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SECTION I- L’ACTION DE LA COUR, UN ELEMENT JURIDIQUE MAIS AUSSI POLITIQUE

2 - UN MONDE PLURIEL

B- LE RENVOI PAR L’ETAT ET SES CONSEQUENCES

2- SOUPÇONS D’INSTRUMENTALISATIONS

L’on peut se demander pourquoi Jean Pierre Bemba est mis en cause par la Centrafrique et non pas la RDC ? Il est accusé d’avoir soutenu le chef d’Etat de l’époque, Ange Félix Patassé, contre un coup d’Etat mené par François Bozizé298. Ce dernier, réussissant dans son entreprise, a saisi la Cpi. Jean-Pierre Bemba est donc « puni » pour avoir soutenu l’ancien régime en place. Il est d’ailleurs le seul mis en cause dans l’affaire centrafricaine.

Par ailleurs, d’aucuns en RDC ont l’impression que le procureur a pris Bemba pour cible parce qu’il voulait obtenir la coopération du Président congolais Joseph Kabila dans les enquêtes ouvertes par la CPI en RDC299. De plus, si Patassé et Bemba ont formé une alliance, est-il impossible pour leurs adversaires d’avoir fait de même ?

Les coups d’états et leurs tentatives sont généralement condamnés. Il est paradoxal que ce soit un partisan d’un régime en place qui soit écroué. Il a tenté de s’opposer au

Pour plus d’informations, voir le site de la Cour, http://www.icc-cpi.int/menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200205/related%20cases/icc020502 09/icc02050209?lan=fr-FR

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« La Chambre est d'avis qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il existait un accord entre M. Jean-Pierre Bemba et M. Félix Patassé et que cet accord reposait sur l'engagement réciproque pour M. Ange-Félix Patassé, de bénéficier de l'assistance militaire de M. Jean-Pierre Bemba afin d'assurer son maintien au pouvoir et pour M. Jean-Pierre Bemba de bénéficier, entre autres, du soutien stratégique et logistique de M. Ange-Félix Patassé et d'éviter que la RCA s'allie avec le Gouvernement en place à Kinshasa. » in Le Procureur C. Jean-Pierre Bemba Gombo, Mandat D'arrêt À L'encontre De Jean-Pierre Bemba Gombo Remplaçant Le Mandat D'arrêt Décerné Le 23 Mai 2008, N° : ICC-01/05-01/08, 10 juin 2008, par.20.

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renversement d’un régime. Il aurait dû être soutenu. Ni Bozizé ni Patassé ne peuvent être considérés comme des combattants de la liberté et de la démocratie.

De même, quand le Procureur annonce la saisine de la Cour par l’Ouganda, il le fait aux côtés du Président ougandais. S’associant avec le gouvernement en place, il semble le soutenir. L’on peut, alors, se demander si cette action en justice ne concernera que la LRA ou ARS (Armée de Résistance du Seigneur).

En effet, le communiqué de presse relatif à la situation en Ouganda indiquait : « Le Procureur s’est entretenu à Londres avec le Président Museveni afin de jeter les bases d’une future coopération entre l’Ouganda et la Cour pénale internationale. Le principal problème sera de localiser et d’arrêter les dirigeants de l’ARS300

Les dirigeants de l’ARS bénéficiaient d’une loi d’amnistie. Ils en furent exclus par le président Museveni afin de permettre leur inculpation par la Cour. Pour lui, il s’agissait de garantir que les personnes portant la plus grande responsabilité des crimes contre l’humanité perpétrés dans le nord de l’Ouganda soient traduites en justice, donc l’ARS. Cette exclusion d’une loi d’amnistie est en contradiction avec l’argument selon lequel les intérêts de la paix passent avant ceux de la justice. Pour beaucoup de chefs d’Etats, en effet, les exigences de la justice nuisent au processus de paix. Il est ici indéniable qu’il ne s’agit pas d’exigences de la justice, mais de calculs politiques.

Le Bureau du Procureur a plusieurs fois affirmé sa volonté de traduire des membres des Forces Armées Ougandaises301. Cependant, à ce jour, seuls des membres ou présumés membres de cette organisation font l’objet de procédures devant la Cour302.

Ces procédures sont paralysées. Aucun des suspects n’a été transféré à La Haye depuis 2005. Depuis 2009, ni le procureur ni la défense n’ont présenté de nouveaux documents au procès. Ni le président de la Cour, ni le procureur sortant, ni son successeur n’en n’ont fait mention lors de leurs allocutions devant les Etats parties303. Pour la FIDH, l’absence de progrès dans cette affaire est à rapprocher avec la politique du procureur de réallouer les fonds pour des affaires plus importantes. L’équipe d’enquêteurs travaillant soit au ralenti faute de moyens

300

Le Président ougandais renvoie la situation concernant l’Armée de résistance du Seigneur (ARS) à la CPI,

ICC-20040129-44, consultable sur le site de la Cour, http://www.icc-cpi.int/menus/icc/press%20and%20media/press%20releases/2004/president%20of%20uganda%20refers%20si tuation%20concerning%20the%20lord_s%20resistance%20army%20_lra_%20to%20the%20icc?lan=fr-FR

301

Le procureur déclarait le 30 novembre 2007, dans un discours devant l’assemblée des Etats parties à New York « mon bureaau sollicite des renseignements auprès du gouvernement ougandais sur les crimes qui

auraient été commis par les UPDF » p4 de son allocution. 302

Il s’agit de l’affaire n°ICC-02/04-01/05, Le Procureur c/ Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen, les différends chefs d’accusations sont consultables sur la page dédiée à la situation de l’Ouganda sur le site de la Cour

http://www.icc-cpi.int/menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200204/related%20cases/icc%2002 04%200105/uganda?lan=fr-FR

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Comme exemple, Bulletin d’information hebdomadaire du Bureau du Procureur, Semaine du 29 mars au 4 avril 2011 – numéro 81, p.3/7. Seule l’émission de mandats d’arrêts est évoquée.

ou n’existerait même plus. Les investigations nécessaires en Libye vont peser sur ce budget et les autres affaires en pâtiront.

Refuser de livrer un suspect peut aussi être un moyen de s’affirmer sur la scène internationale. Ainsi, le CNT libyen a refusé le transfèrement de Saif Al Islam Kadhafi en dépit de la saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité qui lui en a confié la primauté. Installé par des forces internationales, le CNT cherche à prouver qu’il ne leur est pas soumis. L’on en appelle à la communauté internationale lors de troubles internes, mais le calme revenu, l’on préfère qu’elle se retire.

Les Etats concernés ne livrent parfois que des pions, des « seconds couteaux » comme c’est le cas au Kenya. Les hauts responsables ne sont pas inquiétés. Les suspects à remettre à la justice internationale font l’objet de négociations non seulement entre les différents partis politiques locaux, mais également avec leur soutien à l’étranger. Les autres puissances ne se préoccupent pas de ces affaires dans lesquelles elles n’ont aucun intérêt à défendre. Le fondateur de l’organisation Invisible Children relate ainsi que sa campagne pour l’arrestation de Joseph Kony ne rencontra qu’indifférence auprès de Washington car l’Ouganda n’entrait pas dans les grands axes de la politique américaine.

L’on a déjà évoqué le problème de la présomption d’innocence dans le cadre d’une enquête décidée par le Conseil. Qu’en est-il dans l’hypothèse de l’affaire soumise par l’Etat concerné ?

Le problème reste le même. Nous y évoquions le cas de Calixte Mbarushimana. Le Procureur ayant fait des déclarations entachant ce principe, les juges lui ont demandé de le respecter. Le suspect, accusé de cinq chefs de crimes contre l’humanité et huit chefs de crimes de guerre, fut finalement relaxé, le 23 décembre 2011. La décision refusant de confirmer les charges fut prise à la majorité de la Chambre malgré une opinion dissidente de son président304. La Chambre a invoqué la contradiction des témoins et le fait qu’il était inconnu de la majorité des soldats sur le terrain. Dans des termes cinglants, la Cour a reproché leur négligence manifeste aux deux parties : accusation et défense305.

Le raisonnement du procureur peut être biaisé. Il oublie parfois d’instruire à charge et à décharge. Les exigences liées à un procès équitable de l’accusé ont conduit par deux fois à l’interruption du procès Dyilo. Les juges ont reproché au procureur de ne pas avoir fourni à

304

La Chambre Preliminaire I, Situation En Republique Democratique Du Congo, Le Procureur C. Callixte Mbarushimana, Décision relative à la confirmation des charges, 16 décembre 2011, ICC-01/04-01/10

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« la Chambre tient à exprimer son mécontentement quant au comportement adopté par les parties tout au long des procédures qui ont précédé l'audience de confirmation des charges ; .. les parties n'ont pas satisfait à leurs obligations ou l'ont fait de façon erronée ;… La Chambre estime que la Cour doit devenir un modèle en matière de procédure internationale pénale. Voilà pourquoi elle invite les parties à faire une analyse critique de leur comportement tout au long des procédures, dans l'espoir qu'elles en tirent des enseignements importants en vue de leurs futurs rapports avec la Cour», in LE PROCUREUR c. CALLIXTE MBARUSHIMANA Décision relative à la confirmation des charges, Version publique expurgée N° : ICC-01/04-01/10, 16 décembre 2011, par 35-38, p20-21.

la défense certains éléments potentiellement disculpatoires en sa possession. Le refus de se conformer à l’ordonnance du juge a conduit à une seconde suspension immédiate de la procédure. Une décision de remise en liberté de l’accusé fut même prononcée,306 mais infirmée par la suite. Le procureur estimait ne pouvoir les divulguer pour cause de confidentialité. Pour la Cour, il ne lui revenait pas de prendre seul cette décision, mais aux chambres. Il se doit de toujours garder à l’esprit les obligations que lui impose le Statut307. En 2006, déjà, la Chambre Préliminaire I308 a dû ordonner au bureau du procureur de se conformer aux obligations de communications incombant à l’Accusation et de donner à la Défense la liste des objets saisis lors des diverses perquisitions effectuées et celle des témoins qu’ils présenteraient lors de l’audience de confirmation des charges.

Les Etats ont d’autant intérêt à saisir la Cour qu’ils peuvent influer sur les décisions ou ralentir considérablement le procès. La coopération avec la juridiction internationale s’effectue au gré des intérêts. Les personnes transférés et livrées sont essentiellement des ennemis des régimes en place.

Ceci n’est pas un phénomène nouveau. Ni le TPIR, ni le TSSL, ni même le TPIY n’ont réussi à sortir de cette nouvelle forme de justice des vainqueurs. Ils n’ont condamné que ceux qu’ils ont pu arrêter, ceux qu’on a bien voulu leur livrer.

Les pressions extérieures ne doivent pas être écartées ici aussi. Selon Carla del Ponte, elle aurait été relevée de ses fonctions au TPIR par les États-Unis et le Royaume-Uni. Son obstination à poursuivre M. Kagamé et le FPR serait la cause de son éviction. Le conflit avec la justice locale ne doit pas être ignoré. Le président de l’association des avocats de la défense du TPIR a été arrêté et condamné à la prison à vie pour « négation de génocide »309. Au-delà de cette accusation, il est avocat de Victoire Umuhoza Ingabire, opposante politique et présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi). Cette dernière ne put se présenter aux élections à cause de son dossier judiciaire.

Les affaires concernant des membres du FPR font l’objet d’un compromis entre le TPIR et le Rwanda. Elles sont jugées par les juridictions locales, elles-mêmes sous surveillance du

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CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I, Le Procureur C. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à la mise en liberté de Thomas Lubanga Dyilo, 2 juillet 2008.

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Chambre d’appel, Le Procureur C. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la décision relative aux conséquences de la non-communication de pièces à décharge couvertes par les accords prévus à l’article 54-3-e du Statut, à la demande de suspension des poursuites engagées contre l’accusé et à certaines autres questions soulevées lors de la conférence de mise en état du 10 juin 2008, rendue par la Chambre de première instance I, 21 octobre 2008.

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Chambre Préliminaire I, Situation En République Démocratique Du Congo, Affaire Le Procureur C. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative à la requête de la Défense tendant à ce que soit ordonnée la communication d’éléments à décharge, Version publique expurgée, N° : ICC-01/04-01/06, 2 novembre 2006, http://www.icc-cpi.int/iccdocs/doc/doc243494.PDF

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tribunal international310. Cependant, les soldats condamnés à cette occasion ne sont que des pions. Les principaux responsables restent impunis311.

Cette pression des Etats, leur manque de coopération, et parfois, même, la maladresse du Procureur portent atteinte à l’impartialité et l’indépendance de la Cour.