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B- LES MEMBRES PERMANENTS, AU DESSUS DE LA COUR

1- L’IMPOSSIBLE CONTROLE DES DECISIONS DU CONSEIL DE SECURITE

Avant la chute de l’URSS, le fonctionnement 200du Conseil était freiné par l’usage intempestif du droit de veto. Nous sommes maintenant dans un monde unipolaire, une seule grande puissance semble diriger le Conseil201. Après 1990, cependant, ses activités se sont étendues. Le seul contrôle existant est exercé soit par l’Assemblée générale ou par des juridictions.

- L’Assemblée Générale

L’Assemblée Générale pourrait dans certains cas avoir pouvoir de contrôle, mais un contrôle a posteriori.

Selon l’art.17 de la Charte, elle examine et approuve le budget de l'Organisation. Elle vote les fonds alloués aux entreprises du Conseil. Aussi si elle les désapprouve, elle pourrait les bloquer. Les opérations de maintien de la paix ont un budget séparé du budget général de fonctionnement de l’ONU. Ainsi, si le budget annuel 2011-2012 de l’ONU est de 5 milliards de dollars, celui des opérations de maintien de la paix est de 7 milliards.

Il existe aussi le système de recommandations. En vertu de l’article 10 de la charte, l'Assemblée générale peut, par exemple, discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l'un quelconque des organes prévus dans la présente Charte. Outre l’absence de toute force obligatoire des recommandations, la limite de ce procédé est immédiatement exprimée et l’article 12.1 lui défend d’exprimer ces recommandations quand le Conseil remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la Charte, à moins qu’il ne le lui demande. Une telle demande semble relever de l’utopie, mais son existence est prévue.

Une autre limite réside à l’art.18. En vertu de ce dernier, les décisions relatives aux questions importantes (recommandations relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales, élections des membres non permanents du Conseil…) ne peuvent être prises qu’à la majorité des 2/3. L’activité du Conseil étant largement constituée par des questions de maintien de la paix, le rôle de l’Assemblée semble être entravé par cette disposition. Les

200

Bruce CRONIN, Ian HURD, The UN Security Council and the politics of international authority, Security and governance series Vol.3, Routledge, 2008,249 pages, P158

201

A cet égard, Reissman qualifie le Conseil de directoire international, voir Le développement du rôle du

conseil de sécurité: peace-keeping and peace-building : Colloque, La Haye, 21-23 Juillet 1992, Recueil des Cours,

Colloque Series, Vol.16, René Jean Dupuy, Hague Academy of International Law, Martinus Nijhoff Publishers, 1993, p.126.

considérations politiques et économiques y étant très importantes, l’on peut se demander si les Etats auraient la volonté de dicter une conduite aux Etats les plus puissants, la patience nécessaire pour réunir une majorité des 2/3.

Concernant le maintien de la paix, mentionnons la résolution 377 de l’Assemblée Générale. Elle fut adoptée en réaction à l’attitude soviétique car, à l’époque, l’URSS utilisait son droit de veto de manière abusive, bloquant ainsi le Conseil. Au point A.1 de cette résolution, l’Assemblée décida que si l’unanimité ne pouvait être trouvée en cas de menace contre la paix ou acte d’agression, elle recommanderait toute mesure nécessaire y compris l’usage de la force. Si elle n’est pas en session, elle convoquerait alors une session extraordinaire202. Il est vrai que l’Assemblée ne saurait se substituer au conseil, fait contraire à la charte, elle ne peut que recommander. Cependant, cette résolution est intéressante en ce qu’elle entrouvre un pouvoir de contrôle plus grand sur les actions du Conseil. L’exemple syrien montre en effet à quel point l’unanimité semble hors de portée parmi les membres permanents.

Si l’Assemblée ne peut encadrer le Conseil, est-il néanmoins possible pour des juridictions d’exercer un contrôle de légalité ?

- La difficulté d’un contrôle juridictionnel

Un contrôle juridictionnel existe. Nous nous pencherons ainsi sur le rôle exercé par la Cour Internationale de Justice et d’autres juridictions internationales. Cependant, les caractéristiques même de ce contrôle démontreront sa difficulté.

- La Cour Internationale de Justice

Dans un avis consultatif de 1971203, la Cour se déclare, d’emblée, incompétente tant en ce qui concerne un pouvoir de contrôle judicaire qu’un pouvoir d’appel pour connaître des décisions de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pour elle, cela était même un fait évident.

202

Elle créa à cet effet deux organes : la Commission d’observation pour la paix et la Commission chargée des mesures collectives. Toutes deux ont eu des durées de vie courtes : la première cessera de fonctionner en 1960 et la seconde après seulement deux ans d’existence.

203

« Il est évident que la Cour n'a pas de pouvoirs de contrôle judiciaire ni d'appel en ce qui concerne les

décisions prises par les organes des Nations Unies dont il s'agit » Avis consultatif du 21 juin 1971, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, par.89 de la décision. L’Afrique du Sud contestait les décisions

de ces deux organes aux motifs qu’ils n’avaient pas de pouvoirs judiciaires. Elle demandait aussi à la Cour de se déclarer incompétente en raison des pressions politiques qu’elle aurait eu à subir. Avis consultable sur le site de la CIJ à l’adresse suivante : http://www.icj-cij.org/docket/files/53/5594.pdf

Cette position de principe n’a pas toujours été respectée. Cette évidence ne l’a ainsi pas empêchée de statuer en la matière. Se déniant un pouvoir de control à titre principal, elle l’exerce de façon subsidiaire. La Cour s’est prononcée à diverses reprises sur des décisions tant de l’Assemblée Générale que du Conseil.

Dans son avis consultatif de 1954204, la Cour examine, à la lumière de la Charte, la légalité des actions de l’Assemblée Générale dans ses rapports avec le tribunal. Il s’agissait de savoir si l’Assemblée était liée par les décisions rendues par ledit tribunal administratif des Nations Unies. La Cour répondit par l’affirmative. Elle déduit de l’acte constitutif du tribunal que l’Assemblée lui a conféré le pouvoir de la chose jugée. De même, ces jugements s’imposent au Secrétaire Général. Cet avis qui anéantit tout recours de l’Assemblée démontre que la prudente position de principe de la Cour ne l’enferme pas. Elle a la compétence de sa compétence.

Un tel contrôle est de fait ponctuel et limité. La Cour ne peut se saisir d’elle-même de toute affaire lui apparaissant contrevenir aux dispositions de la Charte; elle n’a pas de pouvoir d’auto-saisine. De plus, les personnes compétentes pour la saisir sont peu nombreuses. Au niveau contentieux, seuls les Etats sont habilités à le faire ; au niveau consultatif, la saisine est élargie aux organes ou institutions autorisées par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions. L’on voit donc qu’en matière consultative, la saisine dépend du bon vouloir de l’Assemblée Générale ou du Conseil.

De tels arrêts consultatifs n’ont pas de portée obligatoire. Certains Etats ne les appliquent donc pas. L’on pense notamment aux États-Unis dans l’avis consultatif relatifs aux activités paramilitaires au Nicaragua. Si le gouvernement américain céda, ce fut sous pression du Congrès205.

Qu’en est-il alors des tribunaux pénaux internationaux institués par le Conseil? Nous prendrons l’exemple du TPIY.

- Le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie

Le principe de l’existence du TPIY a été mis en question. Il s’agit de l’exception préjudicielle de l’arrêt Tadic206. Etant créée par une résolution du Conseil, cette juridiction a ainsi été

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Avis consultatif du 13 juillet 1954 relatif aux Effets de jugements du tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnités.

205

Il fallut trois amendements pour y parvenir. Le troisième amendement Boland enterra définitivement ce soutien américain. Ces activités étaient beaucoup trop coûteuses. Le Nicaragua demanda un vote du Conseil de sécurité pour que la décision de la CIJ soit appliquée. Le veto américain fit échouer cette initiative. Le Nicaragua ne fut donc jamais indemnisé.

206

Le Procureur C Dusko Tadic, Alias "Dule", Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception

obligée d’en apprécier la valeur. Ainsi, pour la Chambre de première instance, il ne revient pas au tribunal, organe subsidiaire, de se prononcer sur les résolutions du Conseil, même celles la concernant207.

La Chambre d’appel ne l’a pas suivie. Elle estime ainsi que le tribunal est, certes, un organe subsidiaire, mais un organe subsidiaire spécial, un système autonome. De ce fait, il lui revient d’exercer un pouvoir de contrôle subsidiaire sur la résolution le créant. Le caractère politique de la résolution n’est pas un obstacle, les questions politiques n’étant plus que des reliques, inexistantes en droit international contemporain. En agissant dans le cadre des pouvoirs qui lui sont alloués au chapitre VII de la Charte, le Conseil était donc loin d’outrepasser ses pouvoirs. La création du Tribunal fut donc légale.

Que le Tribunal rende un avis condamnant sa création aurait été étonnant ! Que ce soit en première instance ou en appel, les juges se sont reconnus compétents. Les arguments n’étaient certes pas les mêmes. Ce qu’il faut cependant retenir c’est que tout organe spécial créé par le Conseil est à même d’examiner les résolutions le concernant. Ce contrôle est cependant à l’image de celui de la Cour, limité et ponctuel.

Un autre exemple de contrôle de ces résolutions peut être trouvé dans l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne.

- La Cour de Justice de l’Union Européenne

Nous nous intéresserons ici à l’affaire Al Barakaat Foundation.208 La Grande Chambre de la Cour déclare ainsi « le Tribunal209 a jugé qu’il était néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions du Conseil de sécurité en cause au regard du jus cogens210, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du

207

Ainsi que le rappelait la chambre d’appel, il fut décidé en première instance que « C'est une chose pour le

Conseil de sécurité de prendre soin de s'assurer de la création d'une structure appropriée pour la conduite de procès équitables ; c'en est une autre de déduire, sous quelque angle qu'on se place, de cet établissement attentif, que l'intention était d'habiliter le Tribunal international à contester la légalité de la législation qui l'a créé.» Idem, par.8 du jugement de première instance.

208

Il s’agit des recours de M. Kadi et Al Barakaat International Foundation, contre le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidées à l’encontre des Taliban d’Afghanistan.

209

La Chambre se réfère au jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 21 septembre 2005. Les demandeurs y avaient été déboutés.

210

Norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère Si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin.

droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger. 211»

Elle valide cette décision du tribunal de première instance en affirmant que le contrôle juridictionnel incident exercé par le Tribunal, … peut donc très exceptionnellement s’étendre à la vérification du respect des règles supérieures du droit international relevant du jus cogens et, notamment, des normes impératives visant à la protection universelle des droits de l’homme, auxquelles ni les États membres ni les instances de l’ONU ne peuvent déroger parce qu’elles constituent des ‘principes intransgressibles du droit international coutumier’. La Cour le dit elle-même, il est incident, mais dans le cas d’espèce elle a infirmé le règlement communautaire en question, sur cette base du jus cogens.

Un contrôle existe donc dans les faits. C’est son caractère aléatoire, ponctuel, et limité qui le rend difficile voire impossible à faire respecter. Le seul organe contrôlant le Conseil est le Conseil lui-même. Le droit de veto deviendrait alors un garde-fou contre toute dérive. La Chine s’opposant à une décision américaine exerce alors le seul pouvoir de contrôle efficace. Il ne reste plus qu’à conclure que la Chine et la Russie sont les garants de la sécurité internationale.

L’absurdité d’un tel résultat réside dans le droit de veto lui-même, qui n’a pas été créé pour cela, l’anachronisme de ce conseil, les luttes d’influences qui s’y déroulent. Les membres permanents usent de chantage, de corruption et de menace sur les autres. A titre d’exemple, la résolution 678 contre l’Irak.

A cette époque, Saddam Hussein occupait le Koweit. La résolution donnait mandat à une coalition menée par les Etats-Unis pour l’en déloger. Cette résolution fut adoptée par 12 voix contre 15 (abstention de la Chine et vote négatif du Yémen). Ce dernier paya chèrement son vote212. Il perdit ainsi, quelques temps après, toute aide saoudienne et américaine213. La Turquie, quant à elle, fournit son appui à Washington. Elle vit la Banque Mondiale débloquer ses demandes d’aides214.

211

pt 87 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre), 3 septembre 2008, disponible sur le site de la Cour http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=67611&pageIndex=0&doclang=FR&mode=r eq&dir=&occ=first&part=1&cid=382227

212

“That will be the most expensive ‘no’ vote you ever cast.” dit un diplomate américain à l’ambassadeur yéménite. Le micro n’étant fermé, les autres nations présentes purent entendre cette menace, cité par Phyllis Bennis, Yemen: Deja Vu All Over Again, 13 janvier 2010, institute for policy studies.

213

L’on a estimé que ce « non » avait couté en tout 1000 milliards de dollars américains (l’augmentation des

interêts de la Banque Mondiale et du FMI entrent dans ce total) au Yémen, l’un des pays les plus pauvres du

monde, sans compter l’expulsion de 800.000 de ses ressortissants d’Arabie Saoudite., Geoffrey Leslie Simons, Tony Benn, Iraq: from Sumer to Saddam, Palgrave Macmillan, 1996, p.358.

214

Geoffrey Leslie SIMONS, The scourging of Iraq: sanctions, law, and natural justice, Palgrave Macmillan, 1998, p. 40.

Dans un entretien accordé au Financial Times, Kofi Annan admettra que la nature et la composition du Conseil le laissait ouvert à de telles manipulations215.

Le rapporteur spécial contre la faim, M. Jean Ziegler estimait, en 2002, que le Conseil de sécurité, en soumettant le peuple iraquien à un embargo économique rigoureux depuis 1991, viole de façon flagrante l’obligation de respecter le droit de la population iraquienne à l’alimentation216.

Ramsey Clarck, ancien attorney général des Etats Unis, s’indignait lui aussi de ce que « The U.S. has always blamed Saddam Hussein for the condition of the Iraqi people. Madeleine Albright has repeatedly argued that she loves the Iraqi people more than Saddam Hussein does. [….]He is constantly cited for using "weapons of mass destruction" against his own people…The death of 500,000 children in Iraq is caused by U.S.-forced sanctions and Ambassador Madeleine Albright said "Yes, the price is worth it"»217 Pour lui, le Conseil serait coupable de génocide et crimes de guerre en Irak218.

Le fait que ce sont les pays menaçant le plus la paix et la sécurité internationales qui en sont les garants est également loin de rassurer.

2- LE CONSEIL, TOUJOURS GARANT DE LA PAIX ET SECURITE