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SECTION I- LA RESPONSABILITE DES ORGANISATIONS TERRORRISTES

PEUT-ON ENCADRER L’ACTION ANTITERRORISTE?

Il est nécessaire de l’encadrer car elle est critiquable à deux niveaux. D’abord, l’élaboration d’un certain nombre de règles portant atteinte aux droits de l’Homme ; et, ensuite, le traitement accordé aux personnes soupçonnées d’actes terroristes.

1- L’ELABORATION DE REGLES PORTANT ATTEINTE AUX DROITS HUMAINS

Dans ce domaine, il est impossible d’ignorer l’exemple américain. Dans la psychose sécuritaire qui a suivi le 11 septembre, les Etats Unis ont successivement adopté le Authorization for Use of Military Force, le Patriot Act397, le Detainee Treatment Act en 2005, et le Military Commissions Act en 2006398 .

Cette dernière disposition interdisait aux tribunaux américains de connaître d’une action portée devant eux par voie d’habeas corpus ou de recours concernant la détention d’ennemis combattants. Elle a été déclarée inconstitutionnelle dans l’arrêt Boumediene. La Cour Suprême y statuait, en 2005, que les détenus de Guantanamo Bay devaient être promptement fixés sur la légalité de leur détention au regard de l’habeas corpus. En 2009,

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Pour un tableau récapitulatif des principales dispositions du Patriot Act incompatibles avec la constitution américaine, voir Concerned Citizens Against the Patriot Act (CCAPA), Patriot Act vs. Constitution, http://www.scn.org/ccapa/pa-vs-const.html

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En 2001, le Congrès américain a adopté le Authorization for Use of Military Force autorisant le Président à utiliser toute la force nécessaire et appropriée contre les auteurs des attaques du 11 septembre. La Cour Suprême dans son arrêt Hamdan vs Rumsfeld, ayant statué que les commissions militaires qui en ont résulté sont contraires au droit militaire américain et au droit de la guerre, l’administration Bush a fait adopter le

Amnesty International constatait que dix mois après cet arrêt très peu d’entre eux avaient eu la possibilité de se faire entendre par un tribunal399.

Les Etats Unis ne sont pas les seuls à avoir pris des mesures liberticides. De nombreux pays africains condamnent par exemple « l’apologie du terrorisme » visant ainsi à restreindre la liberté d’expression, sans en donner de définitions400. La peine de mort peut être encourue401.

La lutte antiterroriste sert aussi le pouvoir en place. Des opposants sont été arrêtés pour acte de terrorisme. Au Zimbabwe, toute critique contre le président Mugabé est susceptible de constituer un acte terroriste. Un porte-parole du gouvernement accusait six journalistes qui avaient travaillé pour des médias étrangers d’être des « terroristes » parce que leurs reportages sur la violence politique du pays étaient des distorsions des faits et ne faisaient qu’appuyer « les terroristes accusés dans nos tribunaux d’enlèvement, de torture et de meurtre »402.

De même, selon la loi mauricienne sur la prévention du terrorisme de 2002, le procès d’un auteur présumé d’acte terroriste peut être interdit au public, et le juge a le pouvoir d’exclure toute personne des audiences y compris les représentants légaux des accusés. Dans ses conclusions concernant cette loi, le Comité des droits de l'Homme des Nations unies a « fait part de sa préoccupation quant aux dispositions de cette loi n'autorisant pas la libération sous caution et l'accès à un avocat durant 36 heures contrairement aux dispositions du Pacte (articles 7 et 9 du Pacte) ».

La lutte antiterroriste se discrédite et ces législations privatives des droits ont fatalement des conséquences néfastes sur le sort des personnes soupçonnées de terrorisme.

2- LE TRAITEMENT RESERVE AUX PERSONNES SOUPÇONNEES DE TERRORISME

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Amnesty International, États-Unis. Révisions judiciaires et voies de recours : un mythe plus qu'une réalité

pour les détenus de Guantánamo, 09 April 2009, AI Index: AMR 51/051/20 400

Soulignons que pour le Comité européen d’experts sur le terrorisme, la Cour Européenne des droits de l’homme ne justifie la restriction de la liberté d’expression que pour des faits particulièrement graves (arrêt Sener : incitation à « la haine, vengeance, récrimination ou résistance armée » ; arrêt Özgur : déclaration prônant « l’intensification de la lutte armée, glorifiant la guerre et énonçant l’intention de combattre jusqu’à la

dernière goutte de sang »). Elle considère la qualité des auteurs (un homme politique de l’opposition aura plus

de liberté qu’un simple particulier car il défend les idées de son électorat), recueil de la jurisprudence

pertinente de la Cour Européenne des droits de l’Homme relatif à « l’apologie du terrorisme » ou « incitment to terrorism », 2004, p.7.

401

A contrario, pour le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, toute action qui vise à restreindre l’applicabilité de la peine de mort, est un pas de plus dans le respect du droit à la vie.

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FIDH, Violations des droits de l'Homme en Afrique sub-saharienne au motif de la lutte contre le terrorisme

La lutte antiterroriste pose problème à trois niveaux :

· Le transfert forcé de personnes soupçonnées d'actes terroristes · La détention secrète et l’utilisation de la torture

· Le droit des victimes à un recours procédural

Les transferts interétatiques de personnes concernent l’extradition403 ou l’expulsion404 (encore appelée déportation). Toutes deux sont strictement encadrées juridiquement en vue de garantir les droits fondamentaux de la personne. Or, la lutte antiterroriste ne respecte pas ces règles. Il s’agit dans ce cas d’un transfert ou enlèvement illégal.

Le cas de Muhammad Saad Iqbal Madni, un pakistanais de 24 ans, en 2002, est frappant405. Il fut arrêté par des agents du renseignement indonésien à Jakarta. Deux jours après, sans passer devant un tribunal ou consulter un avocat, il était embarqué à bord d’un Gulfstream américain en destination de l’Egypte où il fut interrogé par des agents américains. Quelques jours avant sa capture, la CIA avait informé l’Indonésie qu’elle possédait des preuves le reliant à Richard Reid406. Elle a alors fait pression sur l’Indonésie afin qu’elle saisisse le Pakistan, pays où se trouvait alors Iqbal. Peu de temps après, l’Egypte demanda à l’Indonésie son extradition.

Les autorités indonésiennes ont expliqué aux médias locaux qu’Iqbal a été envoyé en Egypte suite à un problème de visa. Selon le Washington Post, un officiel indonésien, commentant le rôle de son pays dans cette affaire, avoua que révéler leur aide aux Etats Unis aurait mis le gouvernement dans une situation délicate face aux partis islamiques, membre de la coalition au pouvoir.

Le rapporteur spécial de l’ONU contre la torture, Juan MENDEZ, a indiqué qu’il ne pourrait être plus clair que la pratique du waterboarding407 est « immorale, illégale et constitue un

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L’extradition implique un processus judiciaire, parfois exécutif ; les crimes concernés sont en nombre restreints dû au principe de spécialité ; et, enfin, le principe de double incrimination suppose que le crime en question constitue une infraction dans les deux Etats en cause. Bien plus, l’on ne peut extrader un individu vers un Etat pratiquant la peine de mort ou s’il y a des raisons sérieuses de supposer qu’il pourrait y être soumis à la torture, à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

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En matière d’expulsion, il s’agit d’un citoyen étranger indésirable qui est retourné dans son pays d’origine. Elle est, elle aussi, encadrée juridiquement et la garantie contre la torture et autres traitements cruels, dégradants, et inhumains, est exigée.

405

Exemple tiré de Rajiv CHANDRASEKARAN and Peter FINN, U.S. Behind Secret Transfer of Terror Suspects, Washington Post Foreign Service, 11 mars 2002; pA01.

406

Richard Reid, citoyen britannique, tenta, le 22 décembre 2001, de faire exploser un avion de l’American Airlines qui allait de Paris vers Miami avec des explosifs cachés dans ses chaussures.

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Torture par l’eau qui a pour effet de faire suffoquer la victime en simulant la noyade. « Le prisonnier est

attaché à une planche inclinée, les jambes levées et la tête légèrement plus basse que les pieds. On lui enveloppe la tête de cellophane et de l'eau lui est versée dessus. Inévitablement, les réflexes de suffocation s'enclenchent et une peur panique de la noyade force le prisonnier à supplier que l'on arrête le traitement. D'après nos sources, les officiers de la CIA qui se sont soumis à la technique de la simulation de noyade (waterboarding) ont résisté en moyenne 14 secondes avant de craquer. Ils rapportent que le prisonnier d'Al-Qaida le plus dur, Khalid Cheikh Mohammed, s'est attiré l'admiration des interrogateurs en résistant entre deux

acte de torture408 ». De ce fait, Bush et son administration devraient faire l’objet d’enquêtes pour leur participation dans ces actes de torture409. Il accusait l’actuel gouvernement américain de ne pas poursuivre cette affaire de manière sérieuse. M. Manfred NOWAK, ancien rapporteur des Nation Unies contre la torture, a également fait savoir à l’administration Obama que ne pas le faire était contrevenir aux dispositions de la Convention des Nations Unies contre la torture.

Le retrait des troupes en Irak et Afghanistan ne signifie pas que la paix et la sécurité soient revenues dans ces régions. Bien, au contraire, il montre l’insuffisance et l’éreintement d’une politique irrespectueuse des droits. Bien plus, les dérives de l’action antiterroriste pourraient être considérées comme des crimes contre l’humanité.

Cette question du crime contre l’humanité n’est pas posée dans la lutte contre le terrorisme mais contre le terrorisme lui-même. Cette problématique serait, en l’état actuel des choses et en attendant une réforme du Statut de Rome, la réponse la plus efficace à l’action antiterroriste qui remet en cause l’adaptation du droit international face à ce crime.

II- LE TERRORISME, UN CRIME CONTRE L’HUMANITE ?

A la question de savoir si les attentats du 11 septembre pourrait constituer un crime contre l’humanité et, donc relever de la compétence de la CPI, Louise Arbour, ancien procureur au TPIY, répond: « Dans certains cas, la CPI pourrait, en effet, avoir compétence pour juger les actes terroristes de grande envergure relevant de cette notion de crime contre l'humanité »410. Elle souligne même que l’omission du crime de terrorisme dans son statut en fait une institution « dépassée ». Cette position est une volte-face par rapport aux conclusions de la commission de préparation du Statut.

A- UN REVIREMENT DES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DE PREPARATION DU STATUT

minutes et deux minutes et demi avant de supplier qu'on le laisse parler. » Brian ROSS et richard ESPOSITO, CIA's Harsh Interrogation Techniques Described, pour ABC NEWS, 18 novembre 2005.

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Interview accordée en novembre 2010 à la radio ABC NEWS en Australie et consultable en partie ici http://thinkprogress.org/security/2010/11/13/129910/un-rapporteur-bush-torture/

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Dans une interview accordée le à la chaine de télévision NBC, M.Bush reconnaît avoir autorisé la torture et affirme qu’il referait le même choix aujourd’hui.

410

Louise ARBOUR, interview accordée à L’EXPRESS.fr, Le terrorisme, un crime contre l'humanité, publiée le 28 novembre 2002, disponible sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/le-terrorisme-un-crime-contre-l-humanite_497475.html?p=2

Philippe Kirsch explique l’absence du terrorisme dans le statut 411:

- Au plan juridique, les crimes de génocides ou autres crimes de guerre faisaient partie selon certains Etats du droit international coutumier. Le crime de terrorisme, au contraire, n’a pas de définition commune et acceptée. La compétence de la Cour fut donc restreinte à un « noyau dur » de crimes, ce qui avait aussi pour avantage de ne pas la surcharger, l’encombrer. Il s’agissait donc aussi d’un problème pratique et d’efficacité de son action. - Au plan politique, ce fut encore une fois les problèmes liés à l’absence d’une définition de ce crime qui refirent surface : terrorisme et droit des peuples à l’autodétermination, politisation de la Cour, terrorisme d’Etat, inclusion ou non des forces armées comme potentiels victimes de tels actes…. Les différentes tentatives pour contourner ce problème ont échoué (annexer les conventions contre le terrorisme au statut et donner compétence à la Cour seulement en cas d’attaques sur le territoire d’un Etat partie,…) car elles soulevaient plus de questions qu’elles n’en réglaient.

A la fin des travaux, il fut décidé de réexaminer l’inclusion des crimes de terrorisme dans le statut de la Cour à la prochaine conférence de révision. Cette « omission » fut donc volontaire.

La conférence de révision, qui s’est tenue à Kampala en 2010, si elle a défini le crime d’agression et en a précisé les modalités d’exercice, si elle a prolongé la validité du critiquable article 124, n’a fait aucune mention du terrorisme. Cela doit-il être rapproché de la déclaration de l’Union Européenne ? Celle-ci, en effet, ne considère pas le terrorisme comme une violation grave des droits de l’homme mais comme un crime ordinaire relevant de la compétence nationale de chaque Etat412. Les actes de terrorisme pourraient-ils être qualifiés de crime contre l’humanité ?