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SECTION II- LA « POLITIQUE ETRANGERE » DE LA CPI

A- DES CHOIX GUIDES PAR LE REALISME POLITIQUE ET JURIDIQUE

1- UNE POLITIQUE « OPPORTUNISTE » ?

En 2012, des jugements n’intervinrent que dans des affaires africaines. Ce constat a amené des critiques acerbes contre la Cour. On l’a accusé d’injustice, d’ingérence, de colonialisme. La position du gouvernement Obama est ici importante. Il déclarait vouloir créer une coopération plus forte avec la CPI. Susan Rice, elle, déclarait que la Cour était crédible, mais elle limitait cette crédibilité au cas du Congo, de l’Ouganda et du Darfour338, seules affaires ouvertes à l’époque.

Sans remettre en question l’utilisation de la Cour par certains Etats au gré de leurs intérêts, il convient d’apporter les remarques suivantes.

338

"President Obama is committed to building strong international partnerships to tackle global challenges...The International Criminal Court, which has started its first trial this week, looks to become an important and credible instrument for trying to hold accountable the senior leadership responsible for atrocities committed in the Congo, Uganda, and Darfur."

La Cour ne peut intervenir si elle n’en a pas l’opportunité. Cette opportunité est la rencontre de plusieurs critères de recevabilité :

- Elle n’agit pas de façon rétroactive. Elle ne peut connaître de crimes commis avant l’entrée en vigueur de son statut sauf si ces situations ont perduré après celui-ci. - Elle n’agit pas sur le territoire d’un Etat tiers sauf déclaration de conformité ou

saisine du Conseil. De même, elle se doit de vérifier l’incapacité ou le manque de volonté d’un Etat partie avant d’autoriser une enquête.

- Enfin, il faut que le Procureur décide d’ouvrir une enquête. Il faut qu’un Etat partie attire son attention sur une situation se déroulant sur le territoire d’un autre Etat partie.

- Elle ne peut condamner que ceux qui lui sont livrés. En pratique, elle ne peut mener d’enquêtes sans coopération de l’Etat.

Il existe aussi un présupposé : étant plus faibles, les Etats africains offrent plus de chances d’aboutir à un verdict. A quoi bon, en effet, investir les maigres ressources dont elle dispose si elle ne peut aller au bout, si l’Etat concerné est trop puissant pour qu’une enquête soit ouverte ? Et, en effet, il est plus simple d’ouvrir une enquête dans un pays africain comme le Kenya, d’obtenir l’accord du Conseil de Sécurité pour le Darfour que d’obtenir cette même autorisation pour les Etats-Unis ou encore la Russie.

Les Etats africains, sont majoritairement membres de la Cour. Sur 53 pays, 33 ont ratifié le statut de Rome. Le Sénégal fut l’un des premiers pays au monde à l’avoir ratifié. Ils constituent l’un des groupes régionaux les plus représentés à l’Assemblée des Etats parties. Dans aucun autre continent, l’émergence de la Cour fut porteuse d’autant d’espoir.

Leur système juridique à la solde du pouvoir en place, laisse toute latitude, à la Cour, d’invoquer l’exception de complémentarité. Les atteintes portées à l’inamovibilité, la précarité financière, la corruption et la politisation des juges ne sont pas des faits nouveaux. Pour Alioune Boudiara Fall, « Quelle que soit la manière dont on envisage le problème du juge en Afrique, on ne peut éviter de partir d'un constat malheureusement bien amer : le juge africain, et par là même la justice en Afrique, est « en panne »339 ». Une Cour Africaine de Justice et des Droits de l’homme fut instituée mais les individus et les ONG ne peuvent la saisir que sur autorisation préalable des Etats. Il en est de même pour la Commission Africaine des Droits de l’Homme. A ce titre, l’on pourrait même dire que la Cour se substitue au système judiciaire africain défaillant.340

Les exemples de cette défaillance ne manquent pas. Nous évoquerons le cas d’Hissène Habré, qui n’est pas fait pour rassurer les détracteurs de la justice africaine. Arrêté au

339

Alioune Boundiara FALL, Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la

place du juge dans les systèmes politiques en Afrique, in QUATRIÈME THÈME : Le statut du juge en Afrique,

Bibiliothèque de l’AUF

340

ICC doing the job of failed African judiciary, http://www.theeastafrican.co.ke/news/-/2558/593228/-/item/2/-/9g76drz/-/index.html

Sénégal, cet Etat a invoqué tour à tour l’immunité dont bénéficiait Hissène Habré au moment des faits et son manque de moyens pour organiser un procès. A ce sujet, M. Abdoulaye Wade, alors président du Sénégal, informait de son désir de le relâcher si la communauté internationale n’allouait pas à son pays les fonds nécessaires à l’organisation d’un procès. Les autorités sénégalaises ont alors voulu l’extrader vers le Tchad, son pays d’origine. Seules les objections de l’ONU ont empêché ce transfèrement.

En 2006, l’UA a mandaté le Sénégal pour qu’il instruise ce dossier341. En 2009, la Belgique, où une enquête est ouverte sur Hissène Habré, a porté plainte contre le Sénégal devant la CIJ. Elle estime que cet Etat a un devoir de le juger ou de l’extrader vers Bruxelles, ce qu’il a refusé342. Le Sénégal invoquait la honte qu’un tel transfert représenterait pour le continent. Un arrêt de la Cour de Justice de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) permettait au Sénégal de le juger devant un tribunal spécialement créée pour l’occasion. Cette proposition aura comme résultat de rallonger considérablement les délais de procédure. Pendant ce temps, les victimes d’Hissène Habré attendent toujours justice. Ainsi, les critères de recevabilité, préalables à l’ouverture d’une enquête, ne sont pas difficiles à prouver. Bien plus, trois Etats ont sollicité son intervention. Les dossiers kenyan et ivoirien furent ouverts sous initiative du Procureur. Le Soudan et la Libye lui furent confiés par le Conseil de sécurité. Les calculs politiciens ne sont pas étrangers à une sollicitation volontaire. Comme nous l’avons vu, ils se servent de la CPI pour se venger ou neutraliser leur opposition. Dans le cas kenyan, le procureur a invoqué l’inactivité des autorités judiciaires. Le Soudan et la Libye sont sacrifiés par leurs alliés du Conseil.

Cependant, leur manque de coopération met à mal le principe énoncé plus haut. En effet, l’Union Africaine ne soutient pas l’action de la Cour. Elle a demandé à ces membres de suspendre leur coopération avec elle. Elle a refusé la création d’un bureau de la CPI en Afrique. De concert avec la Ligue Arabe, elle est allée jusqu’à demander au Conseil de sécurité de suspendre le mandat d’arrêt international contre Oumar Al Bashir343. Se basant sur la possibilité pour le Conseil de suspendre les procédures devant la Cour, elle invoque les exigences de la paix et de la réconciliation nationale. Cet argument fut opposé au TPIY. Cependant, le travail du TPIY n’a pas embrasé les Balkans.

L’Union Africaine a également saisi la Cour Internationale de Justice. Elle lui demande d’examiner la validité des mandats d’arrêts lancés par la Cpi à la lumière de l’immunité dont bénéficient les dirigeants impliqués. Elle se fonde sur l’affaire du mandat d’arrêt du 11 avril 2000. Il s’agissait de savoir si l’émission et la diffusion, par les autorités judiciaires belges, d'un mandat d'arrêt à l'encontre d'une personne étant alors ministre des affaires étrangères

341

Décision sur le procès de Hissène Habré et l’Union africaine, DOC. ASSEMBLY / AU /3 (VII), 2 JUILLET 2006

342

CIJ, Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite, (Belgium v. Senegal)

343

Comme exemple de ces appels voir Communique sur l'arret du 3 fevrier 2010 de la chambre d'appel de la Cour Pénale Internationale sur le Darfour, Addis Abéba, le 4 février 2010, disponible sur le site de l’Union, http://www.africa-union.org/root/ar/index/Communique%20Feb%204%202010%20_fr_%20final.pdf

du Congo étaient ou non contraires au droit international344. Pour la CIJ, les chefs d’Etat et même les ministres des affaires étrangères sont couverts par l’immunité. La Belgique a donc violé ses obligations envers le Congo345.

A la réflexion, le manque de coopération de l’UA ne devrait pas étonner. Le principe de compétence universelle (invoqué par la Belgique dans le cas Habré) ne rencontrait déjà pas ses faveurs. Ainsi, dans sa déclaration du 3 juillet 2009346, elle exprimait « sa profonde inquiétude que des mises en accusation se poursuivent dans certains États européens contre des dirigeants et des personnalités africains. » Elle demandait « l’arrêt immédiat de toute mise en accusation en attente. »

Les Etats africains suivent les directives de l’UA de préférence à celles de la Cour. Membres des deux institutions, ils effectuent donc un choix favorable à la cohésion régionale. Ils font en cela preuve d’une rare unanimité, au prix parfois d’un numéro d’équilibriste surprenant. C’est l’exemple de l’Ouganda.

L’Ouganda fait partie de ces rares pays à avoir demandé l’intervention de la Cour. Elle est donc bien plus astreinte à la coopération que le Tchad, Djibouti ou encore le Kenya. Elle ne peut se permettre de la désavouer ; mais, membre de l’Union Africaine, elle ne peut ni ne veut également s’opposer à ses voisins. Comment faire quand on organise à quelques mois d’intervalles les assises de la CPI et le sommet de l’Union Africaine ? En pleine assise de la Cpi, le président Museveni avait déclaré ne pas inviter Oumar Al Bashir au sommet de l’Union Africaine. Il a dû cependant s’y résoudre. Une invitation fut adressée au président soudanais qui la refusa.

Ce soutien semble parfois une revanche. Le Kenya, évincé de sa propre situation devant la Cour, a ainsi promis au Soudan, l’annulation du mandat d’arrêt émis par sa Haute Cour de Justice. Saisie par la Commission internationale des Juristes, cette dernière avait ordonné au Procureur et au ministre de l’Intérieur d’arrêter le président soudanais, s’il venait à fouler le sol kenyan347. L’on se rappellera que cette réforme de la justice, qui a permis l’obtention de ce mandat d’arrêt, était invoquée par le Kenya devant la Cpi pour pouvoir juger ses propres ressortissants. Requête qui fut rejetée.

Nous avions déjà évoqué l’exemple du Tchad. Une Chambre préliminaire de la CPI a demandé à la République centrafricaine « de prendre toutes les mesures nécessaires en vue

344

Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C. I. J. Recueil 2002, p. 17.

345

Idem, par.70

346

Décision sur l’utilisation abusive du principe de competence universelle, Adoptée par la treizième session ordinaire de la Conférence à Syrte (Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste), le 3 juillet 2009, Doc .Assembly/AU/11 (XIII) disponible sur le site de l’union, http://www.africa-

union.org/root/au/Conferences/2009/july/summit/decisions/ASSEMBLY%20AU%20DEC%20243%20-%20267%20%28XIII%29%20_F.PDF

347

Kenya: Un mandat d'arrêt contre El-Béchir, Afrique Jet, 28 novembre 2011, http://www.afriquejet.com/kenya-un-mandat-darret-contre-el-bechir-2011112828260.html

d'arrêter Omar el Béchir et de le remettre à la Cour ». Cet appel fut relayé par Amnesty International. Cet Etat n’en tint pas compte.

Ainsi, des Etats qui ont demandé l’assistance de la Cour refusent de coopérer avec elle. La seule réponse de la Cour est de porter le cas à l’attention du Conseil de sécurité et à l’Assemblée des Etats parties. Ces deux instances sont politiques, des négociations auront lieu, l’Etat en sortira indemne. Il est également possible que rien ne sera décidé. Rappelons que la Chine a reçu Al Bashir avec la bénédiction américaine. Il est indiscutable qu’il sera un jour arrêté. Des cas plus pressants sont également à l’ordre du jour du Conseil.

La Cour est consciente de cette situation348. Livrée à elle-même, et, pour s’assurer de leur coopération, faire taire les critiques, la Cour est obligée de ménager ces alliés africains. Cinq des 18 juges que compte la CPI sont africains. Ils représentent le Botswana, le Ghana, le Kenya, le Mali, le Nigéria. La Cour ira même plus loin.

L’élection de Fatou Bensouda s’inscrit dans ce registre. Il est dommage que ce soit l’origine africaine des candidats à la succession de Luis Moreno Ocampo qui ait compté, bien plus que leur expérience.

Les possibles successeurs au procureur argentin furent choisis par un panel des représentants des Etats parties, donc des décideurs politiques. Leurs délibérations furent tenues secrètes, les choix et procédures contestés pour leur manque de transparence par des supporters même de la Cour349. L’on sait toutefois que les candidats les mieux placés étaient d’origine africaine. Ce n’est qu’à ce dernier moment que l’expérience de Fatou Bensouda, en tant que procureure adjointe, joua. Devenue candidate de consensus, elle fut élue procureure.

La reprise d’un dialogue entre l’organisation et la Cour est une préoccupation de celle-ci. Ainsi, la présidente de l’Assemblée des Etats parties s’est-elle rendue, le 15 mai 2012, à Addis Abeba, siège de l’UA. Rappelant, au groupe régional le plus représenté à l’Assemblée, sa contribution importante au droit international général, elle leur a demandé leur pleine coopération. Elle a insisté sur la nécessité qui leur incombe d’apporter un soutien diplomatique sans faille à l’institution. Elle a rencontré, à cet effet, des ambassadeurs des divers Etats africains et s’est entretenue avec le représentant de la Francophonie.

Le cas Oumar Al Bashir sert en fait à leur rappeler leur possible destin. La ratification du statut par ces Etats est incompréhensible. Au-delà des clichés, l’Afrique reste toujours le continent des coups d’états, rébellions et autres aventures politico-militaires qui finissent en

348

Voir le discours du procureur devant l’Assemblée des Etats parties, p.6: “Leaders who are using crimes to retain power have criticized the Court and managed to mobilize some international support to this end. States Parties have struggled to prioritize their commitment to international justice over more immediate economic or political interests.”

349

Women’s Initiatives for Gender Justice, Election of the Prosecutor for the International Criminal Court:

massacre. L’Afrique reste le continent où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un mirage. La position des Etats africains est-elle à rapprocher avec cette déclaration de Ban-Ki-Moon : « To the contrary, the ICC casts an increasingly long shadow. Those who would commit crimes against humanity have clearly come to fear it.”? 350

Que la Cour y investisse du temps était inévitable. Qu’elle ose désigner et condamner des soutiens financiers et politiques hors des frontières africaines est moins probable.

L’origine africaine de Fatou Bensouda est loin d’être la panacée. Ainsi, quel comportement adopterait-elle si des exactions étaient commises en Gambie ? Pourrait-elle dans ce cas, aller contre son propre gouvernement et déclarer l’ouverture d’une enquête pour mauvaise volonté? Ses origines africaines ne serviront-elles pas de prétexte à ses détracteurs si son Bureau ouvre une enquête dans un pays « ennemi » du président gambien ? Même si elle décidait d’en confier la supervision à une tierce personne, ne la soupçonnerait-on pas d’influencer le cours des enquêtes ? Ses compétences évidentes la mettraient-elle à l’abri de ces insinuations ?

En définitive, tant que les procès n’auront pour cible que des Etats africains, une ombre de partialité, réelle ou supposée, planera toujours. L’importante couverture médiatique dont bénéficie la Cour ne peut que rendre ce problème encore plus publique.