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SECTION I- L’ACTION DE LA COUR, UN ELEMENT JURIDIQUE MAIS AUSSI POLITIQUE

2 - UN MONDE PLURIEL

A- LE STATUT DE ROME, UN CODE DE BONNE CONDUITE INTERNATIONALE

Le code de bonne conduite s’entend de ce qu’on peut et ne peut pas faire, constitue des engagements à respecter. Le statut de Rome est, à cet égard un symbole de l’Etat de droit et la consécration d’un idéal, même si les faits mettent à mal cette image.

1- LE RENFORCEMENT DE L’ETAT DE DROIT

La plupart des membres de la Cour sont des Etats africains. Certains d’entre eux sont connus pour leurs élections contestables, leurs conflits armés, leurs violation des droits de l’homme. Pourquoi donc sont-ils membres du Statut de Rome ? Ratifier le Statut semble en fait un moyen de rentrer dans les standards internationaux de bonne conduite. Une présomption de respect des droits de l’homme, de transparence et coopération internationale semble rattachée aux Etats membres est rattachée à la ratification du statut.

En effet, un Etat se doit d’intégrer dans son ordonnancement juridique interne les traités internationaux qu’il a ratifiés. Bien plus, sa seule signature l’enjoint à en respecter l’esprit, à ne pas en enfreindre les dispositions. A cet égard, il est supposé respecter les dispositions de la Cour, les principes fondateurs. Dans son préambule, on note les buts et principes de la Charte des Nations Unies donc le principe de non-ingérence, de non intervention dans les affaires internes des Etats274, le renforcement de la coopération internationale275… Ces principes sont alors supposés être respectés par l’Etat concerné.

En retour, un Etat devenu membre de la Cour se verra féliciter par ses pairs, par les Ong supportrices de l’institution. Ces félicitations sont relayées par les médias et influencent finalement sa propre opinion publique. Elle peut penser qu’un changement de politique gouvernementale n’est plus impossible. Une telle ratification devient le symbole d’une prise de conscience des droits et obligations des Etats vis-à-vis de sa population. Vu de l’extérieur, un Etat partie serait alors plus fréquentable qu’un Etat non partie.

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Paragraphe 4 du Préambule « Réaffirmant les buts et principes de la Charte des Nations Unies et, en particulier, que tous les États doivent s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies, »

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Paragraphe 7 du Préambule « …leur répression [les crimes les plus graves] doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale »

La ratification du Guatemala illustre notre propos. Elle fut saluée par la CPI, l’ONU, l’UE, et ICCnow. Pour cette dernière organisation, ratifier le statut signifie mettre fin à l’impunité. Pour la présidente de l'Assemblée des États parties, « l'adhésion du Guatemala témoigne de la volonté et de la ferme détermination de son peuple et de ses dirigeants de renforcer l'état de droit et de contribuer aux efforts internationaux visant à mettre fin à l'impunité s'agissant des crimes les plus graves.»276 Suite à une visite au Guatemala où elle déplorait l’insécurité et la violence grandissante dans ce pays, la Haut Commissaire au droit de l’homme de l’ONU, Mme Navy Pillay, déclarait cependant que la décision du Guatemala mettait fin à l’impunité pour les crimes les plus graves277.

Suite à cette ratification, le Salvador et le Nicaragua furent montrés du doigt. Seuls Etats d’Amérique centrale en dehors du Statut, le président de la CPI et la Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, les ont invités à rejoindre l’Assemblée des Etats parties. Le parallèle avec l’intervention de la présidente des Etats parties pourrait faire supposer qu’ils n’ont aucune envie de renforcer l’état de droit et de mettre fin à l’impunité.

Appartenir à la Cour est donc promouvoir le renforcement de l’état de droit puis la démonstration de sa volonté de mettre fin à l’impunité. Nulle part dans le statut, il n’est fait mention de l’état de droit. Il est affirmé dans le préambule- qui n’a pas même force juridique que le corps du traité- que les Etats parties sont « déterminés à mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes278 ». L’inclusion de l’état de droit montre l’évolution de la justice internationale. L’on s’est rendu compte que sans un Etat démocratique les situations ayant conduit aux crimes jugés se reproduiront. De juger des criminels, l’on en est à l’instauration de l’état de droit. Depuis Kelsen, l’on définit l’état de droit ou rule of law comme le système institutionnel dans lequel la puissance serait limitée par des normes hiérarchisées. Ce concept théorique ne se limite pas seulement à une bonne administration de la justice. L’état de droit va de pair avec la hiérarchie des normes, la séparation des pouvoirs, l’égalité de tous devant la loi et le respect des droits fondamentaux. Ces principes sont les fondements de tout régime démocratique, le seul légitime. Certains ont même proposé d’inclure dans le Statut un nouveau crime : le crime contre la démocratie279.

Il est difficile de croire que la seule ratification du statut en soit constitutive. Les États-Unis sont la plus grande démocratie du monde et ils n’ont pas ratifié le statut. Elle est néanmoins un symbole.

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Centre d’actualité de l’ONU, Extrait de Le Guatemala devient le 121e Etat partie au traité régissant la CPI, Consultable sur http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27922&Cr=CPI&Cr1=

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Centre d’actualité de l’ONU, Guatemala : l'ONU souligne le besoin de renforcer la primauté de la loi, 16 mars 2012 disponible sur http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27810&Cr=Guatemala&Cr1=

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Par5 du préambule

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Morton H. HALPERIN, Mirna GALIC, Protecting Democracy: International Responses, Council on Foreign Relations books, Lexington Books, 2005, p.290.

Ainsi, pour saluer la ratification du Statut par la Tunisie, le président de l’Assemblée des Etats parties indiquait que cette ratification est symbolique de la primauté de l’état de droit. « L’adhésion de la Tunisie au Statut de Rome, témoigne de la soif des peuples partout au monde pour des sociétés fondées sur des règles claires et le principe de l’égalité devant la loi.280 » Dans son dernier discours devant l’Assemblée des Etats parties, M. Luis Moreno Ocampo déclarait ceci: « Tunisia started the “Arab spring” adopting the Rome Statute only two weeks after the fall of the old regime. It sent a clear message: there is no turning back to abuse of power 281» La Tunisie a également ratifié l’Accord sur les privilèges et immunités. De fait, les Tunisiens ont pu organiser des élections libres et transparentes pour la première fois de leur histoire. Le taux de participation était proche des 90%. Cependant, les évènements qui se sont succédés, depuis le départ de Ben Ali, ont surtout démontré une montée de l’islamisme soutenu par la charia. Le Président du Conseil National de Transition ne pouvait être qu’un tunisien et non une tunisienne, de religion musulmane. Deux discriminations en une seule phrase…

L’instauration d’un nouveau régime politique n’est pas forcément synonyme de changement. La portée réelle du printemps arabe est, somme toute, limitée. Si des chefs d’Etats sont partis, le système en place n’a pas bougé. Il n’est même pas ébranlé. En Egypte, l’armée est toujours au pouvoir. Les élections ont mis en présence deux vieux ennemis : les Frères musulmans et l’armée. Les aspirations des jeunes indignés qui ont mené et initié le changement sont passées à la trappe. En Irak, les américains n’ont pas éliminé le parti Baas de Saddam Hussein, ils s’en sont servis.

Après son accession au pouvoir, M.Ouattara s’est empressé de confirmer la déclaration de conformité liant la Côte d’Ivoire à la Cour. Cette décision a permis l’ouverture d’une enquête. Laurent Gbagbo fut transféré à La Haye quelques semaines après. Une audience de confirmation des charges est prévue pour le 18 juin. Par cette collaboration avec la justice internationale, les nouvelles autorités ivoiriennes, en plus de se séparer d’un individu gênant pour le pouvoir, établissaient leur désir de revenir sur la scène internationale par un symbole fort. La visite du Procureur entérinait cette volonté. Il s’agissait de tourner la page de dix ans de crise politique. Cependant, le régime Ouattara ne respecte pas les droits humains. Il commet les mêmes méfaits reprochés au président Gbagbo : arrestation et détention arbitraires, assassinats, viols, spoliation282… Les ex-rebelles qui l’entourent ne risquent pas d’être inquiétés par la Cour avant longtemps.

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Déclaration de S.E. l’Ambassadeur Christian Wenaweser, président de l’Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale Adhésion de la Tunisie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, New York, 24 juin 2011

281

Allocution lors de la 10è session de l’Assemblée des Etats parties à New-York 12 Décembre 2011

282

Matt WELLS, Côte d'Ivoire : Ouattara n'a pas tenu ses promesses de justice impartiale, 29 mars 2012,

Nouveau régime ne signifie pas respect des droits de l’homme et fin de l’impunité. L’on couvre ses actes par des discours savamment écrits. L’on pose des actes sans portée pour une justice impartiale. L’appartenance à la Cour participe d’une légitimation d’un nouveau régime. Cette ratification devenait le symbole de la naissance de l’état de droit en Tunisie. Dans le cas ivoirien, le gouvernement souhaitait démontrer sa volonté de réconciliation nationale et de reconstruction.

2- LA CONSECRATION D’UN IDEAL AU DETRIMENT DU POLITIQUE

Quelques années plus tôt, les Etats-Unis avaient ressenti comme un camouflet, la ratification du statut par un grand nombre d’Etat, en dépit de leur opposition283. Faisant suite à ce mouvement, l’Assemblée Générale de l’ONU a conclu un accord formel régissant les relations ONU- CPI. Cette juridiction y fut, dans ce même laps de temps, conservée à l’ordre du jour. En pleine guerre contre le terrorisme, il est possible que le rejet de la politique menée par les États-Unis dans le golfe ait joué en faveur de la Cour. Plus ils y étaient défavorables, plus elle était soutenue.

La ratification devient, alors, un acte d’émancipation politique, d’affirmation sur la scène internationale, un nouveau moyen de contestation. Pour la coalition des ONG en faveur de la Cour, « ces décisions démontrent que les petites et moyennes démocraties du monde peuvent résister aux Etats-Unis lorsqu’elles s’obstinent de manière collective dans la défense des principes essentiels d’égalité et de justice pour tous.284 » A l’en croire, il s’agirait presque d’une victoire du bien contre le mal. Le parallèle peut vite être fait avec le fameux axe du mal de Georges Bush, à la différence toutefois que ce dernier serait participant au mal. Cette analyse simpliste paraît souvent en filigrane des argumentaires en faveur de la Cour.

Cet acte de résistance mondiale est de portée limitée et n’est cependant pas une défense de principes. Si cela avait été le cas, la Cour ne ferait pas face aux problèmes de coopération qu’elle connaît aujourd’hui. La réalité internationale a démontré la constance des rapports de force internationaux. Sommés par les États-Unis ou l’UA de surseoir à leur coopération, les Etats n’effectuent pas un choix idéaliste. La défense de principes est toujours un prétexte dans les rapports interétatiques. L’adversaire, une fois diabolisé, il est aisé de justifier une intervention.

283

Les Etats-Unis doivent poursuivre une politique des ‘trois non’ : non à un soutien financier, direct ou indirect, à la Cour ; non à une collaboration pour rendre la Cour opérationnelle ; et non à des négociations avec les autres gouvernements pour ‘améliorer’ la CPI. Cette politique maximisera les chances de ne pas voir la Cour se créer.” Cité par le Courrier International du « Progrès moral ou obstacle à la paix, 23.08.2007 | Elizabeth Rubin | The New York Times, http://www.courrierinternational.com/article/2007/08/23/progres-moral-ou-obstacle-a-la-paix

284

William PACE, 2004: Deux pas en avant, un pas en arrière, Regards sur la Cour Pénale Internationale, Un Bulletin de la Coalition des ONG pour la CPI, N°3, Décembre 2004, p12.

La ratification du statut devient ainsi un argument de poids, opposable à ses contradicteurs. Elle est aussi un enjeu car au centre de discussion. Les Etats ont signé et ratifié en fonction des zones d’influence auxquelles ils appartiennent. La France a entraîné ses pays satellites, les Etats Unis en ont éloigné leurs partenaires

La Cour est une juridiction. De ce fait, elle ne devrait pas distribuer de bons ou de mauvais points aux Etats tiers (Salvador, Nicaragua). Le problème serait tout autre s’ils avaient recueilli et refuser d’extrader un suspect, violer un mandat d’arrêt international. Cette hypothèse est infondée puisque les cas traités par la Cour jusqu’à présent ne concernent que des Etats africains. Le Honduras et la Colombie sont les seuls Etats sud-américains où le Bureau du procureur procède à des examens préliminaires. Aucun tribunal ad’hoc n’a été créé pour des crimes commis en Amérique du Sud. Leur entrave à la justice internationale n’existe donc pas.

Plus que les tribunaux ad’hoc, la Cour a l’opportunité d’influencer les Etats. Les exigences de la Cour priment sur les relations entre deux Etats. Ainsi, en désavouant le Tchad lorsque ce dernier a reçu Al Bashir, elle exprime clairement qu’entre l’UA et la CPI, un Etat partie au Statut se doit de remplir ses obligations envers la Cour285. Elle est supérieure aux organisations régionales et, en effet, dans la hiérarchie des normes, le traité international est supérieur au traité régional.

La Cour intervient dans l’administration de la justice des Etats parties. En Guinée, la procureure adjointe de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a indiqué que « si les plus hauts responsables » des crimes commis au stade de Conakry, le 28 septembre 2009, « ne sont pas poursuivis par les autorités guinéennes, alors la CPI le fera »286 Elle se fonde en cela sur la complémentarité qui exige la démonstration d’une incapacité ou d’une mauvaise foi dans les jugements rendus.

Une fois la Cour impliquée, il est difficile voire impossible de faire marche arrière. Le Kenya en fit les frais. En 2010, la Chambre Préliminaire autorisa le procureur à y ouvrir une enquête. La procédure n’en étant qu’au stade préliminaire, le Kenya a intenté plusieurs recours contre cette admissibilité. En mars 2011, se basant sur la réforme de leur constitution et de leur système judiciaire, les autorités kenyanes ont demandé un désistement de la Cour en leur faveur287 ; ce qui fut rejeté288. Par la suite, elles ont demandé

285

Chambre Préliminaire I, ICC-02/05-01/09, Affaire Procureur c Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Situation au Darfour, Soudan, decision pursuant to article 87(7) of the Rome Statute on the refusal of the Republic of Chad to comply with the cooperation requests issued by the Court with respect to the arrest and surrender of Omar Hassan Ahmad Al Bashir, 13 décembre 2011.

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CPI/GUINEE, En visite à Conakry, Fatou Bensouda presse les autorités,

http://www.hirondellenews.org/fr/cpi/coop%C3%A9ration-avec-les-etats/33012-cpiguinee-en-visite-a-conakry-fatou-bensouda-presse-les-autorites

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Situation In The Republic Of Kenya In The Cases Of Prosecutor V. William Samoei Ruto, Henry Ki P Rono Kosgey, Joshua Arap Sang And Prosecutor V. Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta And Ohammed Hussein Ali, Application On Behalf Of The Government Of The Republic Of Kenya Pursuant To Article 19 Of The Icc Statute, devant la Chambre Préliminaire 2, 31 mars 2011.

une audience orale289 : la Cour aurait ignoré la procédure nationale en cours. Cette requête fut elle aussi rejetée290. La Cour n’a autorisé qu’une fois une telle procédure, pour la République Démocratique du Congo. Elle avait jugé la position congolaise en matière d’admissibilité indispensable. Cela n’empêche pas l’Etat de faire part de ses observations. La République du Congo l’a fait et les Etats en question y ont des représentants.

Cette adhésion permit au statut d’entrer en vigueur rapidement. La Cour existe, elle doit maintenant composer avec les Etats qui n’en voulaient pas. Elle doit faire face au manque de coopération de ses membres.