est bien la plus charmante petite femme que je connaisse et puis la chère petite Anna. J’étais en admiration devant ce délicieux baby de neuf mois »222. Quelques mois plus tard, le premier janvier 1868, elle confie son chagrin à son journal : « Premier jour de l’année, je ne sais pourquoi je ne peux éloigner la tristesse qui m’accable ! Mon Dieu, vous le savez, mon grand chagrin c’est de n’avoir pas un baby que j’aimerais tant et qui me ferait accepter la vie sérieuse que je mène. Que votre volonté soit faite »223

. Profondément croyante, Caroline Brame se résigne aux volontés de la Providence mais tente toutefois de lutter contre sa stérilité pendant plusieurs années – nous y reviendrons224.

Ce genre d’impatience à être enceinte se rencontre également dans la littérature. Zola évoque

ainsi le cas de Clotilde dans le Docteur Pascal225. Celle-ci entretient une relation amoureuse adultère avec son oncle et les deux souhaitent un enfant, malgré leur situation atypique. Clotilde espère être rapidement enceinte car il s’agit pour elle du seul but des relations sexuelles :

Mais il viendra ! ». C’était pour elle, la conséquence naturelle et indispensable de l’acte. Au bout de chacun de ses baisers se trouvait la pensée de l’enfant, car tout amour qui n’avait pas l’enfant pour but, lui semblait inutile et vilain. Même, il y avait là une des causes qui la désintéressait des romans (…). Son continuel étonnement, sa continuelle indignation était de voir que, dans les romans d’amour, on ne se préoccupait jamais de l’enfant. (…). Jamais les amants, lorsqu’ils s’abandonnaient aux bras l’un de l’autre, ne semblaient se douter qu’ils faisaient œuvre de vie et qu’un enfant allait naître. Cependant, ses études d’histoire naturelle lui avaient montré que le fruit était le souci unique de la nature. Lui seule importait, lui seul devenait le but, toutes précautions se trouvaient prises pour que la semence ne fût point perdue et que la mère enfantât. (…) Le sexe des héros, dans les romans distingués, n’était plus qu’une machine à passions (…) en dehors des lois naturelles, sans paraître se souvenir qu’en faisant l’amour on faisait des enfants. C’était malpropre et imbécile226.

Même s’il s’agit d’un roman, ce personnage est révélateur d’une attitude qui devait exister et qui faisait de l’enfant la finalité des relations sexuelles, en concordance avec les lois naturelles et certainement aussi avec les lois religieuses, même si ce n’est pas explicitement dit ici.

avec la plus vive tendresse ». Toutefois Henriette étant devenue veuve, elle convole en secondes noces avec le marquis de Louvois et peut enfin goûter aux joies de la maternité.

Divers mémoires de maîtrise ont été consacrés aux correspondances de la famille Bombelles ; voir les références et l’analyse des lettres de Jeanne et Henriette de Bombelles par Marion Trévisi dans Au cœur de la parenté.

Oncles et tantes dans la France des Lumières, Paris, PUPS, 2008, pp. 459-462.

220 Le journal intime de Caroline B., éd. par Georges Ribeill et Michelle Perrot, Paris, Montalba, 1985.

Pour une étude de ces écrits, voir Perrot (Michelle), Les femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1998.

221 Le journal intime de Caroline B., op. cit., 14 août 1866.

222 Ibid., 7 octobre 1867.

223 Ibid., 1er janvier 1868.

224 Voir à la fin de ce chapitre.

225 Zola (Emile), Le Docteur Pascal, Paris, éd. Folio Classique, 1993 (1ère éd. 1892).

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Le mariage à l’essai

L’importance accordée à la fécondité du couple dans la société traditionnelle explique la persistance du concubinage prénuptial ou du « mariage à l’essai » dans certaines régions françaises227. Avant de bénir officiellement une union, les familles attendent ainsi de savoir si le couple est fécond. Ainsi, en Corse, les folkloristes du XIXème siècle ont relevé la pratique de l’ « abracia » ou « abracio », cérémonie d’« embrassement » où deux jeunes gens échangent leur consentement en présence de leurs familles. Cette cérémonie précède de plusieurs mois ou années le mariage civil et religieux et est considéré comme celui qui compte vraiment aux yeux des Corses. Dès le XVIIème siècle, des prêtres venus en mission dans l’île dénoncent ces pratiques :

Il y avoit encore un très grand abus parmy les habitans de cette Ile, touchant le sacrement du mariage ; ils le célébroient rarement qu’ils n’eussent auparavant habité ensemble ; & pour l’ordinaire, lors qu’ils estoient fiancez ou qu’ils s’estoient seulement donné parole, la fille allait demeurer dans la maison de son futur mary, & perseveroient dans cet estat de concubinage deux et trois mois, & quelquefois deux ou trois ans, sans se mettre en peine de s’espouser228

.

Pour Jean-Louis Flandrin, l’importance de ces pratiques ne s’explique pas seulement par la fréquence des couples de parents, obligés d’attendre une dispense ecclésiastique pour se marier. La raison ne serait pas non plus la pauvreté, qui rendrait difficile l’établissement des époux, ou un moindre attachement à la bénédiction religieuse. Il s’agit vraisemblablement bien de vérifier si le couple est