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A- LES PRECARRES ET ZONES D’INFLUENCES : DES PARTIES DU MONDE SOUSTRAITES A LA JUSTICE INTERNATIONALE

1- LE REGNE DE L’IMPUNITE

L’impunité est un héritage qui perdure dans certaines régions du monde. Sacrifier l’être humain et les droits fondamentaux d’autrui sur l’autel du profit est une politique constante de toutes les grandes puissances économiques. Suivant cette pratique constante, les relations économiques Nord-Sud sont rarement en faveur des pays les plus pauvres.

Cette situation a créé en sciences sociales ce que l’on appelle la théorie de la dépendance souvent rapprochée de celle de l’impérialisme.

Originaire d’Amérique latine, ce courant de pensée naît en réaction au sous-développement qui semble sans fin, à l’injustice sociale généralisée, l’accaparement des richesses par une élite. Il en recherche les causes et pense les trouver à l’extérieur. Les schémas de développement proposés par les institutions internationales ne serviraient que des réseaux d’intérêts étrangers et locaux. Ils n’ont pas vocation au développement des pays pauvres. Les penseurs latino-américains ont proposé des voies de sorties différentes :

- la réappropriation de l’économie locale par l’élaboration de programme de développement sortant des cadres traditionnels,

- la participation accrue des pays pauvres au processus de décisions : représentations dans les organisations internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale. A terme, il s’agit de combler l’écart entre pays industrialisés et pays moins avancés. Au centre de cette théorie repose l’idée qu’une dépendance politique engendre toujours une dépendance économique. En ce sens, elle rejoint la théorie de l’impérialisme plus précisément celle du néocolonialisme. En 1965, Kwame Nkrumah, écrivait “The essence of neo-colonialism is that the State which is subject to it is, in theory, independent and has all the outward trappings of international sovereignty. In reality its economic system and thus its political policy is directed from outside.” Une intervention armée pour maintenir le statut

quo est rare, car, en général, neo-colonialist control is exercised through economic or monetary means170

Les principes du libéralisme économiques n’ont pas profité aux pays en développement. Les investissements directs étrangers favorisent les capitaux illicites171. La sortie de l’aide et de sa dépendance est aujourd’hui en débat dans les pays africains172. Le modèle économique de la croissance et la consommation effrénée des nations riches sont écologiquement insoutenables.

Le cas des accords de défense le démontre. En 1961, la France, le Dahomey173, la Côte d’Ivoire et le Niger signent des accords de défense. Il s’agit de se prêter mutuellement aide et assistance pour préparer et assurer leur défense174. Il est accordé à la République française la libre disposition des installations nécessaires aux besoins de la défense175. Jusque-là rien d’anormal. Les problèmes surviennent en annexe 2. Concernant les matières premières et produits stratégiques176, les Etats africains en facilitent l’accès et le stockage aux forces de défenses françaises. Par ailleurs, les intérêts de la défense sont susceptibles d’en prévenir l’exportation totale ou partielle vers certains pays177. Ils sont tenus d’informer la France de leurs exportations. Leurs ventes sont réservées prioritairement à la France et les républiques africaines s’approvisionnent par priorité auprès d’elle178. A égalité de prix, le Cameroun accordait une préférence à la France pour l’acquisition de son surplus179.

A l’égard du Niger, cet accord et ses annexes ont été remplacés en 1977, par un accord de coopération militaire technique. La question des matières premières n’y est pas abordée. Cet accord de défense fut valable pour la Côte d’Ivoire jusqu’en 2012.

Tous ces arrangements économiques sont en complète contradiction avec les déclarations de l’Assemblée générale de l’ONU. Elle estime que la souveraineté permanente sur les ressources naturelles doit s’exercer dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population et rappelle que l’Etat peut réglementer l’ensemble des activités économiques et exiger qu’elles soient soumises à son droit interne.

170

Kwame Nkrumah, Neo-Colonialism, the Last Stage of imperialism, 1965.

171

Pour le Dr Abdullahi Shehu, directeur Général du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), les investissements directs étrangers « ont tendance à

mettre en veilleuse les financements locaux et par la même occasion [ils] peuvent être des sources de financement illicites et par conséquent de blanchiment »

172

Jonathan Glennie, Est-il temps pour le Mali de planifier une stratégie de sortie de l'aide? Retraite Annuelle des Partenaires Techniques et Financiers, Bamako, Mali 18 février 2011.

173 Bénin actuel 174 Article 1 175 Article 4 176

Il s’agit des hydrocarbures liquides et gazeux, du lithium, de l’uranium, du thorium, du béryllium, leurs minerais et composés. Cette liste pouvant être modifiée en fonction des circonstances.

177

Article 4, Annexe 2

178

Article 5, Annexe 2

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Ces accords, dont certains sont tenus secrets, sont, suivant une pratique remontant aux rois, hors de portée des parlementaires français180. Ils ont donné naissance à la création de bases militaires étrangères. La base militaire en territoire étranger n’est pas un fait exclusif à la France. Il existe des bases américaines au Japon, en Corée du Sud, russes en Arménie et Ukraine, et Djibouti détient le douteux avantage d’attirer l’envie quant à sa position stratégique. Le Japon vient d’y créer sa base militaire la plus importante depuis 1945.

Intervenir dans un pays étranger ne nécessite pas d’accords de défense. La France intervient au Tchad depuis quarante ans par le biais d’accords « sans participation ».

En Birmanie, la junte militaire se maintient au pouvoir depuis plusieurs décennies. Sans le soutien chinois, le régime birman s’écroule.

L’on ne retient de la Birmanie que Aung Sang Suu Kyi, assignée à résidence, ou les manifestations réprimées de moines, la révolution de safran. Rarement est mentionnée la vingtaine de groupes ethniques armés, opposée au régime181.

Entre 1996 et 1999 : La junte militaire signent des cessez-le-feu avec une quinzaine de groupes rebelles (Karen, Mon, Kachin, Shan). Les Karen veulent la création de leur propre Etat. Un nouvel accord a été signé. Depuis juin 2011, les conflits entre l’armée birmane et les kachin ont fait près de 45 000 déplacés.

La Chine est frontalière de la Birmanie182 et depuis 1962, son principal soutien diplomatique. La Birmanie est un pays riche en ressources naturelles : jade dont elle possède les plus gros gisements du monde, bois de teck, pétrole… La Chine bénéficie d’accords commerciaux privilégiés en contrepartie de son soutien. L’isolement des deux pays sur la scène internationale lors des massacres de Rangoon en 1988183 et de Tianmen contribuera à renforcer leurs relations. Elle est aussi son principal fournisseur d’armes. En 1994, Rangoon a acheté pour 400 millions de dollars américains en armes (hélicoptères, tanks, navires,..)184.

180

L’article 53 de la constitution française stipule en effet que seuls les traités de paix, les traités de commerce,

les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi.

181

Pour les Nations Unies, les parties au conflit au Myanmar sont : l’Armée bouddhiste démocratique karen (DKBA), l’Armée de l’indépendance kachin, l’Armée de libération nationale karen (KNLA), le Conseil pour la paix de l’Union nationale karen/Armée de libération nationale Karen, l’Armée karenni, l’Armée du Sud de l’État shan, la Tatmadaw Kyi, y compris les gardes-frontières, et l’Armée unifiée de l’État wa, http://www.un.org/children/conflict/french/myanmar.html

182

En raison de sa superficie, la Chine a des frontières communes avec un grand nombre de pays asiatiques (Corée du Nord, Vietnam, Laos, Népal, Bhoutan, Pakistan, Inde, Tadjikistan…) et même d’Europe (Russie). Tout problème asiatique finit invariablement donc par l’intéresser.

183

Soulèvement pacifique de moines, brutalement réprimé par l’armée birmane.

184

Poon Kim SHEE, The Political Economy of China-Myanmar Relations: Strategic and Economic Dimensions, Ritsumeikan Annual Review of International Studies, 2002. Vol.1, p.38.

Outre le soutien à un autre régime autoritaire, c’est aussi pour la Chine un moyen de contrer l’influence indienne dans la région par une expansion militaire. Le régime de Rangoon lui a donné accès à ses bases navales dans l’océan indien185. Selon le Yunnan Yearbook de 2000, le Myanmar était le 4è partenaire commercial de la Chine avec 5 353 millions de dollars importations exportations186.

Ainsi que le déclarait un vieux moine birman au quotidien The Economist, « We are China’s kitchen. They take what they like and leave us with the rubbish»187. Les groupes en lutte contre le régime s’auto-financent grâce à l’opium. La Birmanie en est le second plus gros producteur, après l’Afghanistan188.

Le rapporteur spécial des Nations unies concluait, en 2010, que s’il est vrai que le Myanmar n’était partie que deux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (convention pour l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes et convention pour les droits de l’enfant), en tant que membre des Nations Unies, il était lié par la Déclaration universelle des droits de l’homme et toute autre déclaration pertinente adoptée par l’Assemblée Générale189.

La ratification de ces deux instruments juridiques n’empêche pas la junte militaire de violer ces droits. Pourquoi lier la Birmanie à des instruments de protection des droits de l’Homme quand elle ne respecte pas ceux qu’elle a déjà ratifiés ? Le rapporteur se dit donc plusieurs fois alarmé de la situation des femmes et des enfants, notant que les birmans de confession musulmane se voyaient refuser tout extrait de naissance pour leurs enfants190. La peine de mort, les difficultés des avocats de la défense et leur emprisonnement, les jugements et détentions arbitraires sont dénoncés191. La récente élection de Aung San Suu Kyi au parlement est cependant porteuse d’espoir.

L’impunité est également favorisée par la soumission de la justice à la puissance régionale.

185

Daniel BYMAN, Roger CLIFF, China's arms sales: motivations and implications, Project Air Force (U.S.),United States. Air Force, Rand Corporation, 1999, p.19

186

Editorial Department, Yunnan Nianjian, Source: Yearbook2000 of Yunnan, p.267

187

The Economist, Chinese takeaway kitchen, 9 Juin 2011, http://www.economist.com/node/18806782

188

Pour l’UNODC, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, la Birmanie est le pays d’Asie du Sud Est où la production de plants de pavots a sensiblement progressé. De 6400 ha à 38 100 en 2010. En 2011, cette production avait augmenté de 14 %. Source: Opium cultivation up significantly in Myanmar and Lao PDR,

UNODC warns, UN officials say food insecurity, ethnic conflicts and poverty responsible for surge, 15 décembre

2011, disponible sur http://www.unodc.org/eastasiaandpacific/en/2011/12/ops-2011/story.html

189

Tomás Ojea QUINTANA, Progress report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in

Myanmar, Human Rights Council, Thirteenth session, Agenda item 4, Human rights situations that require the

Council’s attention, 10 Mars 2010, A/HRC/13/48, Point 115.

190

Point 88 du rapport.

191

2- UNE JUSTICE SOUMISE DE FAIT AU BON VOULOIR DE LA