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1. Régler et faire fructifier les relations conjugales

Des théologiens aux médecins

Comme l’Eglise cherche à christianiser le mariage et la sexualité en encadrant les conduites et en traquant les déviances, les théologiens sont les premiers à être intervenus pour régler les relations conjugales. Au XIXème siècle, Bridaine dans ses Sermons réaffirme comme ses prédécesseurs le droit de l’Eglise à surveiller les couples :

Tout n’est pas permis, tout n’est pas permis, souvenez-vous en bien et ne l’oubliez jamais. Beaucoup de péchés horribles et détestables se commettent tous les jours dans le mariage : et c’est ce qui doit vous faire trembler, c’est qu’une infinité de Chrétiens se damnent tous les jours pour les avoir commis3.

Les manuels de confession montrent en effet que le clergé cherche à limiter la concupiscence en contrôlant les « joies du mariage », l’objectif étant de favoriser la procréation qui est une des fins principales du mariage. Comme le souligne Y. Knibiehler, le mariage catholique constitue un « effort inouï pour maîtriser la sexualité, pour l’orienter vers la fonction procréatrice, alors même que la fécondité n’est plus une valeur de premier plan »4. On commet d’ailleurs un péché si on adopte un comportement visant à éviter la procréation alors que la femme est fécondable, mais ce n’est pas le cas si, pour éviter de tomber dans la fornication, on couche avec elle sans aucun espoir de procréation. C’est ce que confirme François de Sales dans son Introduction à la vie dévote :

Le devoir nuptial doit toujours être rendu fidèlement, franchement, et tout de même comme si c’était avec l’espérance de la production des enfants, encore que pour quelque occasion on n’eût pas telle espérance…Car d’autant que la procréation des enfants est la fin première et principale du mariage, jamais on ne peut loisiblement se départir de l’ordre qu’elle requiert, quoique pour quelque autre accident elle ne puisse pas pour lors être effectuée, comme il arrive quand la stérilité ou la grossesse déjà survenue empêche la production et génération ;

2 On peut citer notamment les travaux de :

- Beauvalet (Scarlett), Histoire de la sexualité.., op. cit.

- Corbin (Alain), « La Petite Bible des jeunes époux », dans Le Temps, le Désir et l’Horreur, Paris, Aubier, 1991, pp. 171-183 ; id., L’harmonie des plaisirs…, op. cit.

- Darmon (Pierre), Le mythe de la procréation…, op. cit.

- Fischer (Jean-Louis), L’art de faire de beaux enfants…, op. cit. ; id., « La callipédie ou l’art d’avoir de beaux enfants », Dix-huitième siècle, n°23, 1991, pp. 141-158.

- Knibiehler (Yvonne), « Les médecins et l’amour conjugal au XIXème siècle », dans Viallaneix (Paul), Ehrard (Jean) dir., Aimer en France, 1760-1860, Actes du colloque international de Clermont-Ferrand, faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand, 1980, pp. 357-366

3 Bridaine (J.), Sermons, « Instructions sur le mariage », Avignon, 1823, p. 152.

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car en ces occurrences le commerce corporel ne laisse pas de pouvoir être juste et saint, moyennant que les règles de la génération soient suivies5.

En théorie, les relations conjugales sont toutefois prohibées à certains moments liés à la physiologie féminine. C’est le cas pendant les temps d’impureté comme les règles6

et la période comprise entre l’accouchement et les relevailles, ainsi que durant les moments d’indisposition temporaire comme la grossesse et l’allaitement. L’interdit religieux rejoint sur ce point des croyances traditionnelles, observables dans de nombreuses sociétés, qui jugent incompatibles le sperme avec le sang, le lait ou la « semence féminine », en raison de l’analogie supposée entre ces différentes sécrétions. Ce phénomène s’explique notamment par « l’idée qu’on ne peut mettre ensemble deux humeurs de même nature, de même origine, de même chaleur car, ou bien elles se consument et se détruisent mutuellement, ou bien elles se repoussent »7. Toutefois, la sévérité des théologiens s’amenuise avec le temps et, à partir du XVIIème siècle, si les rapports sexuels pendant les temps d’indisposition féminine restent déconseillés, on les tolère s’il y a risque d’incontinence. Le clergé intervient également auprès des couples pour faire respecter l’abstinence sexuelle pendant les temps de pénitence religieuse, comme nous l’avons vu précédemment8

, sans plus parler de péché. Mais dans sa règlementation de l’acte sexuel, l’Eglise ne s’appuie pas uniquement sur des préceptes religieux, elle a aussi recours à des arguments de santé et de morale profanes qui rejoignent les prescriptions médicales9.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, ce sont de plus en plus les médecins qui se chargent de conseiller les époux pour la réussite des relations conjugales. Comme les hommes d’Eglise, leur objectif premier est la reproduction, même si la question du plaisir n’est pas absente. Ils sont également très interventionnistes et étendent leurs recommandations à un champ très large : ils cherchent à définir les conditions du coït fécondant mais aussi à donner des conseils pour obtenir une belle progéniture. Il est d’ailleurs illusoire de prétendre étudier séparément ces deux questions, tant la littérature médicale les associe. Les conseils s’inscrivent pour la plupart dans une tradition antique qui se poursuit avec une étonnante continuité jusqu’au XXème

siècle, relayée par divers ouvrages à succès.

Des manuels pour guider les relations conjugales

En effet, la volonté de faire de beaux enfants n’est pas nouvelle ; on trouve déjà cette préoccupation dans l’Antiquité, notamment chez Platon dans La République. A l’époque moderne, plusieurs ouvrages de référence lancent ce qu’on appelle « la callipédie » ou l’art de faire de beaux enfants et connaissent un succès durable.

Le plus ancien est l’ouvrage de Jean Huarte, paru en 1575, intitulé l’Examen des esprits pour

les sciences10. L’auteur y présente une théorie complète de la génération qui adapte les connaissances antiques à celles de son temps et qui donne aussi tous les éléments à suivre pour produire une belle descendance. Il passe ainsi en revue les diverses qualités des semences et des tempéraments de l’homme et de la femme pour procréer ; il examine également les conditions favorables ou défavorables à la fécondation. Il conseille des régimes alimentaires particuliers pour former un sang et une semence de qualité. Enfin, il donne bien sûr des recettes pour choisir le sexe de son enfant, à savoir comment faire un garçon. L’œuvre de Huarte mérite d’être mentionnée car elle a connu un grand succès éditorial jusqu’au XVIIIème

siècle, avec des éditions dans toutes les grandes langues européennes11. On retrouve aussi souvent ses idées chez des médecins des XVIIIème et XIXème siècles, sans que leur auteur ne soit pourtant cité.

5 Sales (François de), Introduction à la vie dévote, 1609, dans Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1969, chap. 39.

6 Voir un peu plus loin dans cette sous-partie les détails de l’attitude de l’Eglise et des médecins vis à vis des relations sexuelles pendant les règles.

7 Héritier (Françoise), Masculin/Féminin, la pensée de la différence, op. cit., pp. 157-158.

8 Voir dans ce chapitre la partie sur le temps de la grossesse.

9 Daumas (Maurice), Le mariage amoureux…, op. cit., Chap. V, 3°, §1.

10 Huarte de San Juan (Jean), Examen des esprits pour les sciences, éd. 1575, trad. J.-B. Etcharren, Atlantica, 2000.

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Autre ouvrage qui fait date, La Callipédie de Claude Quillet12, poème en latin publié en 1655 et traduit en français en 1749. L’ouvrage a un grand succès et est plusieurs fois réédité (jusqu’en 1832) et plagié. Par le terme « callipédie », défini pour la première fois comme « l’art de faire de beaux enfants », l’auteur entend créer une « science » qu’il désire enseigner au genre humain. Le mot devient dès lors un terme courant ; des articles lui sont consacrés dans les dictionnaires médicaux jusqu’au XIXème siècle. L’auteur s’adresse aux couples pour leur donner des « recettes » pour faire de beaux enfants, mais il ne se limite pas à l’acte procréateur ; sa démarche globale s’étend en amont et en aval. Il traite ainsi du choix des procréateurs, des conditions favorables à la bonne procréation avec des conseils pour fabriquer l’un ou l’autre sexe. Enfin, le troisième livre, il évoque les soins de la grossesse et de l’accouchement.

L’ouvrage de référence en matière de relations conjugales et de procréation est celui du docteur Nicolas Venette, auteur du Tableau de l’amour considéré dans l’état du mariage13, paru en 1687, véritable « best seller » réédité plus de soixante dix fois, avec peu de changements, jusqu’en 1955. Il s’agit d’un véritable manuel d’éducation sexuelle, où les rapports n’ont pas comme fin unique la procréation, le plaisir des époux étant considéré pour lui-même14. Mais il reprend néanmoins les conseils classiques pour réunir les meilleures conditions pour l’acte procréateur (saison, heure, âge, caractère des géniteurs), et traite également des étapes de la formation du fœtus (notamment la détermination du sexe et les ressemblances). L’ouvrage s’enrichit en 1812 de quatre chapitres sur l’art de faire de beaux enfants, signe que l’idée est dans l’air du temps.

Les autres auteurs qui traitent des relations conjugales aux XVIIIème et XIXème siècles innovent peu. Ils se contentent souvent de reprendre les poncifs anciens ; l’influence néo-hippocratique et l’ouvrage de Venette continuant longtemps d’ordonner des conseils qui appartiennent plutôt au bon sens populaire ; la science apporte peu dans ce domaine. Mais au cours du temps, et principalement au XIXème siècle, l’attitude des médecins se révèle cependant beaucoup plus conservatrice et autoritaire que celle de Venette. C’est moins l’amour conjugal que le mariage et l’hygiène familiale qui les intéressent, dans une perspective essentiellement moralisatrice. Les techniques de l’amour ne sont plus évoquées et relèvent désormais d’ouvrages licencieux. Les relations sexuelles sont exclusivement orientées vers la procréation, du moins dans le mariage, ce qui sert de prétexte à poser de nouveaux interdits. Les médecins renouvellent ainsi l’interdiction des pratiques contraceptives, déjà posée par l’Eglise. Les « fraudes conjugales » sont ainsi condamnées par la majorité des praticiens15

. En parallèle à l’abondante littérature consacrée à « l’hygiène du mariage » et aux relations conjugales paraissent de nombreux livres spécifiquement consacrés à l’art de faire de beaux enfants. Certains sont même très spécialisés (art de faire des enfants d’esprits, des grands hommes, sur le choix des sexes, etc.) alors que les objectifs des ouvrages évoluent. Du XVIIème jusqu’au XIXème siècle, on s’adresse aux couples eux-mêmes pour leur donner des « recettes » pour faire de beaux enfants. Par la suite, une logique pré-eugénique se développe et change les enjeux de la question, le débat concernant désormais la collectivité16. Pour des raisons de clarté de l’exposé, nous évoquerons plutôt ici les différents conseils classiques donnés pour obtenir un coït fécondant et une belle progéniture, ainsi que ce qui touche au choix du sexe.

12 Quillet (Claude), La Callipédie, trad. du poème latin, impr. A Amsterdam, Paris, Durand et Pissot, 1749 (1ère

éd. en latin 1655).

13 Nous utilisons ici l’édition suivante : Venette (Nicolas), La Génération de l’homme ou Tableau de l’amour

conjugal, Amsterdam, Ryckhoff, 1778.

14 Knibiehler (Yvonne), « Les médecins et l’amour conjugal… », art. cit.

15 Au début, les arguments sont surtout religieux et philosophiques, mais la laïcisation de la pensée médicale conduit à leur recul. Les justifications tiennent de plus en plus à des éléments prophylactiques ou médicaux ; les fraudes passent ainsi pour être la source de nombreuses maladies, on l’a vu. Des arguments de morale familiale et sociale sont aussi invoqués ; Knibiehler (Yvonne), « Les médecins et l’amour conjugal… », art. cit., p. 357 et sq. Voir aussi le chapite VI où est évoquée la question de la limitation des naissances.

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