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SECTION II- LA « POLITIQUE ETRANGERE » DE LA CPI

B- DES CHOIX SERVANT L’EVOLUTION DU DROIT PENAL INTERNATIONAL

2- DES AFFAIRES RENFORCANT LES COMPETENCES DE LA COUR

2- DES AFFAIRES RENFORCANT LES COMPETENCES DE LA COUR

Un examen des chefs d’inculpation démontre ainsi le recours fréquent aux crimes contre l’humanité. Le crime contre l’humanité dépasse du cadre des conflits armés et permet à la Cour d’intervenir de plus près dans les affaires intérieures d’un Etat. Comme nous le soulignerons plus tard, il n’est plus aussi strictement encadré qu’il ne l’était à Nuremberg. Cette qualification semble ainsi être attribuée très légèrement. Tout crime contrevient aux valeurs humaines, il faut donc user de précautions. Dans le cas contraire, l’on arrive à des interprétations erronées et même des propositions ridicules (traduire le Pape devant la CPI pour faits de pédophilie commis par certains prêtres).

Les qualifications de crimes contre l’humanité sont source de discorde au sein même de la Cour. Au sujet du Kenya, le juge Hans Kaul, dans son opinion dissidente, soutient que la Cour pénale internationale ne peut être saisie, car les crimes commis sur le territoire de la République du Kenya pendant les actes de violence qui ont suivi la période postélectorale de 2007/2008, étaient, à son avis, des crimes graves de droit commun relevant du droit pénal kenyan et ne constituent pas des crimes contre humanité tel que codifié dans l’article 7 du Statut de Rome.

Nous pouvons ajouter l’article premier du statut qui indique que la Cour est créée pour juger « les crimes les plus graves ayant une portée internationale ». A l’article 5, il est question de crimes affectant la communauté internationale dans son ensemble. Les crimes commis au Kenya n’ont ni une portée internationale ni un impact sur l’ensemble de la communauté internationale. Ils ont une portée africaine peut-être, mais essentiellement kenyane.

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Idem, par 58.

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Human Right Watch, Un travail inabouti, Des lacunes à combler dans la sélection des affaires traitées par la

Les crimes jugés par la CPI ne portent pas uniquement sur des critères quantitatifs (nombre de victimes), mais sur la gravité, la violence, et même, la sophistication des attaques. Toutefois, la Cour, victime de son succès, se doit d’être plus sélective, car « qui trop embrasse mal étreint ».

La balance entre justice et souveraineté est parfois mise à mal. Le principe de complémentarité avait été conçu comme réconciliant les impératifs de la souveraineté étatique et la justice internationale. N’accorder au Kenya ni opportunité de jugement ni réquisitoire oral n’est-ce pas présumer de sa mauvaise foi ou de l’insuffisance de ses réformes ? Insuffisance non prouvée, car sa Haute Cour de Justice prend des décisions contraires au choix du gouvernement. Le Kenya a payé cher sa ratification du Statut de Rome. Le bénéfice du doute aurait pu lui être accordé.

La différence de traitement existant entre les Etats qui ont volontairement saisi la Cour et les autres, est ainsi flagrante. La RDC ne brille pas plus que le Kenya par sa coopération. Elle semble pourtant bénéficier d’un regard plus favorable. Il en va de même pour l’Ouganda.

- Le processus électoral

Une implication dans la vie politique locale apparaît. Nous l’avions évoqué à l’occasion du Tchad, par exemple. La Cour avait droit de regard sur les visites officielles de chefs d’Etats étrangers.

La Cour observe ainsi les processus électoraux de ses membres372. En Guinée, par exemple, Fatou Bensouda exhortait les hommes politiques, les forces de défense et de sécurité, à l’observation d’un certain comportement. Elle appelait également à un retour au calme373. De telles exhortations ne sont pas sans rappeler celles que peut adresser l’ONU dans une telle situation. Elle n’intervient pas militairement, mais, même dans le cadre de l’ONU, l’option militaire n’est employée qu’en dernier ressort.

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Déclaration à la presse de Mme Fatou Bensouda, Procureur adjoint, Conakry, 10 novembre 2010 : « Mon

second objectif est lié au mandat préventif du Procureur de la CPI. Le Procureur est mandaté pour faire en sorte que les auteurs des crimes les plus graves soient poursuivis. Il est également mandaté pour éviter que de nouveaux crimes soient commis. La Guinée achève une période de transition extrêmement importante pour son avenir mais aussi susceptible de générer de la violence, comme nous l’avons observé ces dernières semaines. Nous savons que la violence peut surgir à l’occasion d’élections. Nous savons aussi que les violences électorales peuvent aboutir à la commission de crimes relevant de la compétence de la CPI, comme cela s’est passé au Kenya où nous avons depuis ouvert une enquête. Nous ne voulons pas de pareil scénario en Guinée, pas de violence, pas de crimes »

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Déclaration du Procureur adjoint de la CPI, Fatou Bensouda, sur la situation en Guinée, 19 novembre 2010, « J’exhorte les forces de sécurité à s’abstenir de tout recours excessif à la force contre la population civile.

J’encourage les dirigeants politiques à continuer d’appeler leurs partisans et leurs concitoyens au calme et à éviter les troubles. »

Il faut rappeler que la Guinée n’est pas un Etat dont la situation fasse l’objet d’enquêtes. Pour l’instant, cet Etat juge ses propres ressortissants. Il n’est, pourtant, pas à l’abri d’une saisine de la Cour. Fatou Bensouda a, en effet, menacé de déférer cette situation devant la Cour. Une telle déclaration va au-delà du simple fait juridique. Elle enjoint au gouvernement local un certain type de comportement sans quoi il sera sanctionné. Il n’est plus question de soft power mais de hard power dans un domaine relevant des pouvoirs les plus élémentaires de l’Etat374.

La coopération avec la Cour s’entendant des juridictions nationales comme des forces de police, l’on se retrouve parfois dans une situation de porte à faux entre gouvernement et tribunaux locaux. C’est l’exemple déjà évoqué de la Haute Cour de Justice kenyane demandant aux forces de police d'arrêter le président soudanais tandis que le pouvoir en place décidait de ne pas coopérer avec la CPI.

Une telle situation peut inciter d’autres Etats à ne pas entreprendre les réformes nécessaires à la modernisation et l’indépendance de la justice. La ratification d’Etats tiers est, dans un tel cas, loin d’être acquise.

La situation guinéenne pourrait être un tournant dans la politique de la Cour. Le procureur aspire à un rôle plus important sur la scène internationale. L’on peut s’attendre au renforcement du rôle préventif. La Cour ayant la responsabilité de protéger les ressortissants de ses Etats parties, elle pourrait, elle-même, par la voix de son procureur, attirer l’attention du Conseil de Sécurité sur la situation vécue dans un Etat donné. Elle lui demanderait ainsi de la saisir d’un dossier. M. Ocampo s’estimait partie prenante de la résolution en Libye, les futurs procureurs pourraient être à l’origine de nouvelles résolutions.

La juridiction perd de sa neutralité. Comment peut-elle juger en toute impartialité les chefs d’Etat qu’elle a, dès le départ, mis en cause ? L’on revient encore et toujours à ce principe de la présomption d’innocence.

Si la Cour poursuit les violences en période électorale, n’y a-t-il pas un risque pour elle de devenir un Conseil Constitutionnel bis, invalidant et certifiant des élections ? En effet, condamner des responsables d’un parti vainqueur aux élections, n’est-ce pas porter atteinte à la crédibilité du processus électoral tout entier ? A ce titre, le président en exercice « mal élu » pourrait devenir illégitime. Faut-il alors réorganiser les élections ?

Le cas ivoirien aurait pu offrir à la Cour la possibilité de conjuguer cet aspect de contrôle de déroulement des élections avec celui, plus habituel pour une juridiction internationale, d’un conflit armé. Au départ, cependant, M. Laurent Gbagbo n’y est poursuivi que pour ce que l’on a appelé « la guerre d’Abidjan ». En dépit d’une déclaration de conformité lui permettant d’enquêter depuis les évènements de 2002, elle n’a retenu que la crise

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La Guinée risque fort de s’en tirer car les restrictions budgétaires actuelles ne permettent pas à la Cour de s’occuper d’une autre affaire.

postélectorale qui fit moins de victimes que la rébellion armée de Soro Guillaume, devenu depuis premier ministre puis président de l’Assemblée Nationale. Les militaires de ce dernier, mis en cause eux-aussi par les ONG internationales, ne sont pas pour l’instant inquiétés par la justice internationale.

Ce nouveau cheval de bataille de la CPI – le contentieux électoral - a pour but à long terme de faire respecter la démocratie. De manière indirecte, elle se prononce sur l’exercice du pouvoir politique. Si elle persiste dans cette voie, elle a effectivement du grain à moudre en Afrique, et de nombreux procès en perspective. A-t-elle été créée pour cet objectif ? Non. Elle devait à l’origine s’occuper des plus grands criminels. Aujourd’hui, elle poursuit certes d’anciens chefs d’Etats, mais pas pour les chefs d’accusations les plus graves.