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SECTION I- L’ACTION DE LA COUR, UN ELEMENT JURIDIQUE MAIS AUSSI POLITIQUE

2 - UN MONDE PLURIEL

B- LE RENVOI PAR L’ETAT ET SES CONSEQUENCES

1- UN INSTRUMENT DE CONTROLE SUR D’EVENTUELLES POURSUITES

1- UN INSTRUMENT DE CONTROLE SUR D’EVENTUELLES POURSUITES

A première vue, un Etat renvoyant son propre cas devant la Cour semble de bonne volonté. L’implication de la Cour ne lui est pas imposée. Il la sollicite volontairement. Demander l’intervention d’une juridiction internationale, n’est-ce pas la garantie d’une justice

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Chambre d’Appel, Judgment on the appeal of the Republic of Kenya against the decision of Pre-Trial Chamber II of 30 May 2011 entitled "Decision on the Application by the Government of Kenya Challenging the Admissibility of the Case Pursuant to Article 19(2)(b) of the Statute"

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In The Case Of Prosecutor V. William Samoei Ruto, Henry Kiprono Kosgey, And Joshua Arap Sang, Request

for an Oral Hearing Pursuant to Rule 156(3) devant la Chambre préliminaire II, 3 Aout 2011. 290

Chambre d’Appel, IN THE CASE OF THE PROSECUTOR v. WILLIAM SAMOEI RUTO, HENRY KIPRONO KOSGEY and JOSHUA ARAP SANG, Decision on the "Request for an Oral Hearing Pursuant to Rule 156(3)" No. ICC-01/09-01/11 OA, 17 Aout 2011

impartiale ? N’est-ce pas la démonstration d’une bonne foi? L’on reconnaît ainsi ses limites en matière judiciaire et sollicite une juridiction impartiale. Reconnaître la compétence de la Cour est vu par certains comme un aveu de faiblesse.

En fait, cela s’apparente plus à un coup de génie politique et financier. L’on écarte ses rivaux tout en faisant des économies. Ce sont d’ailleurs les seules affaires qui aboutissent à des jugements. Les dossiers ouverts à l’initiative du procureur piétinent. Les Etats refusent les visites des enquêteurs de la Cour ou ne donnent aucune suite aux courriers qu’elle leur envoie.

Le cas de figure kenyan est différent de celui que nous évoquons –il n’a pas sollicité la CPI-, mais il nous permettra d’illustrer notre propos. Il serait illusoire de croire que ces Etats qui sollicitent volontairement la Cour n’attendent pas de celle-ci un traitement de faveur. Faisant un parallèle avec le Soudan, les autorités kenyanes demandaient, en effet, à être traitées comme un Etat coopérant avec la Cour et non pas comme un Etat récalcitrant dont le cas aurait été soumis par le Conseil de Sécurité291.

La Cour en tient compte. Un Etat lui référant son cas est traité plus favorablement. La RDC est, jusqu’à présent, le seul Etat dont les préoccupations concernant l’admissibilité de son affaire furent non seulement entendues ; mais, lorsque incapable de les présenter le jour prévu, il lui fut accordé un délai supplémentaire.

La Cour ne peut effectuer des arrestations, ne peut enquêter sans l’aval de l’Etat concerné ou l’appui du Conseil de Sécurité. Seul le Conseil de sécurité peut forcer un Etat à lui livrer un suspect. Mais, cette résolution reste limitée dans ses effets. En effet, un pays bénéficiant de solides appuis au Conseil peut en ignorer les décisions, si décision il y a. La France et la Belgique livrent les personnes recherchées se trouvant sur leur territoire. De même, les forces de l’ONU présentes sur le terrain n’ont pas vocation à appréhender les personnes sous le coup d’un mandat d’arrêt international. La coopération est indispensable. Les proches du pouvoir en place sont donc rarement inquiétés. Les enquêteurs peuvent les mettre en cause, le bureau du procureur demander leur arrestation, si les autorités gouvernementales n’en retirent pas de bénéfices, s’il n’existe aucune pression internationale, les suspects ne seront pas livrés.

Il est, en effet, évident que l’intérêt ici est de se débarrasser de son opposition, non de ses partisans. Les cas traités par la Cour concernent des Etats sortants de conflits armés, des Etats dirigés par la faction armée victorieuse. Dans un contexte de désarmement ineffectif, livrer ses soutiens serait affaiblir sa position, diviser son camp entre partisans des chefs de guerre en cause et leurs détracteurs, ce serait de ce fait même renforcer son opposition. Livrer un proche du pouvoir c’est aussi le risque de révélations compromettantes.

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“ Kenya has been a State Party of the ICC and prominent supporter of the Court from the start, Kenya should be accorded the respect that it merits. It should not be treated as if an unwilling, non-cooperating State referred to the ICC by the Security Council of the UN. »

Ainsi, la RDC a accepté de livrer Thomas Lubanga Dyilo, mais elle ne tient pas compte du mandat d’arrêt émis par la CPI contre Bosco Ntaganda. En réponse aux demandes de la conseillère spéciale du procureur, le gouvernement congolais déclarait en 2009: « Le gouvernement congolais tiendra ses engagements conformément aux prescrits du Statut de Rome dont la RDC est signataire. Mais pour l'instant, la sécurisation de la partie est du pays est prioritaire et la Cour pénale internationale l'a bien compris292 ». Bosco Ntaganda est un officier important de l’armée congolaise dans la région de l’Iturie, région où l’autorité de l’Etat congolais peine à s’installer. La RDC écrivait également à Amnesty International293, que ses obligations envers le peuple congolais passaient avant toute coopération avec la CPI. Bosco Ntaganda semble pourtant contribuer au pillage de la région. Nous sommes en 2012, il n’est toujours pas transféré à La Haye294.

Nous ne pouvons nous empêcher de comparer la rapidité d’exécution du gouvernement congolais dans ces deux cas. Le mandat d’arrêt de Thomas Lubanga a été émis le 10 février 2006 par la CPI. Il fut livré par le gouvernement congolais le 16 mars 2006 soit un mois plus tard. Le mandat d’arrêt contre Bosco Ntaganda date du 22 août 2006 et, six ans après, il est, selon la formule de la Cour, toujours en fuite295. Jean Pierre Bemba, rival politique de Joseph Kabila est, lui aussi, détenu à La Haye296.

Le pouvoir en place, libre d’une partie de son opposition, peut exercer son autorité. Les procès internationaux étant très longs (près de 10 ans pour Thomas Lubanga) et aboutissant généralement à des peines d’emprisonnement très lourdes, les opposants sont définitivement écartés de la vie politique locale. Les personnes recherchées par la Cour se cachent. Elles perdent toute crédibilité. Elles ne pèsent plus sur l’échiquier national. Il est vrai que certains comparaissent librement, mais il faut être vraiment certain de son innocence pour le faire. Dans l’affaire du Darfour, M. Abu Garda297 a comparu

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Le procureur de la CPI en visite en Ituri, Congo-Planet, 9 juillet 2009, disponible sur http://www.congoplanete.com/article.jsp?id=45262222

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L’organisation avait demandé en 2009 que Bosco Ntaganda soit livré à la justice, voir déclaration sur le site d’Amnesty International, http://www.amnestyinternational.be/doc/s-informer/actualites-2/article/republique-democratique-du-congo-14206

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Il s’est rendu le 18 mars 2013.

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République démocratique du Congo, ICC-01/04-02/06, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, http://www.icc-cpi.int/menus/icc/situations%20and%20cases/situations/situation%20icc%200104/related%20cases/icc%2001 04%200206/icc%200104%200206?lan=fr-FR

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Bemba, sous la bannière du MLC, avait obtenu 42 % des voix au second tour au second tour de l’élection présidentielle, recueillant même plus de 70 % des suffrages à Kinshasa, la capitale. Son parti représente la troisième force politique du pays.

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Il s’agissait de l’affaire Le Procureur c. Bahar Idriss Abu Garda. M. Abu Garda était soupçonné, en tant que coauteur ou coauteur indirect, au sens de l’article 25 3 a du Statut de Rome, des trois chefs de crimes de guerre suivants :

- commission ou tentative de commission d’atteinte à la vie sous forme de meurtre, au sens de l’article 8 2 c i du Statut ;

- fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission de maintien de la paix, au sens de l’article 8 2 e iii du Statut ;

volontairement devant la Cour. Suite à l’audience de confirmation des charges, les poursuites ont été abandonnées. Le Procureur peut rouvrir une enquête, mais seulement s’il survient des éléments nouveaux.

Cependant, la fin des poursuites devant la Cour ne signifie pas l’arrêt des poursuites devant les juridictions de tout Etat décidant d’exercer sa compétence universelle. En effet, un même individu peut être poursuivi pour des motifs différents. Les affaires sont parfois connexes du fait même de la complexité des conflits en Afrique centrale. Les groupes rebelles à l’autorité étatique trouvant refuge dans l’Etat voisin. Ils s’y rendent coupables d’exactions. Ainsi, Callixte Mbarushimana, arrêté par les autorités françaises en 2010 et remis en liberté par la Cour en 2011, fait toujours l’objet d’investigations en France. Il est actuellement sous contrôle judiciaire à Paris. Devant la CPI, c’était son rôle supposé dans le conflit en RDC qui était dénoncé ; en France, il s’agit de son implication dans le génocide rwandais.

Ce cas de figure (saisine de la Cour par l’Etat concerné) peut ainsi donner une impression d’instrumentalisation de la Cour. Les soupçons d’une justice de vainqueurs resurgissent.