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SECTION I- L’ACTION DE LA COUR, UN ELEMENT JURIDIQUE MAIS AUSSI POLITIQUE

2 - UN MONDE PLURIEL

B- DES VALEURS TRES OCCIDENTALES

Etant internationales, ces juridictions se devaient de refléter les différentes cultures juridiques existants dans le monde. A l’observation, deux y sont très bien représentées. Ce sont celles qui se sont imposés avec le temps.

Cependant, les criminels jugés par ces juridictions et leurs victimes, étant rarement d’origine européenne, il est étonnant de constater que les juridictions qui les jugent ou les entendent soient d’une culture différente. Les difficultés rencontrées par ces institutions dans le domaine de l’interprétation sont nombreuses. Les juridictions mixtes pourraient être une exception. Leur organisation nous confirme dans notre propos. Elles peuvent intégrer divers éléments du système local mais des importations s’y font jour. Cette différence tient tant de l’appareil juridique que du droit applicable.

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Stéphane CHAUVIER, Justice et droits à l'échelle globale: Six études de philosophie cosmopolitique, Vrin, 2006, Chap III, p.86.

1- UN APPAREIL JURIDIQUE OCCIDENTALISE

Il s’agit ici tant de l’organisation judiciaire que des employés qui composent ces juridictions. Le statut prévoient un recrutement basé sur une représentation géographique équitable. Or, les employés de la Cour sont, dans leur majorité, occidentaux ou originaires du groupe WEOG/GEOA259. L’on a tenté d’y remédier mais les résultats sont minces.

La Cour applique les principes en vigueur pour le secrétariat général de l’ONU. Un nombre de candidat est attribué à un Etat en fonction des critères suivants : le nombre total d’Etats membres, la contribution au budget et la taille de sa population. La contribution est le facteur le plus important. Il compte pour 50%260. Les plus grands contributeurs sont donc les mieux représentés.

Ainsi en 2005, 57,2 % du personnel provient des Etats dits WEOG261. L’Afrique, l’Asie, l’Europe de l’est et les Etats dits GRULAC262 se partagent les 42,8% restants avec un net désavantage pour l’Asie. Le principe de représentation géographique équitable n’est donc pas respecté.

Un nombre important de ces employés provenait ainsi d’Etats non parties au statut de Rome d’autant plus que l’origine des consultants n’est pas révélée.

En 2012, le but de la Cour était de parvenir à la répartition suivante : pour l’Afrique 12,96%, 18.26 % pour l’ Asie, 8.35 pour l’ Europe de l’Est, 14.52 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes (GRULAC), et 45.91 % pour les États d’Europe occidentale et autre (WEOG)263. Les résultats étaient cependant conformes aux premières statistiques. Le pourcentage des pays européens avait légèrement augmenté.

Des méthodes de calculs alternatives furent proposées par l’équipe sur le recrutement de la coalition pour la CPI. Elle proposait un modèle basé sur celui de l’UNESCO prenant en compte les contributions à hauteur de 20% et un autre intégrant une représentation

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CPI, Report of the Bureau on equitable geographical representation and gender balance in the recruitment of staff of the International Criminal Court , ICC-ASP/8/47, 4 novembre 2009 “15.74 per cent of the staff recruited was from African States, 6.56 per cent from Asian States, 7.54 per cent from Eastern European States, 9.81 per cent from Latin America and Caribbean States, and 60.98 per cent from Western European and other States”

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NGO Coaliton fot he ICC, ICC and geographical representation among staff, Research on alternative systems regarding “desirable ranges”, octobre 2006, p.4’

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Western European and Other Groups (WEOG) ou États d’Europe occidentale et autres (GEOA) : Etats d’Europe de l’Ouest, Israel, Australie, Nouvelle Zélande, Canada avec comme membre observateur les Etats Unis.

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Group of Latin America and Caribbean Countries

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CPI, Report of the Bureau on equitable geographical representation and gender balance in the recruitment of staff of the International Criminal Court, p.2

régionale en plus du critère géographique. Toutes ont l’avantage de permettre une représentation équitable264.

Ne serait-il pas important de recomposer les groupes ? La Cpi n’est pas tenue de suivre le modèle onusien.

La fiction entretenue d’une séparation entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est est à revoir. En effet, les pays européens sont surreprésentés non seulement à la CPI mais aussi à la CIJ. La guerre froide étant finie et les Etats européens unis au sein de l’Union Européenne, la fusion des deux groupe parait judicieuse. Une autre alternative serait de subdiviser les autres groupes à l’image du continent européen. L’Afrique serait représentée par l’Afrique du nord et l’Afrique noire, l’Asie en proche et moyen orient, inde et Pakistan et Asie du sud-est. Les continents pourraient être subdivisés en fonction de la langue parlée. Une Afrique anglophone et une Afrique francophone verraient le jour.

En théorie, retravailler le groupe européen serait la solution la plus rapide et la plus simple. En partique, les pays d’Europe de l’Est se sentent déjà victime de sous représentation. Une telle solution ne ferait qu’accroitre leur handicap. De plus, les pays WEOG n’ont aucun intérêt à accepter un tel compromis. Le statut quo leur étant favorable. De plus, des divisions existent entre Europe du sud et Europe du nord au niveau de la représentation265. Les premiers s’estiment en effet lésés.

La ratification du statut par des pays comme l’Inde et la Chine pourrait contrebalancer cette hégémonie. Cependant, la CPI n’est pas la seule à connaître ce problème d’une surreprésentation européenne. A la CIJ, les juges proviennent en règle générale des pays WEOG. En 2009, Malleson et Martin comptaient cinq juges africains, un pour l’Asie, deux pour l’Europe de l’est, trois pour l’Amérique latine et les caraïbes et six pour l’occident266. L’universalité du statut n’est donc pas suffisante. Renverser cette tendance demande des actions plus concrètes.

2- UN DROIT HERITE DES SYSTEMES ANGLO-SAXON ET ROMANO-GERMANIQUE

Dans son opinion dissidente concernant l’affaire Erdemovic, le juge Cassesse notait la nature particulière des juridictions internationales et de leurs procédures267. Pour lui, elles ne résultent ni d’un amalgame ni d’une juxtaposition mais d’une fusion heureuse des droits de

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NGO Coaliton fot the ICC, op cit, p. 7-8

265

Kate MALLESON, Penny MARTIN, Selecting International Judges: Principle, Process, and Politics, International

Courts and Tribunals Series, Oxford University Press, 2010, p.34 266

Idem, p.31

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common law et romano-germanique. Leur particularité justifiait une application différente des procédures issues des droits nationaux. Elles devaient être adaptées au contexte international. Les juges et autres personnels doivent donc faire l’effort d’abandonner certains réflexes liés à leur système d’origine.

Des cours internationales donc mais seulement dans l’absolu. L’examen des Etats membres montre une sous-représentation des Etats arabes. En effet, seuls la Jordanie, Djibouti, la Tunisie et les Comores en sont parties. L’Algérie, le Bahrein, l’Egypte, l’Iran, le Koweit, le Maroc, la Syrie, Oman, les Emirats Arabes sont signataires. Bien plus, sur les sept Etats ayant refusé de ratifier le statut. Raison pour laquelle, le président de l’assemblée des Etats parties s’efforce de motiver les ratifications dans cette région. Une cour ne peut se prétendre mondiale sans une grande partie de l’Afrique et de l’Asie. Un renvoi par le Conseil de sécurité est de plus fort improbable. Notons que ces Etats tout comme ceux d’Amérique latine et d’Asie se sont opposés à ce pouvoir particulier du Conseil268. En l’occurrence pour Roach, la rencontre entre droits issus de l’Islam et droit international peut s’avérer problématique. Cette rencontre est rendue d’autant plus difficile par les divergences d’interprétation existant dans les lois coraniques.

Si l’Occident a réussi à construire un système juridique affranchi de la morale religieuse, nombre de sociétés n’y sont pas encore arrivé. Pour le monde arabo musulman, il est donc important de s’entendre sur la définition et le contenu de la sharia, base de la constitution de tous les Etats arabes à l’exception du Liban.

Selon Bassiouni citant Muhammad Hamidullah et Ramadan “Ummah represents the notion of community of people. The Islamic concept, contrary to the Western European conception of a “society of states” is a unitarian one, because it flows from the belief that man’s law must conform to divine law, which derives from the Shariah.269” L’harmonisation du droit national avec le droit international ne se fera qu’en suivant la loi islamique.

Pour An-Na’im, “ in the intellectual Islamic tradition Shari'a was understood as zanni, i.e. suppositional”270. L’être humain ne pouvant être sûr de rien, la sharia est donc un corps de lois en perpétuelle construction. En tant qu’œuvre humaine, elle peut ainsi souffrir l’intégration de normes nouvelles dont les droits de l’Homme et le doit international. Pour lui, la certitude animant les fondamentalistes et certains gouvernements actuels dans le monde arabe crée des Etats totalitaires, contraires à la sharia car celle-ci est incertitude. Cependant, selon An-Na’im, ces efforts d’adaptation doivent être entendus par les musulmans comme remplaçant la loi coranique. La sharia n’est pas le seul concept méritant relecture. Les opinions demeurent partagées quant au jihad.

268

Steven C. ROACH, Politicizing the International Criminal Court: the convergence of politics, ethics, and law, Rowman & Littlefield, 2006, p.140

269

Cherif BASSIOUNI, Introduction to international criminal law, Martinus Nijhoff Publishers, 2012, p.41

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Un autre aspect soulevé par Farthofer271réside dans l’application de la règle 73.8272 du règlement de procédure et de preuve. Seul le christianisme et en particulier le catholicisme possède un clergé hiérarchisé reconnaissant un caractère sacré aux confessions entre croyant et prêtre. A cet égard, elle s’inquiète d’une possible discrimination envers d’autres religions en cas d’interprétations trop strictes de cet alinéa. Dans l’hypothèse d’une fatwa, avis juridique sur un problème de droit islamique, les communications entre le mufti et le suspect seraient-elles protégées ?

Aucune raison religieuse n’a été émise pour justifier une non ratification. Les Etats arabes ont mis en avant l’absence du crime d’agression ou encore Des efforts sont entrepris pour combler le fossé entre droit musulman et droit international. En 2005, la ligue des Etats arabes Des déclarations des droits de l’homme musulman existe depuis 1979. Ce premier projet était intitulé « La Déclaration des droits et des obligations fondamentales de l'homme en Islam »273.

Les diverses ONG de soutien mettent l’accent sur l’universalité de la CPI. Elles la défendent contre les accusations d’instrument de l’Occident. En fait, elles utilisent les mêmes arguments devant les Etats d’Afrique noire.

La non ratification des Etats arabes a pour effet la non représentation de leur population parmi le personnel de la Cour. Cette nature unique doit également s’adapter aux personnes entendues devant les cours. Celles-ci ont notamment besoin d’interprètes.

II- LES AVANTAGES POLITIQUES DE L’APPARTENANCE AU STATUT DE ROME

Etre membre de la Cour constitue pour les Etats un moyen de redorer leur blason terni en ce qu’il peut s’apparenter en un code de bonne conduite internationale. Cette ratification leur permet ce que l’on appelle le renvoi volontaire ou renonciation à la complémentarité. A ce stade de notre étude, les protestations d’ingérence étrangères sont de la part de certains

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Hilde FARTHOFER, The Trial, D. Evidence, in International Criminal Procedure, Christoph Safferling, Lars Büngener (Coll.), Oxford University Press, 2012, p. 509

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Lorsqu’elle procède à cette détermination, la Cour accorde une attention particulière à ce que le secret professionnel soit étendu aux communications s’inscrivant dans des relations professionnelles entre une personne et son médecin, son psychiatre, son psychologue ou son conseiller, en particulier lorsque les communications concernent ou impliquent des victimes, ou entre une personne et un membre du clergé; dans ce dernier cas, la Cour considère comme couvertes par le secret professionnel les informations divulguées au cours d’une confession religieuse lorsque celle-ci fait partie intégrante des rites de la religion considérée

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Pour plus d’informations sur les différentes tentatives et conventions, voir Mohammed Amin AL-MIDANI, La Déclaration universelle des Droits de l'Homme et le droit musulman, Centre Arabe pour l’Education au droit international humanitaire et aux droits humains (ACIL).

Etats sans fondement. Le renvoi volontaire n’est pas un acte innocent. L’Etat entend en retirer certains avantages.

A- LE STATUT DE ROME, UN CODE DE BONNE CONDUITE