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SECTION II- LA « POLITIQUE ETRANGERE » DE LA CPI

A- DES CHOIX GUIDES PAR LE REALISME POLITIQUE ET JURIDIQUE

2- UNE POLITIQUE « MEDIATIQUE »

Les affaires portées devant la Cour sont des affaires fortement médiatisées. Les problèmes connus par la République démocratique du Congo, le Kenya, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire ou encore la Libye ont fait l’objet d’éditions spéciales dans la presse écrite ou télévisuelle. Ces situations furent ainsi médiatisées bien avant une intervention de la Cour, que celle-ci soit volontairement sollicitée par l’Etat concerné, de l’initiative du procureur ou de celle du Conseil de sécurité. Les médias attirent l’attention sur les situations graves. Cependant, ils ne peuvent rendre compte de toutes les tragédies. Ils effectuent des choix éditoriaux. Ils suivent la ligne de leur gouvernement sur la scène internationale. Ceux qui ne le font pas sont soit des médias marginaux soit pénalisés. La critique si elle intervient n’apparaît qu’après coup. La frontière entre hommes politiques et journalistes est mince.

Les médias sont également biaisés. En dépit de quelques réserves sur la forme, ils ont tous salué l’action en Libye. Un chef d’Etat africain est ainsi un dictateur, son opposant forcément dans son bon droit quel que soit les moyens employés pour accéder au pouvoir : rébellion ou

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coup d’Etat. En Syrie, tout massacre est attribué à l’armée de Bashar Al Assad, jamais aux insurgés. Or, les deux camps disposent d’armes de guerre. Dans le but de rendre l’information plus attractive pour le téléspectateur, ils simplifient des situations très complexes : d’un côté, le camp du bien (les insurgés, les rebelles), de l’autre celui du mal (Assad ou Khadafi). Fait étonnant, tous ces méchants ne le sont que depuis que certaines puissances en ont décidé ainsi. Les correspondants de presse vivent tous entre eux et adoptent rapidement les mêmes opinions351. Ils commentent des faits se produisant loin du lieu dans lesquels ils se trouvent. De ce fait, il est dangereux de s’en remettre uniquement à ceux-ci.

Pour le Glasgow University Media Group, “The news is not a neutral and natural phenomenon; it is rather the manufactured production of ideology.”352

L’intérêt porté à l’institution ne doit pas être négligé. Première juridiction mondiale permanente, son travail éveille la curiosité. Les opinions sont rarement neutres. Les débats entre détracteurs et partisans sont toujours vifs. Elle juge les crimes les plus graves et en poursuit les plus hauts responsables. Tant les chefs d’accusations que la qualité des suspects sont susceptibles d’intéresser les journalistes.

Les actions de la Cour attirent ainsi l’attention des médias, mais pas de manière uniforme. L’ouverture de la session de l’Assemblée des Etats parties sera évidemment moins couverte que l’ouverture d’une enquête. Les enjeux ne sont pas les mêmes.

Le procureur se sert des médias. Contrairement aux procureurs des tribunaux ad’hoc, il est beaucoup plus présent dans les médias. Dû à la permanence de l’institution, à la durée de son mandat, il est plus connu du grand public. En évoquant le risque que constituerait une cour isolée, il insistait sur la nécessité de sortir du silence. Ce faisant, les risques d’incompréhension quant au rôle de la Cour seraient diminués.

Le problème d’une telle politique réside dans la captation de l’intérêt des médias. La quête du sensationnel est un danger bien présent pour le Bureau du Procureur. Les coups d’éclats comme les mandats d’arrêts contre Oumar Al Baschir et Mouammar Kadhafi sont certes intéressants pour faire de l’actualité, mais ils n’ont pas aboutis. L’un est mort, l’autre toujours en place. Cette attitude lui fut reprochée.

La Cour a également une politique de communication. Elle dispose d’une Unité des affaires publiques. Cette unité est en charge des relations avec les médias et de la fourniture de

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Pour les préjugés du correspondant de presse étranger voir, par exemple, Binyavanga WAINAINA, How not

to write about Africa in 2012 – a beginner's guide, 3 juin 2012, consultable sur le site de The Guardian,

http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2012/jun/03/how-not-to-write-about-africa?INTCMP=SRCH, et ROLAND HUREAUX, Syrie : certitudes et incertitudes de la guerre médiatique, 26 Juin 2012, Marianne.FR, http://www.marianne2.fr/Syrie-certitudes-et-incertitudes-de-la-guerre-mediatique_a220108.html

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services visant à permettre une couverture médiatique exacte des activités de la Cour353. Les audiences sont retransmises sur le site de la Cour.

Elle peut également disposer de relais auprès du public avec les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Youtube. Elle ne dispose d’aucun compte officiel sur Facebook, seulement sur Youtube354et Twitter355. Elle peut également compter sur les militants et activistes qui soutiennent et relaient son action. Une vidéo de 30 minutes, appelant à la capture de Joseph Kony, diffusée sur internet, a été vue près de 100 millions de fois356. Le procureur y apparaît. Il y demande sa capture. Ce mouvement, Kony 2012357, aurait contribué à l’envoi sur le terrain d’une force d’encadrement américaine. Elle a pour but d’aider l’armée ougandaise à traquer Joseph Kony.

Pour Philippe Bernard, un tel mouvement pour la capture de Joseph Kony est en fait à rapprocher avec les ressources pétrolières découvertes en Ouganda358. Il dénonce le message simpliste qui s’y trouve : « Si Joseph Kony est arrêté, tous les enfants retourneront chez eux »,…Cette vidéo fut critiquée par certains activistes ougandais. Ils en critiquaient la rhétorique du sauveur blanc et l’insignifiance de Kony sur la scène politique ougandaise. Les vidéos furent accusées d’exploiter les émotions du public.

Il existe cependant un problème de taille. Les réseaux sociaux sont largement fondés sur une culture de l’ « instant présent ». Pas la justice. Il ne faut pas oublier que s’il est capturé, le procès de Joseph Kony ne sera pas « instantané ». Il s’étendra sur de longues années. N’étant que suspect et non coupable, il revient alors au procureur d’apporter des preuves de sa participation aux crimes qui lui sont reprochés. Les victimes devront être entendues, les avocats de la Défense aussi. Lors de l’audience de confirmation des charges, ou à l’heure du verdict, il pourrait même ne pas être condamné et relâché. Faut-il s’attendre à du découragement de la part de ces jeunes militants ? S’il était relâché, cela ne nuirait-il pas à l’image même de la Cour et de la justice internationale dans son ensemble ? Cette relaxe serait vue comme un échec et entacherait la réputation de la Cour. Elle serait vue comme ayant remis en liberté un coupable. Kony est, en effet, présenté d’emblée comme coupable dans cette vidéo, ce qui n’est pas sans porter atteinte à sa présomption d’innocence auprès du public. Endosser de telles initiatives dont elle n’est pas à l’origine peut lui être préjudiciable.

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http://www.icc-cpi.int/nr/exeres/13cd3142-7459-48f0-b26a-da45723f8482.htm

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Compte youtube, 1081 abonnés, ouvert le 6 octobre 2009, International Criminal Court: http://www.youtube.com/IntlCriminalCourt

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Compte Twitter, 28.220 abonnés: http://twitter.com/#!/IntlCrimCourt

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Le chiffre était de 104,506,332 le 25 juin 2012. http://www.kony2012.com/watch_the_movie.html Une seconde vidéo fut réalisée et vue 2 million de fois.

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Ce mouvement fut initié par l’organisation Invisible Children.

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Ce raisonnement sur la rapidité d’exécution est également valable pour les médias traditionnels, à l'affût du scoop et du meilleur audimat possible. Celui sur la présomption d’innocence et la retenue des médias également.

Des célébrités soutiennent aussi son action. Angelina Jolie a assisté au verdict du procès Lubanga. La fondation Jolie-Pitt organise et supporte des séminaires en faveur de la CPI359. Catherine Deneuve, Youssou N’Dour ou George Clooney - dont l’engagement envers le Darfour est connu360- militent en faveur de la justice internationale. D’autres se retrouvent bien malgré elles au banc des témoins. C’est le cas de Naomi Campbell à qui Charles Taylor a offert des diamants de sang. Sa citation à comparaître et son audition furent largement reprises par les médias.

Les raisons pour lesquelles ces stars s’engagent aux côtés de la Cour peuvent être altruistes. Elles peuvent être aussi une opération de relations publiques, la recherche d’une bonne publicité. Dans ce cas, ce soutien bénéficie à toutes les parties impliquées. L’impact réel d’un tel soutien est difficile à établir. Il est, cependant, indiscutable que la Cour bénéficie d’un accès à un public plus large que les questions de justice internationale n’intéressent pas forcément361.

Une recherche google avec les mots « luis moreno ocampo » c’est 2.680.000 résultats, « Antonio Cassesse », président du tribunal spécial pour le Liban, 25.400362. Le procureur est donc un des personnages du monde juridique les plus intéressants.

La médiatisation de la justice n’est pas sans rappeler celle de la vie politique où la peopolisation/vedettisation des personnalités politiques est un phénomène de plus en plus présent.