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CHAPITRE II – LA PROBLEMATIQUE DE LA COOPERATION ETATIQUE

LA NON TRANSCRIPTION EN DROIT INTERNE DES NORMES INTERNATIONALES

Cette pratique a des conséquences sur les poursuites engagées par la Cour et l’application du principe de compétence universelle.

- Les poursuites engagées devant la Cour

La Cour demande expressément aux Etats la transcription. Elle permet l’application du principe de complémentarité479.

Pour la FIDH, les principaux obstacles à l'implantation de la complémentarité en Ouganda sont d'ordre législatif et politique. L'International Criminal Court Act (ICC Act), qui transpose dans le droit ougandais les crimes énoncés dans le Statut de Rome, étant entré en vigueur le 25 juin 2010, il ne peut pas être appliqué à la période du conflit dans le Nord de l'Ouganda. Cette non transcription joue dans les conditions de recevabilité des affaires devant la Cour. L’inexistence en droit congolais de l’enrôlement des enfants soldats et l’inadaptation des peines d’emprisonnement sont responsables de la recevabilité de l’affaire Lubanga. Ce dernier n’a pas contesté les charges retenues contre lui. Comme le remarque Schabas, « it was always unlikely that Lubanga would contest admissibility on this ground, because he appeared to be far better off in The Hague, facing the relatively less important charge of

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Par.6 du Projet de résolution sur la complémentarité « Souligne que pour qu’il y ait fonctionnement efficace du principe de complémentarité, il faut que les États intègrent dans leur législation nationale les crimes visés aux articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome en tant qu’infractions punissables, que ces crimes relèvent de la compétence d’une juridiction nationale et que cette législation fasse l’objet d’une application effective, et invite les États à procéder ainsi ; »

enlistement of child soldiers, rather than in Bunia, where he was charged with crimes of the greatest seriousness480 »

Concernant le principe de complémentarité, il demandait à la Cour d’être plus réaliste dans son approche. En effet, les éléments d’intention requis pour prouver le crime contre l’humanité et le génocide sont beaucoup plus difficiles à prouver que dans le cadre du viol ou du meurtre. De ce fait, une juridiction locale sera bien plus encline à poursuivre ces deux derniers crimes pour des raisons de rapidité et d’efficacité. Les victimes veulent être reconnues comme victimes. Leur importe-t-il que la perte de leurs proches soit qualifiée de crime contre l’humanité ou de meurtre ?

La transcription en droit interne permet de mettre en œuvre la compétence universelle.

- La compétence universelle

A l’origine, seule la piraterie faisait l’objet d’une répression universelle. Puis, après la seconde guerre mondiale, les 4 conventions de Genève de 1949 intégreront la compétence universelle481. Elle deviendra de droit coutumier pour les crimes de guerre. La convention contre la torture a également prévu un tel système482.

La compétence universelle ou « compétence extraterritoriale » a connu un regain d’intérêt ces dernières années. Les poursuites engagées contre Augusto Pinochet et la loi belge y sont pour beaucoup.

Il s’agit de la « compétence reconnue à un Etat pour réprimer des infractions commises par des particuliers en dehors de son territoire alors que ni le criminel ni la victime ne sont de ses ressortissants ». Il s’agissait de prendre en compte le caractère particulier de certains crimes. Dans l’affaire Eichmann, la Cour Suprême israélienne justifia ainsi sa compétence “it

480

William A. Schabas, An Introduction to the International Criminal Court, Édition 4 révisée, Cambridge University Press, 2011,P.197.

481

Article 49 de la Convention I : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre toute mesure

législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre des infractions graves à la présente Convention définies à l'article suivant.

Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes. »

482

Article 5.2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : « Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas conformément à l'article 8 vers l'un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article. »

is the universal character of the crimes in question [i.e. international crimes] which vests in every State the authority to try and punish those who participated in their commission”. Cette position fut reprise par le TPIY483.

La compétence de la Cour étant très encadrée, mettre fin à l’impunité ne peut se faire sans l’aide des Etats. Ce principe est rappelé dans le préambule du statut de Rome. Il y est en effet affirmé qu’il est du devoir de chaque Etat de soumettre à la juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux. La Cour étant bâtie sur une coopération juridiction internationale/juridictions nationales, cette disposition rappelait aux Etats leurs responsabilités face aux crimes les plus graves et la lutte contre l’impunité.

Mettre en œuvre ce principe repose sur la transcription en droit interne de cette exigence et de la qualification des infractions. De manière idéale, l’application de ce principe ne devrait souffrir aucune restriction. Cependant, pour des raisons pratiques, les Etats exigent la réunion de certains éléments. En général, il s’agit de la compétence personnelle et de la compétence territoriale.

Dans le cadre du statut de Rome, cette compétence est mise en œuvre différemment selon les pays. L’exemple canadien est l’un des meilleurs. A maints égards, sa législation est innovante. Certains les trouvent meilleures que celles du statut. La partie n’était pourtant pas gagnée d’avance.

A la sortie de la seconde guerre mondiale, le Canada, tout comme les autres alliés poursuivit des criminels de guerre. Ces efforts en la matière n’étaient pas brillants. Quand en 1987, il fut accusé de servir de refuge à des criminels nazi, il constitua une commission, la Commission Duchène, qui enjoignit un changement radical du code criminel en permettant la répression. Ainsi, jusqu’en 1994, le ministère public canadien avait la possibilité d’instruire des cas de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité. Le Canadian Council on International Law nous apprend cependant que ces poursuites vont connaitre un arrêt brutal avec l’affaire Finta484. A cette occasion, les juges canadiens ont exigé un niveau de preuve supérieur au code criminel canadien et du droit international de l’époque, rendant impossible la poursuite de tels crimes sur le sol canadien.

483

TPIY, Le Procureur c/Anto Kurunzija, Case No.: IT-95-17/1-T 10 December 1998,par 157.

484

Canadian Council on International Law, Tournés vers l'avenir : le droit international au 21e siècle, Volume 3 de Proceedings of the Annual Conference of the Canadian Council on International Law Series, Congrès Annuel - Conseil Canadien de Droit International, Kluwer Law International, 2002, p.31.

Grace aux négociations pour l’élaboration d’une cour criminelle internationale, une Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre485, proche de son code criminel de 1987, fut promulguée. A cette occasion, il a créé un fonds pour les crimes contre l’humanité. Annexés à cette loi, les articles 6, 7 et 8 du Statut régissant respectivement les crimes de génocide, contre l’humanité, et de guerre, sont considérés de droit coutumier et susceptibles d’être applicables à des faits antérieurs à 1998486. A cet égard, les articles de la loi relatifs aux mêmes crimes ne font que les compléter ou les préciser.

Au regard de la loi canadienne, le crime contre l’humanité s’entend du « Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu. »487

L’article 6(3) canadien reprend textuellement les énoncés des premiers alinéas de l’article 7 du statut. Il précise les populations victimes de ce crime. Où le statut évoque « une population civile quelconque », il précise « groupe identifiable de personnes ». Il renforce la définition du crime contre l’humanité qui ne s’entend plus seulement de la seule définition du statut (notamment l’attaque systématique et généralisée) mais de toute autre définition adéquate.

L’idée de compétence universelle ne fait pas l’unanimité. Henry Kissinger, craignait les abus pouvant en résulter. Il se méfiait d’une tyrannie des juges et, d’une certaine manière, trouvait le procédé taché d’ingratitude. « Most Americans would be amazed to learn that the ICTY, created at U.S. behest in 1993 to deal with Balkan war criminals, had asserted a right to investigate U.S. political and military leaders for allegedly criminal conduct -- and for the indefinite future, since no statute of limitations applies488. »

Il est aisé de déceler l’ambivalence américaine face à la justice internationale. Le mauvais souvenir conservé par les politiciens américains des années communément appelées

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Le nom complet de cette loi est « Loi concernant le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et visant la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et modifiant certaines lois en conséquence »

486

Article 6(4) de la loi canadienne: « Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier, et qu’ils peuvent l’être avant cette date, sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation. »

487

Article 6(3) alinéa 1 de la loi canadienne

488

« gouvernement des juges » s’y retrouve. Bien plus, elle nous rappelle les mots du président Chirac justifiant l’application de l’article 124 du statut par la France.

1- LA VOLONTE ETATIQUE EN QUESTION

Le Cambodge a ratifié le Statut de Rome le 7 janvier 2002. Pourtant, par la conclusion de l’accord bilatéral du 27 juin 2003, il s’est engagé à l’égard des États-Unis à ne pas coopérer avec la Cour pénale internationale, à ne pas remettre, ni transférer à la Cour un ressortissant américain ou l’une des autres personnes prévues dans l’accord, ou à le remettre, ou le transférer à une organisation ou un État tiers aux fins de remise à la Cour, ce qui constitue une violation de ses obligations essentielles de coopération stipulées dans le Statut489. Les Etats ne livrent que ceux dont ils ne veulent pas. Cela se voit particulièrement quand il saisit lui-même la Cour. Il s’agit d’une coopération à la carte.

De nombreuses et inquiétantes lacunes dans la législation américaine rendent les juridictions américaines incapables de poursuivre les auteurs de tous les crimes de guerre, définis dans le Statut de Rome et commis à l’étranger, tous ces crimes car n’étant pas expressément définis par la législation fédérale. Elles ne peuvent pas non plus poursuivre les auteurs de crime de génocide commis à l’étranger par des membres des forces armées américaines ou par des personnes non ressortissantes des États-Unis visées à l’accord bilatéral du 27 juin 2003490.

Or, cette compétence universelle malmenée permet au principe de complémentarité de prendre tout son sens.

A- LE PRINCIPE DE COMPLEMENTARITE EN QUESTION

489

FIDH, Rapport sur l'adaptation du droit cambodgien au Statut de Rome, n° 443, Mars 2006.

490

Pour des détails sur la question de la compétence extraterritoriale des juridictions américaines pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les actes de génocide et la torture, voir l’étude d’Amnesty International, Compé-tence universelle, index AI : IOR 53/002/01 à 53/018/01, chapitres 4, 6, 8 et 10, septembre 2001.

A travers l’histoire, il a existé différents types de relations entre juridictions internationales et nationales : compulsatoire (ne demandant que la ratification à un traité), l’optionnalité (demandant l’accord de l’Etat pour chaque affaire), ..

Il est possible de trouver trace de ce principe des 1943. En fait, son histoire est indissociable de la création d’une cour criminelle internationale. Cette question était tout aussi délicate que celle du crime d’agression car ayant les mêmes enjeux : la souveraineté des Etats, leur rapport avec leurs citoyens. La redéfinition de la souveraineté dans les années 90 a permis de trouver une solution à ce problème. En 1953, les Etats voulaient d’un Cour optionnelle, limitant les conflits de juridictions, mais concurrente aux juridictions nationales491. Cependant, il n’a été mis en pratique qu’avec la création des tribunaux ad’hoc en 1990. A la différence de la coopération, le terme complémentarité n’apparait qu’une seule fois dans le Statut, dans le Préambule. Au paragraphe de ce dernier, il est indiqué que […] la cour pénale internationale…est complémentaire des juridictions pénales nationales. Seul l’article 17.1 fera référence à ce paragraphe, devenant ainsi l’article régissant la complémentarité492. Compromis entre le principe de primauté et le principe de subsidiarité, il se veut une réponse à la permanence de la Cour en laissant une plus grande place à la souveraineté des Etats493.

Les tribunaux ad hoc avaient toute latitude pour s’emparer d’une affaire en cours de jugement par les juridictions nationales sans avoir à s’en justifier. Sa mise en pratique n’est cependant pas sans mal. Quelle est en effet la compétence de la compétence de la CPI ? En définitive, même si la Cour se doit de démontrer sa compétence dans l’affaire concernée, la décision finale lui revient. Son application est en question dans l’interprétation des juridictions impartiales et la saisine par les Etats eux-mêmes.

491

Jo STIGEN, The Relationship between the International Criminal Court and National Jurisdictions: The

Principle of Complementarity, The Raoul Wallenberg Institute Human Rights Library, Martinus Nijhoff

Publishers, 2008, p.38s.

492

Article 17 : Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l'article premier, une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :

a. L'affaire fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État ayant compétence en l'espèce, à moins que cet État n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites ;

b. L'affaire a fait l'objet d'une enquête de la part d'un État ayant compétence en l'espèce et que cet État a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de l'incapacité de l'État de mener véritablement à bien des poursuites ;

c. La personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 ;»

493

Grégory Berkovicz, La Place De La Cour Pénale Internationale Dans La Société Des Etats, Logiques juridiques, Editions L'Harmattan, 2005, p.200

Nous examinerons la complémentarité lors de la saisine de la Cour par les Etats concernés et les accusations d’une présomption de partialité appliquée aux juridictions locales.