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SECTION II- LA « POLITIQUE ETRANGERE » DE LA CPI

B- LA POLITIQUE DE LA COUR FACE AUX ETATS TIERS AU STATUT

1- UNE POLITIQUE DE LOBBIYING

« Le lobbying est une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement les processus d'élaboration, d'application ou

d'interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, de toute intervention ou décision des pouvoirs publics316 ».

Si ce système est plus ou moins méconnu de notre régime politique, il fait partie de l’environnement anglo-saxon. Aux Etats-Unis, les lobbys espèrent et réussissent, généralement, à influencer la politique du gouvernement. Les groupes de pression font partie du système international, et la Cour en possède. Elles ne les créent pas, mais bénéficient de leur action.

La Cour a une vocation universelle. A cet effet, elle sera plus efficace, plus crédible selon que les Etats lui accordent leur soutien. Elle a besoin de la coopération sans faille des ONG internationales et des Etats. Selon le greffier de la Cpi, pour la seule année 2011, le Greffe « a transmis plus de 1000 demandes d’assistance relatives non seulement aux demandes d’arrestation et de remise et à l’identification et au gel des avoirs, mais aussi au soutien des opérations sur le terrain, à la délivrance de visas et à la transmission d’information 317». Une Cour isolée est un danger aussi grand qu’une Cour dépendante pour le procureur. Pour mettre fin à l’impunité, « local and international communities, political leaders, State representatives, police and armies should also work in the “shadow of the Court”.318

» Un lobbying est mené en ce sens. Il a un double objectif : inciter les Etats à ratifier le statut et, à défaut, les amener à coopérer avec elle. La Lituanie est un pays non partie au Statut. Elle n’en est qu’au stade de la signature. Elle a cependant passé des accords avec la Cour. Elle a ratifié en 2007, l’Accord sur les privilèges et immunités de la Cour.

Les acteurs de ce lobbying sont les membres de la Cour (le président de la CPI, la présidente de l’Assemblée des Etats parties), des ONG et l’ONU. Il existe ainsi un Plan d’action de l’Assemblée des États Parties pour parvenir à l’universalité et à la mise en œuvre intégrale du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les Etats parties sont invités à renforcer leur collaboration avec la Cour. Ils sont invités à sensibiliser leurs voisins quant aux objectifs de la Cour. L’inscription à l’ordre du jour de réunions interrégionales de sujets en rapport avec la mission de la Cour est également encouragée. Chaque Etat transmet les obstacles qu’il connait concernant la ratification du Statut.

Ban Ki MOON appelait, en sa qualité propre de secrétaire général de l’ONU, tous les Etats du monde à ratifier le Statut : « As secretary general of the United Nations, I call on all nations

316

F.J. FARNEL, Le lobbying : stratégies et techniques d'intervention, Éditions d'Organisation, 1994, disponible sur http://www.millenaire3.com/fileadmin/user_upload/syntheses/lobbying.pdf

317

Silvana ARBIA, Greffier de la Cour pénale internationale, Allocution à la 21ème séance d’information à l’intention du corps diplomatique, La Haye, 8 novembre 2011, p.5.

318

Luis Moreno OCAMPO, dernier discours à l’assemblée des Etats parties. L’ombre de la Cour ou « shadow of the court » est un rappel du discours de Ban Ki Moon appelant toutes les nations à ratifier le statut.

to join the ICC. Those that already have done so must cooperate fully with the court. That includes backing it publicly as well as faithfully executing its orders. 319»

Ils ne sensibilisent pas que les gouvernements, les organisations intergouvernementales sont elles aussi au premier plan. Elles encouragent leurs membres-les Etats- à coopérer avec la Cour.

Pour le dixième anniversaire de la Déclaration de Bamako, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) avait pour invité d’honneur le Procureur. Une résolution fut adoptée au terme de cette conférence. Elle appelait les Etats membres observateurs de la Francophonie, à manifester concrètement leur attachement à ces normes [respect du droit de toute personne à un recours effectif devant une juridiction indépendante ; au droit à un procès équitable notamment les droits de la défense ; et aux droits des victimes, en particulier les victimes de crimes internationaux, à la vérité, à la justice et à réparation], en particulier en adhérant au Statut de Rome, en adaptant à celui-ci à leur législation nationale320

L’OIF ayant l’avantage de compter parmi ses membres nombre d’Etats africains, elle tente de combler le fossé entre ces gouvernements et la juridiction. L’ambassadeur de l’OIF auprès de l’Union Africaine a ainsi apporté son soutien à l’organisation conjointe d’un séminaire par l’Union africaine et la Cour. L’OIF a également participé à la première conférence de révision du Statut de Rome. A cette occasion, Abdou Diouf a réaffirmé le soutien de son organisation à la Cour321.

L’Organisation des Etats Américains a conclu un accord cadre de coopération avec la Cour322. Dans le cadre de l’Union Européenne, les députés jouent un rôle important. Ils appelaient l'UE et à ses États membres de coopérer de manière plus régulière avec la Cour pénale internationale (CPI) et de l'aider à arrêter certains suspects. Ils invitent tous les États membres,[…] à signer des accords-cadres avec la CPI pour faciliter la coopération et pour intégrer complètement le statut de Rome concernant la CPI dans leur législation nationale323. Ils s’appuient aussi sur la société civile. Les citoyens sont incités à les rejoindre et à faire pression sur leurs gouvernements ou les organisations internationales. Des manuels tels

319

Ban KI-MOON, With the International Criminal Court, a new age of accountability, The Washington Post, 29 Mai 2010.

320

Résolution des réseaux institutionnels de la Francophonie sur la justice pénale internationale, adoptée lors des Journées des réseaux institutionnels de la Francophonie à l’occasion de Bamako + 10, Paris, 18-19 mai 2010.

321

Message de S.E. M. Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie lors de la première conférence de révision du Statut de Rome, Kampala, 31 mai 201O.

322

Communiqué de presse de la CPI, Rencontre historique entre le Président Song et le Secrétaire général de

l’Organisation des États américains (OEA) pour conclure un accord-cadre de coopération entre la CPI et l’OEA.

20 Avril 2011

323

« How to lobby in 3 easy steps », “how to use social medias”324 existent. La position de chaque Etat est tenue à jour.

Ce lobbying ne concerne pas que la ratification du statut. Il s’exerce également en faveur des enquêtes, des affaires portées devant la Cour. Ainsi, 47 organisations de la société civile africaine et les organisations internationales ont demandé aux Etats africains membres de la CPI de reprendre leur coopération avec l’institution et de rejoindre le « bon côté de l’histoire »325. De même, 142 organisations congolaises et internationales de la société civile et de défense des droits de la personne ont écrit à Hillary Clinton pour la capture de Bosco Ngatanda326. Elles demandaient au gouvernement américain, dont le soutien envers la Cour est faible, d’aider le gouvernement congolais à arrêter ce chef de guerre.

Il s’exerce, alors, une force diplomatique étonnante. L’incitation est interne et externe. En conséquence, les organisations révisent leur position. Leur soutien à la Cour plus marqué. En 2003, l’Union Européenne n’avait adopté qu’une « Position commune ». En 2011, le Conseil de l’Union européenne (UE) a adopté une « Décision concernant la CPI ».

Pour le Procureur, la position des Etats et des individus est claire. Ils n’ont qu’un seul choix. Ils se doivent de soutenir la Cour : “ If you think the crimes are real, you should support the court, if not, you support the criminals”.327

Aucun Etat n’a encore désavoué publiquement la Cour. Ils en saluent tous les buts. Cela n’est pas étonnant, ils l’ont créée. Pourquoi donc est-il nécessaire de les inciter à ratifier le statut ? Cela devrait aller de soi. Il s’avère pourtant que la Cour est isolée. Les objections étatiques sont nombreuses : souveraineté des Etats, méfiance face aux phénomènes transnationaux… L’on peut ajouter un autre argument : un argument financier.

La CPI manque, en effet, de moyens. N’étant pas partie du système des Nations Unies, elle ne peut bénéficier de son soutien. Ratifier le statut signifie s’engager à contribuer aux dépenses de la Cour. Les Etats ne sont pas enclins à ouvrir de nouveaux chapitres de dépenses dans leur budget, en particulier si ceux-ci ne leur bénéficient pas de manière immédiate. Le Conseil a, par ailleurs, démontré que, même saisie par lui, elle ne devait pas s’attendre à une participation de l’organisation. Le souci d’impartialité motive sans doute cette décision. L’on aurait soutenu que les enquêtes, conclusions et jugements découlant d’une telle saisine étaient arbitraires. Ils ne révéleraient que la volonté de certains États,

324

Edités par Citizen for Global Solutions, http://globalsolutions.org/files/public/documents/activist-lobby-how-to.pdf

325

Lettre de la société civile africaine et des organisations internationales à l'occasion de la 18ème Session

ordinaire de l'Assemblée de l'Union africaine, 26 JANVIER 2012 326

Lettre conjointe à la Secrétaire d’État Hillary Clinton concernant Bosco Ntaganda, 3 mai 2012, http://www.hrw.org/fr/news/2012/05/03/lettre-conjointe-la-secr-taire-d-tat-hillary-clinton-concernant-bosco-ntaganda

327

Ferry BIEDERMANN, Q&A with Luis Moreno-Ocampo, chief prosecutor of the International Criminal Court, 18 Mai 2011, TheNational,p1 http://www.thenational.ae/news/world/asia-pacific/q-a-with-luis-moreno-ocampo-chief-prosecutor-of-the-international-criminal-court?pageCount=0#page1

puisque financés par leurs contributions. Cependant, si le Conseil défère des cas à la cour ne serait-il pas souhaitable qu’il s’assure qu’elle a les moyens de mener à bien sa mission ? Inciter les Etats à ratifier le statut c’est donc s’assurer des ressources. Inciter les Etats les plus riches à la rejoindre est d’autant mieux. Encore faut-il qu’ils s’acquittent de leurs obligations ! Parmi les Etats bailleurs des Chambres Extraordinaires du Cambodge, seul le Japon respecte ses engagements et intervient régulièrement pour permettre aux employés cambodgiens de percevoir leur salaire.

Lors de sa sixième session, l’Assemblée des Etats partie avait demandé instamment aux Etats le règlement intégral de leurs contributions. Elle ne fut pas suivie. Dans son rapport présenté à la dixième session de l’Assemblée, le président du Comité du budget des finances constatait que: « l’état des contributions fait apparaître une tendance à l’alourdissement des arriérés, ce qui risque de poser de sérieux problèmes de trésorerie à la Cour et pourrait affecter le recours au Fonds de roulement à l’avenir328 ». Le non règlement des cotisations est sanctionné à l’article 112.8 du statut329. Le montant des impayés s’élève à 8,5% du budget de la Cour330.

L’une des raisons est la crise financière internationale qui a profondément affecté les ressources des Etats. Ainsi, les Etats déjà en retard de contributions ont vu leurs impayés doublés. Le président de la CPI, dans son allocution à la 21ème séance d’information à l’intention du corps diplomatique, tout en exprimant sa sympathie à l’égard de leur situation économique, rappelait aux Etats leurs obligations à l’égard de la Cour331. Le coût de son implication en Libye (7 ,2 millions de dollars aux premières estimations ) et le système d’assistance juridique tel que pratiqué sont aussi indexés (3 millions de dollars seront dépensés pour l’affaire Lubanga). Le budget déficitaire de la Cour s’est ainsi alourdi de 13,6%332.

La prise en compte de ces problèmes budgétaires est primordiale. Plus que les désirs de justice, elle pourrait inspirer une nouvelle vision de l’action de la Cour. Le président du

328

Assemblée des États Parties, Comité du Budget et des Finances, Déclaration du président du Comité du budget des finances à l'Assemblée, à sa dixième session tenue à New York, du 12 au 21 décembre 2011, le 15 décembre 2011,p.1.

329

Un Etat Partie en retard dans le paiement de sa contribution aux dépenses de la Cour ne peut participer au vote ni à l’Assemblée ni au Bureau si le montant de ses arriérés est égal ou supérieur à la contribution dont il est redevable pour les deux années complètes écoulées ».

330

Assemblée des États Parties, Rapport du Bureau sur les arriérés des États Parties, 22 novembre 2011, Dixième session, New York, p.2

331

Le président de la Cpi déclarait “ I do not underestimate the difficulty of finding a way to bridge the gap between the Court’s assessment of its needs in the light of all these developments and the expectations of many states parties, given the financial constraints they are facing at home. However, a sensible budget remains central to the Court’s ability to deliver what the Statute and the States Parties have tasked it to do. I thus hope that the States Parties will also keep in mind the responsibility that their governments collectively bear for enabling the Court to discharge its obligations in the way that the international community increasingly expects” Judge Sang-Hyun Song, President of the International Criminal Court, Remarks to the 21st Diplomatic Briefing, The Hague, 8 November 2011, p.5.

332

comité du budget prévoit que « l’un des défis à relever, pour les États, consistera à décider s’ils veulent une Cour dont l’activité est déterminée par la demande ou, de préférence, par les ressources. Cette question attire l’attention sur la nécessité de fournir à la Cour des orientations stratégiques sur la façon de gérer la hausse des coûts, tant au niveau des sources de dépenses déjà connues que des situations nouvelles. »

Les problèmes budgétaires pour les juridictions internationales ne sont pas le seul apanage de la Cour. La CIJ en est elle aussi victime333. Jusqu’à un certain point la cour n’est pas maîtresse de son budget. Elle ne peut, par exemple, décider des cas que le Conseil lui défèrera. L’universalité de son action sera entravée par son budget.

Si la politique de lobby échoue, que se passe-t-il ? Les comportements sont-ils différents selon qu’ils s’agissent d’Etats puissants ou d’Etats faibles ?