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SECTION I- L’ACTION DE LA COUR, UN ELEMENT JURIDIQUE MAIS AUSSI POLITIQUE

1 - UNE VISION LIBERALE DU MONDE

Le libéralisme a pour centre l’individu. C’est une conception du gouvernement et de la société qui met l’accent sur la « liberté ». A ce titre, il garantit des libertés individuelles avec comme corollaire la responsabilité individuelle.

S’étant formée en réaction aux Etats monarchiques forts, l’idéologie libérale a pour souci d’en minimiser le pouvoir de coercition. Un système juridique libéral prend place dans une société pour qui l’Etat n’est que le gardien des libertés individuelles. Les juridictions se doivent de les préserver. Cette conception ayant triomphé, l’on se rend compte que les juridictions mondiales ne font que sanctionner les violations de ces libertés. Les Etats étant gardiens de ces libertés, ils étaient dans leur rôle en créant de toutes pièces ces institutions.

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Elles ne se disent pas ouvertement libérales mais il est aisé de s’en apercevoir. Dans leur préambule, elles font toute mention de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, des principes et déclarations de l’ONU. Les principes défendus comme la responsabilité individuelle sont issus du libéralisme. Ils condamnent l’expropriation des terres, le déplacement des populations. Cela suppose que l’individu en ait la propriété. Cette défense suppose donc la reconnaissance d’une appropriation privée des moyens de production, une des définitions données au capitalisme, lui-même issu du libéralisme économique.

Les dérives du capitalisme avec pour origine le coupable « laissez-faire, laissez-aller » contribuent également à l’existence des crimes commis. Le capitalisme ne connaissant pas la morale, le trafic d’armes et le commerce d’êtres humains ne sont pas revêtus d’un péché originel. Cet appât du gain qui caractérise tout système économique crée des inégalités. Celles-ci sont visibles au sein même des Etats mais également en dehors de leurs frontières. Le marché a par ailleurs tellement évolué que les Etats eux-mêmes ne peuvent lutter contre les intérêts de firmes multinationales. Ces entreprises ne se situent plus dans une économie basée sur une société de consommation ; mais dans une économie du dividende, dividende qui tend à détruire tout ce qui lui fait obstacle. Les infractions commises par de telles compagnies sont méconnues et leur responsabilité difficile à mettre en œuvre232.

La protection des libertés individuelles suppose la protection de l’intégrité physique, de l’inviolabilité du corps humain. La reconnaissance des droits de la femme avec la reconnaissance du droit de vote apparait en majorité après la seconde guerre mondiale. L’on s’est rendu compte que les femmes n’étaient pas des citoyens de seconde zone. Partout où ces droits sont reconnus, une plus grande répression des crimes sexuels suit.

Les sociétés où ces droits sont défendus restent des sociétés à tradition ou à forte influence libérale. De ce fait, ses sociétés lorsqu’elles créent des tribunaux internationaux leur intègrent inconsciemment ou non un certain nombre de valeurs sociales et juridiques qui les conduisent à défendre les droits des femmes. A cet égard, ces juridictions ont fait des crimes sexuels une priorité. Il n’est donc pas étonnant de noter l’intégration de l’approche sexo-spécifique ou genre dans les programmes de reconstruction post-conflit.

Il est vrai que les victimes d’agressions sexuelles ne sont pas toujours des femmes. Des hommes sont violés. Dans une étude réalisée dans l’est de la RDC, sur les 998 foyers participants, 39.7% des femmes témoignaient être victimes de violences sexuelles, contre 23.6% des hommes233. En Colombie, les femmes constituent 30 à 40% de l’effectif des

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Voir chepitre 2 de notre titre 2

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Kirsten Johnson, MD, MPH; Jennifer Scott, MD; Bigy Rughita, MSc; Michael Kisielewski, MA; Jana Asher, MSc; Ricardo Ong, MD; Lynn Lawry, MD, MSPH, MSc, Association of Sexual Violence and Human Rights

Violations With Physical and Mental Health in Territories of the Eastern Democratic Republic of the Congo, The

FARC234. Cependant, dans l’inconscient collectif, les victimes restent des femmes. La résolution 1325 de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité en est un exemple. Il n’y est jamais fait état d’hommes victimes de viols. De ce fait, ces victimes ne peuvent bénéficier ni de soins ni des fonds nécessaires à leur réinsertion. Ils sont des laissés-pour-compte des programmes de reconstruction post-conflit.

Le libéralisme par le biais de la colonisation s’est répandu dans le monde. Il est devenu l’idéologie politique en vigueur supplantant les systèmes traditionnels. Les peuples lui sont désormais acquis. Il est impossible de faire marche arrière.

Le libéralisme est devenu synonyme de modernité et d’émancipation. Il n’est aucune réforme institutionnelle digne de ce nom, dans aucun pays, qui n’ait pour ambition de rendre ladite société plus libre donc plus libérale. Les populations les réclament et manifestent pour leurs droits civiques, politiques et économiques. Les médias de portée internationale popularisent le mode de vie à l’occidental, vu comme un idéal à atteindre par toute société. Notre époque est sans doute celle qui rend possible de telles aspirations et donne les moyens de les réaliser.

Ces normes et inspirations peuvent également être utilisées comme légitimation. Pour Robert Jervis, libéralisme et démocratie étaient au cœur de la doctrine Bush235. L’observation démontre que les conceptions d’hommes de bien et démocrates dépendent des intérêts sur la scène internationale. La prudence dans leur interprétation reste donc de mise.

La signature d’accords et de traités fait rentrer ces normes dans l’ordonnancement interne d’un Etat. Dans le domaine économique, la surveillance des doctrines et principes économiques est dévolue à une organisation bien plus obéît et, en ce sens, donc, bien plus efficace que l’ONU, l’OMC.

Les juridictions internationales sont créées dans le but de lutter contre l’impunité. Un développement de cette tendance est la protection non plus de l’individu mais de l’humanité. A ce titre, l’on invoque la responsabilité de protéger.

Cette responsabilité de protéger l’humanité est à rechercher dans l’humanisme236. L’ Institute for Humanist Studies le définit comme “a progressive philosophy of life that,

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Anne PHILLIPS, Fighting Mad, Why Women Turn to the FARC -- and How the FARC Turns on Them, Foreign Affairs, June 1, 2012

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Robert JERVIS, Understanding the Bush Doctrine, Political Science Quarterly Volume 118 Number 3 2003, p.366. “The spread of these values opens the path to “make the world not just safer but better,” a “path [that] is not America’s alone. It is open to all.” This taps deep American beliefs and traditions enunciated by WoodrowWilson and echoed by Bill Clinton, and it is linked to the belief, common among powerful states, that its values are universal and their spread will benefit the entire world. Just as Wilson sought to “teach [the countries of Latin America] “to elect good men,” so Bush will bring free markets and free elections to countries without them”

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Le philosophe allemand, Friedrich Immanuel Niethammer, est le premier à avoir employé ce terme pour parler « des humanités ». Certains considèrent cependant que Proudhon en fut l’inventeur.

without theism and other supernatural beliefs, affirms our ability and responsibility to lead ethical lives of personal fulfillment that aspire to the greater good of humanity.237” Pour le Oxford English Dictionary, il s’agit, beaucoup plus sobrement, d’un “ rationalistic system of thought attaching prime importance to human rather than divine or supernatural matters”. Ces racines peuvent être retrouvées dans la doctrine confucéenne, esquissées dans la pensée de la Grèce antique. Il est évident que les critères qui y étaient considérés importants sont différents des nôtres238. La notion d’humanisme est cependant plus célèbre par la pensée de Thomas d’Aquin ou d’Erasme. Pour l’Encyclopaedia Britannica239, l’humanisme peut être considéré comme le parent de toute réforme intellectuelle, scientifique ou sociale, telle la Renaissance ou la philosophie des Lumières.

L’appel aux qualités intrinsèques et aux valeurs partagées par le genre humain, en général, le respect de la dignité humaine en découle, et ressort clairement dans la défense des droits de l’Homme et la consécration des crimes contre l’humanité. Ces deux aspects sont au cœur de nos déclarations de droits les plus importantes et se retrouvent donc dans les divers préambules des juridictions internationales.

Cette volonté de protéger l’humanité se retrouve également dans la préservation du patrimoine commun de l’humanité. Cette expression se retrouve dans le préambule de la convention de l’Unesco de 1972240 ayant pour but de protéger des œuvres à vocation universelle. Pour l’Unesco, « le patrimoine est l’héritage du passé, dont nous profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir. »241. Il s’agit ici d’œuvrer non seulement pour les générations présentes mais aussi pour les générations à venir. L’humanité n’est donc pas la simple somme de tous les individus existants sur la terre. Cette conception est dans cette optique proche de la notion de nation telle qu’entendue par Sieyès. Il est possible que nous ne formions alors qu’une seule nation, la nation humaine. Il n’est donc pas étonnant que la notion de souveraineté fasse l’objet d’une redéfinition. Il suffit juste de se rappeler les débats ayant existé entre les tenants de la souveraineté populaire de Rousseau et ceux de la souveraineté nationale de Sieyès. Poussant le raisonnement jusqu’au bout l’on se retrouverait en présence d’une souveraineté humaine. Cependant, définir la nation et la souveraineté entraîne de les protéger. A ce titre, contre quoi ou contre qui devrait-on protéger l’humanité ? Elle-même ? Les mauvais êtres

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http://humaniststudies.org/home

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Dans son livre II, dans l’ Oraison funèbre, Thucydide fait dire à Périclès : « S'il me faut aussi faire mention des femmes réduites au veuvage, j'exprimerai toute ma pensée en une brève exhortation : toute leur gloire consiste à ne pas se montrer inférieures à leur nature et à faire parler d'elles le moins possible parmi les hommes, en bien comme en mal » Il est inconcevable, de nos jours, que les femmes ou des esclaves soient écartés de la vie politique. D’ailleurs, l’esclavage est supposé ne plus exister puisque nous évoluons tous dans le monde libre.

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Encyclopaedia Britannica, Eleventh Edition, Volume XIII, University Press, New York, 1910, P.872.

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Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel adoptée lors de la conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, réunie à Paris du 17 octobre au 21 novembre 1972.

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humains ? Slobodan Milosevic, Ahmadinnejadd, Mugabe ou tout simplement ceux qui n’adhèrent pas à nos propres valeurs ?

De plus, ces valeurs ne sont pas forcément les plus importantes pour notre avenir, et l’axe choisie pour leur protection trop étroit. Evoquant la protection de l’environnement, Jacques Chirac, alors président de la République française, demandait aux nations d’éviter un crime de l’humanité contre la vie. Il est incontestable que sans vies humaines l’existence de juridictions est superflue. Protéger la vie consiste aussi à protéger l‘environnement mais les Etats ne se préoccupent que de leurs intérêts à moyen et court terme.

Protéger l’humanité revient à définir ce qu’est « le propre de l’homme ». Il est difficile de trouver une position satisfaisante dans toutes les propositions avancées. La Controverse de Valladolid en est un exemple242.

Il est difficile de répondre à une telle question. Pourtant, si l’on consacre l’humanité comme vertu à protéger, l’on poursuit ceux qui lui portent atteinte. La consécration de l’humanité conduit ainsi à un monde pluriel, une vision multilatérale de la société internationale.