• Aucun résultat trouvé

Tout comme les tribunaux ad’hoc, le problème de légitimité s’est posé. Il s’agit là d’une légitimité sociologique puisque son acte constitutif n’est pas en cause. Pour l’établissement d’une juridiction, un traité semble une base bien plus adéquate qu’une résolution du Conseil. C’est la transparence de son action qui est en cause. La politique du Conseil est une autre contrainte entrainant une absence de démocratie.

1- L’ABSENCE DE TRANSPARENCE

L’absence de transparence est à rechercher tant du côté de la Cour que du côté des Etats.

- La Cour et la transparence

Le Procureur ne justifie pas, en général, la sélection des affaires. Il existe quelques exceptions où ses décisions furent motivées et les documents accessibles au grand public. Cependant, le fonctionnement du Bureau a fait l’objet de plusieurs rapports. DeGuzman souligne que la transparence si elle met en évidence l’incohérence peut être un frein à la légitimité120. Le refus de poursuivre la Grande Bretagne parce que ne remplissant pas le critère de gravité en est un exemple.

Wippman expliquait ainsi les préoccupations américaines quant au rôle du procureur. Aux Etats-Unis, il tire sa légitimité d’un processus démocratique, donc, dans l’exercice de ses fonctions, il est sujet à un contrôle législatif et exécutif. Transposé à la CPI, ce contrôle doit être exercé par l’assemblée des Etats parties et les chambres, qui décident de l’opportunité des poursuites. Cependant, un contrôle exercé par plus de 120 Etats est potentiellement inefficace121. Seules les chambres encadrent l’action du procureur avec plus ou moins de succès. A cet égard, elles ont réaffirmé le respect de la présomption d’innocence mais leurs décisions ont une portée médiatique moindre que les déclarations du procureur. Les Etats Unis demandaient pour cette juridiction internationale un contrôle du Conseil de sécurité qu’ils jugeaient plus efficace.

Dans un souci de justice, Megret suggérait la réparation des torts causés par des poursuites injustifiées122. Vu le nombre d’acquittés à la CPI et la lenteur des procédures, l’application de cette proposition achèverait de la ruiner.

120

Margaret M. DEGUZMAN, Choosing To Prosecute: Expressive Selection At The International Criminal Court, Michigan Journal of International Law [Vol. 33:265, Temple University Legal Studies Research Paper No. 2011-16, P.298

121

Wippman, op cit, p.200

122

Frederic MEGRET, International Prosecutors: Ethics and Accountability, Leuven Centre for Global Governance Studies, December 9, 2008, Working Paper No. 18

- Les Etats et la transparence

Le résultat de l’action du TPIR est sans appel : les partis au pouvoir n’ont été que peu inquiétés par les poursuites. A première vue, l’action du TPIR peut être considérer partiale. La dissimulation de l’Etat doit cependant être prise en compte. Une des raisons de ce résultat est en effet la coopération à la carte des autorités rwandaises. Le parti au pouvoir était peu soucieux de fournir des éléments de preuves ses partisans ou dirigeants.

Les Etats détracteurs de la Cour n’évoquent jamais les freins qu’ils posent à l’administration de la justice.

Le gouvernement ne peut la manipuler en menaçant ou corrompant les juges. Il est donc obligé d‘employer des moyens détournés en comptant sur le soutien de ses alliés du continent. En qualifiant l’action des juridictions internationales de néocolonialiste, il joue sur une corde sensible en Afrique. Il se place en position de victime tout en discréditant les tribunaux. Pour des populations méfiantes envers la justice en général, ce discours a une portée réelle.

Les gouvernements se gardent bien de préciser qu’au niveau local tout est mise en œuvre afin que les témoins reviennent sur leurs déclarations. La subornation de témoins est un phénomène récurrent et inquiétant pour la CPI. De même, les mandats d’arrêts internationaux ne sont pas exécutés au niveau national.

Les dysfonctionnements ne sont pas du seul fait des Etats mais ils jouent un rôle essentiel. La Cour devait ici compter sur le soutien du Conseil mais celui-ci ménage ses relations avec les Etats du continent riches en pétrole et terres cultivables. Leurs intérêts ne coïncident pas avec ceux de la justice. L’action des juridictions internationales repose tellement sur le bon vouloir des Etats qu’elles en sont réduites à quémander la coopération de certains pays peu démocratiques, des Etats dont la ratification du statut de Rome est plus qu’improbable. Ainsi, nombre d’Etats engagés dans des conflits ne l’ont pas ratifié. Le renvoi par le Conseil devait pallier à ce problème mais ce dernier n’est pas un exemple de lutte contre l’impunité. Ces membres permanents en jouissent depuis des décennies. Ils protègent leurs alliés de poursuites au niveau international. Al Beschir n’est pas une victime du néocolonialisme juridique mais un protégé –pour l’instant- du néocolonialisme politique. A cet égard, les intérêts des Etats, sensibles au changement, entraineront un revirement de situation. Il deviendra populaire de soutenir la CPI, ils trouveront un nouvel individu plus malléable,… Dans une analyse très optimiste, Mendez concluait « Les procès dissuadent les futures violations des droits de l’homme en accroissant la perception d’éventuels coûts de répression pour les agents étatiques individuels. La certitude concernant l’investigation et la poursuite

de crimes massifs entrera dans le calcul de tout leader pensant utiliser la violence pour accéder au pouvoir ou pour le maintenir 123» Cependant, les sanctions prononcées sont faibles et le parti au pouvoir rarement inquiété. Les investigations menées en Côte d’Ivoire ou en RDC n’ont pas particulièrement améliorées la situation sur le terrain. La force dissuasive de la justice internationale doit être mise en balance avec les gains potentiels de l’exercice de la violence par le leader concerné. Le soutien politique accordé à la Cour entre dans la stratégie des Etats. Il est incertain car dépendant des circonstances. Ce qui est certain en revanche reste l’absence de consensus autour de ses actions.

2- L’ABSENCE DE CONSENSUS

Mettre fin à l’impunité, punir les responsables de crimes de guerres et génocide semblent consensuels. Cependant, aucune des affaires pendantes devant la Cour n’a fait l’objet de consensus au sein de la population. De fait, tous ses choix sont attaqués. Aucune de ses décisions ne satisfait tant ses partisans que ses détracteurs. En fait, tous ont des idées différentes sur la manière dont doivent être menées les enquêtes et attendent des résultats conformes à leurs présupposés. Or, pour de deGuzman, la légitimité de la Cpi tient en la conviction par tous que « les bons crimes » et « les bons suspects » sont poursuivis124. Aucun accord n’existe en effet sur la définition et le contenu « des crimes les plus graves » et des plus hauts responsables » dans les affaires concernées. Sa légitimité est donc perpétuellement remise en question. Les débats qui ont divisés les conférences de préparation du statut (contenu du crime contre l’humanité, rôles respectifs du procureur et du Conseil de Sécurité,…) refont ainsi surface. Les Etats ne se sont pas contentés du compromis trouvé, raison pour laquelle certains n’ont pas ratifié, et campent sur leurs positions.

Pour deGuzman comme Wippman, l’absence de vision et d’objectifs suffisamment clairs et cohérents est la cause de ce problème. En l’espèce, la sélection des affaires est justifiée au cas par cas et ne rentre pas dans un plan d’action préalablement défini donnant satisfaction à tous. Un tel plan aurait pu éviter la pratique des renvois volontaires qui servent à instrumentaliser la Cour.

Ajouté aux faibles ressources de l’institution, le procureur est obligé de choisir des cas symboliques. Il est ainsi évident qu’ils attireront plus l’attention et donc la polémique.

123

Juan MENDEZ, L’importance de la justice dans la garantie de la paix, Conférence de révision du Statut de Rome, 30 mai 2010, PRC/ST/PJ/INF.3, p.7, par 27

124

Cependant, les précédentes juridictions internationales malgré une feuille de route préétablie ont souffert de cette absence de consensus. Les relations tendues entre le TPIR et la Serbie en sont un exemple. Les serbes semblent avoir fait bloc contre la Cour. Il s’est opéré un consensus mais à son détriment. A cet égard, la méfiance des communautés peut avoir plusieurs causes : l’éloignement de la juridiction, le manque d’information amplifiée par la rareté des moyens de télécommunications, la propagande politicienne,…

Le problème s’aggrave lors de la libération de coupables. L’opinion publique ne se pose plus alors la question de sa légitimité mais celle de son efficacité.

Le volet éducatif a ses limites. S’il a pour but de transformer tous les Etats en Etats vertueux, il faudra définir les Etats concernés. Il s’agit certainement des Etats occidentaux. Cependant, les Etats les plus respectueux des droits de l’Homme ne le sont pas en dehors de leurs frontières. Le respect des droits de l’Homme étant à géométrie variable, l’aspect éducatif est donc à relativiser. En fait, les juridictions internationales ne pouvant poursuivre ces Etats, elles ne font que renforcer le sentiment d’impunité.

***

Le système international manque de démocratie. Ce n’est pas le fait de la Cour mais du Conseil et des rapports de force entre Etats. Cependant, son fonctionnement s’en ressent et se répercute sur l’opinion. Le renvoi par le Conseil est une décision politique. L’impunité des forces de maintien de la paix au Darfour marquait pour le Pr. Ambos la fin de l’innocence de la justice internationale vis-à-vis des puissances125. Mettre fin à l’impunité demande bien plus qu’une juridiction. Elle demande une réforme en profondeur du conseil de sécurité.

B- LE CONTROLE DU CONSEIL : LE COUP DE GRACE AU PRINCPE