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SECTION I- LA RESPONSABILITE DES ORGANISATIONS TERRORRISTES

LA NOTION DE « GRAVITE» DES ACTES EN QUESTION

Il faut préciser d’emblée que seuls certains actes terroristes pourraient bénéficier de cette appellation. La Cour ne jugeant que les crimes « les plus graves »413, il faut, de plus, démontrer414 :

411

Philippe KIRSCH, Terrorisme, crimes contre l’humanité et Cour pénale internationale, à l’occasion du colloque organisée par SOS ATTENTATS, Terrorisme et responsabilité pénale internationale, le Mardi 5 février 2002, Ed. Calmann-Lévy, 2003, p.114.

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L’UE estime que le terrorisme comme tout autre acte criminel empêche la « jouissance » des droits de l’homme, Réponse donnée par M. Patten, au nom de la Commission européenne des affaires étrangères, à Charles Tannock, parlementaire européen en 2003.

413

Art.17d du statut, est jugée irrecevable une affaire qui « n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite »

· que certains actes ont été commis ;

· qu’ils l’ont été dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ;

· que l’attaque était lancée contre une population civile, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ;

· que l’auteur de ces actes savait qu’ils faisaient partie d’une attaque généralisée ou systématique.

La notion de crime contre l’humanité telle que défini dans le statut de Rome est une notion bien plus généreuse que celle qui en avait été donné à Nuremberg. En effet en son art.6, le tribunal militaire définissait ainsi ce crime comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. » Un crime contre l’humanité ne pouvait être défini en dehors du cadre de la guerre. La frontière entre ce dernier et le crime de guerre parait floue.

Le Statut ne donne qu’une définition vague de la notion. Si, pour le crime de guerre, l’on a une énumération sur près de trois pages d’actes considérés comme tels, le crime contre l’humanité ne concerne que onze comportements dont le dernier est défini comme « autre acte inhumain de caractère analogue ».

Le caractère généralisé et systématique nécessaire à la qualification de crimes contre l’humanité, la notion de gravité écartent de la Cour la plupart des actes de terrorisme. Seul le terrorisme international de type Al Qaida pourrait se ranger sous cette bannière.

La responsabilité pénale individuelle sur laquelle se base la Cour empêche la poursuite des organisations terroristes telle qu’Al Qaida. Est-ce suffisant d’en condamner les dirigeants sans viser une organisation dans son ensemble ? La poursuite de ces organisations aurait une portée symbolique évidente et permettrait sans doute de remonter les filières de financement du terrorisme de façon plus efficace.

De ce point de vue, et pour éviter toute dérive analogique toujours possible, si le champ matériel des compétences de la Cour n’est pas élargi, le terrorisme international risque de risquer impuni.

Il est nécessaire de le nommer explicitement dans son Statut. La plus haute juridiction internationale ne peut laisser échapper le crime le plus emblématique du XXIe siècle. Une révision de ses compétences les étendant aux actes terroristes est indispensable. De même, le cadre de constitution de l’infraction (conflit asymétrique) ne doit pas être ignoré.

414

B- L’IMPORTANCE DU CADRE : LA NATURE ASYMETRIQUE DES CONFLITS ACTUELS

Le terrorisme est employé comme tactique de guerre dans un grand nombre de conflits, notamment ce qu’on a appelé les « guerres nouvelles » ou « conflits asymétriques ».

Un conflit ou une guerre asymétrique désigne, pour Richard Keuko, « un conflit dans lequel les adversaires n'ont ni le même statut, ni les mêmes critères de victoire ou de défaite, ni les mêmes règles et méthodes, ni n’emploient les mêmes moyens, en particulier technologiques415.». Contrairement aux conflits traditionnels opposant deux ou plusieurs Etats, ces nouvelles guerres montrent des groupes ou milices privés s’affrontant entre eux ou affrontant un autre Etat.

Pour Jacques Baud416, ce qui change radicalement, c'est que l'adversaire est « incompréhensible », insaisissable et irrationnel, ses objectifs, de son organisation et/ou de ses méthodes n’étant pas classiques. Ici, l'utilisation des stratégies - notamment de communication - les plus modernes côtoient des modes opératoires des plus archaïques qu’ils s’agissent du néo-terrorisme islamiste, des organisations criminelles transnationales, ou du narcoterrorisme.

Ces techniques les rendent particulièrement violentes, la brutalité exercée contre les populations civiles impressionne. Herfried MÜNKLER417 parle d’« économie de la violence dans les guerres nouvelles». Ce sont des guerres effectuées à peu de frais se caractérisant par l’utilisation de la violence sexuelle comme stratégie418. Elles occasionnent des milliers de réfugiés et pillent les richesses économiques des territoires où elles font rage.

Le conflit asymétrique n’a pas de frontière définie. Partout où un symbole de l’Etat ennemi se trouve, l’organisation est susceptible de frapper. Le terrorisme contemporain se situe dans ce cadre.

Pour MÜNKLER, ces guerres nous mettent également en présence d’une asymétrie de la politique mondiale. Certains Etats ayant pour eux la légitimité et d’autres, non. C’est dans ce contexte que l’on a évoqué « la guerre juste ».

A notre sens, l’on confond trop souvent légalité et légitimité. Une guerre serait-elle légitime parce que approuvée par le Conseil de Sécurité, soutenue par une coalition ? Cela pose le

415

Richard KEUKO, Guerre et conflits modernes: Petit lexique pour comprendre les notions, l'Harmattan, 2009, 271p

416

Jacques BAUD, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Editions du Rocher, collection « L'Art de la guerre », mars 2003.

417

Herfried MÜNKLER, Les guerres nouvelles, Alvik Editions, Paris, 2003.

418

Pour un détail de cette stratégie, voir la psychologue Evelyne JOSSE, Violences sexuelles et conflits armés en

problème de légitimité du Conseil. Défend-on des principes ou des intérêts ? Le terrorisme ne serait-il pas qu’un prétexte pour couvrir une « annexion » de puits de pétrole, se créer de nouvelles opportunités économiques ? L’asymétrie n’est plus ici la guerre du « Faible » mais celle du « Fort » qui peut compter sur un soutien international. La disproportion des moyens se trouve au cœur de cette interrogation.

Un autre problème de la guerre asymétrique est la constitution d’alliances. Les groupes terroristes plus petits cherchent à se mettre « sous la protection » de groupes plus forts. La mouvance Al Qaida a attiré à elle certaines entités plus petites. En janvier 2007, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) lui-même issu du Groupe Islamique Armée (GIA), d’origine algérienne, est devenu Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI).

Face à l’affaiblissement des réseaux terroristes du sud-est asiatique dû en partie à la pression internationale, Nathalie HOFFMAN constatait que « les groupes rebelles sont … contraints d’économiser leurs forces pour ne pas disparaître face à des appareils de sécurité bien supérieurs en nombre et en termes d’organisation.419 »

Pour elle, la constitution de ces réseaux est l’admission voilée d’un échec de leurs actions individuelles. L’union fait la force. En se réunissant, ils se donneraient donc une nouvelle chance de succès.

Il s’agit ici de définir à quel moment interviennent ces actes. Cette question est importante car des règles existent en temps de guerre. Il s’agit du droit international humanitaire (DIH). Pour le CICR, en cas de conflit armé international, qualifier d’actes « terroristes » des actes délibérés de violence perpétrés contre des civils ou des biens de caractère civil n'a aucune signification juridique, car de tels actes constitueraient déjà des crimes de guerre. Les auteurs présumés peuvent être poursuivis conformément au principe de la compétence universelle. L'État du lieu d’infraction mais aussi tout autre État tiers pourraient connaître de ces actes.

Le terrorisme actuel n’étant pas un conflit international entre deux Etats, cette disposition ne peut donc s’appliquer. Le Hamas ou les Tigres tamouls ne sont pas des Etats.

De même, le Protocole II aux quatre conventions de Genève, interdit nommément les actes de terrorisme ou la menace de leur emploi. Mais, ce protocole applicable aux conflits non internationaux ne s’applique pas lors d’attaques « sporadiques » et les actes terroristes sont, de nos jours, ponctuels, sporadiques.

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Nathalie HOFFMANN, L’asymétrie en Asie du Sud-Est, un mode opératoire systématique ? Revue

internationale et stratégique 3/2003 (n° 51), p. 115-123, www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-3-page-115.htm.

Le problème qui est en fait posé ce n’est pas l’existence de normes en la matière. Elles existent. Elles couvrent tous les domaines de l’action antiterroriste. Non, l’enjeu réel est d’amener les Etats et, en particulier, les Etats les plus puissants, à les respecter.

Nous croyons que la Cour, par sa position privilégiée sur la scène internationale et le respect qu’elle inspire aux opinions publiques, doit se prononcer de manière forte sur le respect des droits humains en toute circonstance.

Les juridictions pénales internationales ont ainsi, à chaque fois, condamné la torture sous toutes ses formes. Aussi, si un Etat devait se retrouver devant la Cour et ses actions antiterroristes passées au crible, ces dérives pourraient être considérées comme des crimes contre l’humanité voire dans certains cas des crimes de guerre.

Dans le domaine de la responsabilité morale, celle des sociétés multinationales est encore plus difficile à mettre en œuvre.