• Aucun résultat trouvé

SECTION II- LA « POLITIQUE ETRANGERE » DE LA CPI

A- LA POLITIQUE DE LA COUR FACE AUX ONG

Face aux ONG, la Cour dispose de la plus grande marge de manœuvre. S’il lui est possible de poursuivre une politique de distanciation sans trop de dommage, il n’en va pas de même pour les ONG qui restent prisonnières de leur rôle dans son avènement.

1- UNE INDISPENSABLE POLITIQUE DE DISTANCIATION

Les Etats dont la Cour doit s’assurer la coopération ne voient pas forcément d’un bon œil ses liens supposés avec les ONG internationales. Certains ont en effet des différends avec

310

Le Procureur du TPIR, Jarlow, devant le 6143e réunion Conseil de Sécurité, le 4 juin 2009, New York « …we were able to reach an understanding with the Rwandans, who wanted to prosecute the case that we had developed. ….The trial itself was monitored by staff from my Office. It was an open and public trial, and other parties monitored the proceedings, which, were, in fact, also video recorded. »S/PV.6134, p.33

311

Lars WALDORF, ”A Mere Pretense of Justice”: Complementarity, Sham Trials, and Victor’s Justice at the

Rwanda Tribunal, in Transitional Justice: War Crimes Tribunals and establishing the rule of law In Post-Conflict

certaines d’entre elles. Il ne s’agit pas forcément des Etats que l’on croit. L’on imagine aisément le Togo suspicieux devant les actions d’Amnesty International et l’on se souvient tous du Soudan fermant ses frontières aux organisations humanitaires. L’on oublie que les États-Unis et la France, eux aussi, peuvent se voir épinglés par les Ong internationales. Les ONG internationales constituent une nébuleuse. Au sein de ICCnow, la coalition des ONG en faveur de la Cour, elles ne sont pas moins de 200. Prendre ses distances avec celles-ci peut favoriser l’action de la Cour ne serait-ce qu’en rendant plus lisible sa politique. Ces ONG prétendent promouvoir les droits de l’Homme, en général, et tout comme ceux-ci leur champ d’action est potentiellement infini.

Au cœur de la méfiance étatique, au-delà de la mauvaise foi et « d’être pris la main dans le sac », il est possible d’interroger leur neutralité et leur légitimité à s’immiscer dans les affaires internes d’un Etat. Pour certains, ces ONG représentent « la société civile internationale ». Mais qu’est-ce que la société civile internationale ? Un agrégat d’ONG à l’exception des syndicats ou la somme des sociétés civiles nationales ?

De même, qui sont les membres de ces ONG, comment sont-ils élus ou désignés ? Quelles sont leurs compétences ?

Les ONG dont il est question ici sont d’origine européenne ou anglo-saxonne. Fruits de leur environnement, elles en véhiculent les idées et les valeurs. Ces dernières ne sont pas celles reconnues par l’ensemble des Etats sur la scène internationale. Nous prendrons ici l’exemple de l’homosexualité.

Si dans les pays du Nord, le mariage homosexuel est en voie d’être autorisé partout, tel n’est pas le cas dans de nombreux pays du Sud. Ces pays, qui, par tradition ou conviction religieuse forte, s’opposent à une telle pratique sont alors accusés de bafouer les droits de la communauté homosexuelle. Mais, à quel moment un droit en devient un ? Suffit-il d’une pression internationale forte pour changer toute une culture ? S’ils s’élèvent des condamnations d’ONG, l’Etat ne verra-t-il pas une tentative de déstabilisation extérieure ? A tout le moins, il n’y verra qu’un signe de décadence et se sentira moralement supérieur. L’ONG est alors passée à côté du but recherché.

Cette divergence de vue peut se retrouver entre ONG. Au sujet du travail des enfants, Samy Cohen rapportait les divergences de vue entre les ONG du Nord qui en demandent l’arrêt et celles du Sud qui craignent qu’une telle décision n’expose les enfants à des risques bien pires comme la prostitution.

Les procédures suivies par la Cour ne correspondent pas à celles des ONG. Les témoignages recueillis par les ONG sont anonymes et ne peuvent faire l’objet d’enquêtes par la Cour. En décembre 2007, la fondation Prometheus publiait un rapport sur la transparence financière des ONG. Elle passait aux cribles les statuts et comptes des ONG quand ceux-ci

étaient disponibles. L’on y découvre ainsi que Sherpa est financée par « un généreux mécène », et que les membres fondateurs d’Attac détenaient la réalité du pouvoir de décision. La fondation Prométheus est elle-même composée de représentants des Laboratoires Servier, EADS, Dassault Aviation… A ce titre, on peut soupçonner un certain biais de l’étude, les entreprises susmentionnées ne brillant guère par leur propre intégrité. En 2012, sur le site de l’association Sherpa, l’on découvre qu’elle est financée en partie par la fondation Meyer, elle-même sous le contrôle de l’autorité de surveillance du comté de Vaud en Suisse. Les organismes de contrôle des finances sont rares. Dans la grande majorité des cas, en France, les ONG sont les seules habilitées à contrôler leurs comptes. Elles peuvent être tentées de satisfaire leurs mécènes bien plus que l’intérêt général.

Pour toutes ces raisons, la Cour devient un acteur indépendant du mouvement associatif. De fait, elle ne fait pas droit à toutes les requêtes émanant des ONG. Le procureur ne choisit pas ses affaires en fonction des volontés de la société civile. Bien au contraire, il semble dépendant des choix des Etats. Les ONG n’ont pas saisi la Cour sur une situation donnée. Elles n’interviennent qu’en appui de l’action de la Cour. Leurs méthodes de travail diffèrent. Au contraire de la Cour, une ONG de défense des droits de l’Homme n’a pas à s’assurer de la coopération de l’Etat concerné, ce qui suppose être dans ses bonnes grâces.

Cette distanciation est également effectuée par les ONG qui sont parfois très critiques quant aux actions de la Cour. La FIDH a ainsi dressé un bilan parfois peu flatteur des dix premières années d’existence de la CPI. Elle a publié une « Note de la FIDH sur les premières années de la Cour pénale internationale »312, « La CPI, 2002 - 2012 : 10 ans, 10 recommandations pour une Cour pénale internationale efficace et indépendante »313,

Human Right Watch publie des mémorandums à l’occasion des différentes sessions de la Cour. « CPI: Une trajectoire à rectifier », « Un travail inabouti », Elles relaient également sur son site des articles hostiles314.

Elles essaient de demeurer neutres et impartiales dans leurs analyses. En ce sens, il faut distinguer entre ONG de défense des droits de l’Homme et ONG humanitaires. Pour Françoise Bouchet-Saulnier, Directrice juridique de Médecins Sans Frontières, « Les organisations humanitaires ne doivent pas être perçues comme des informateurs ou des « espions judiciaires » de la CPI, présents sur le terrain pour recueillir des preuves, plutôt que pour secourir les victimes.315 » Dans le cas contraire, elles ne pourraient accomplir leur mission auprès des populations locales.

312 19 janvier 2010 313 27 juin 2012. 314

Par exemple, Richard Dicker, A Flawed Court in Need of Credibility, The International Herald Tribune, 21 mai 2012

315

Françoise BOUCHET-SAULNIER, La spécificité des ONG humanitaires vis-à-vis de la CPI, interview accordée à la Coalition française pour la Cour pénale internationale (CFCPI), 26 avril 2007, http://www.cfcpi.fr/spip.php?article124.

Il n’en reste pas moins que les ONG restent prisonnières de leur rôle dans l’avènement de la Cour.

2- LES ONG PRISONNIERES DE LEUR ROLE DANS L’AVENEMENT DE LA COUR

Même quand elles critiquent son action, les ONG restent toujours dans des limites acceptables et parfois excusent ses faiblesses. Il est évident que désavouer la Cour c’est reconnaître leur erreur. Elles estiment que la CPI est une victoire de la société civile internationale c’est-à-dire les ONG.

De ce fait, elles continuent toutes d’œuvrer pour l’universalité du traité. A ce titre, elles félicitent tout nouvel Etat qui le ratifie. Elles appellent toutes à une meilleure coopération avec la CPI. Tout rapport critique comporte des recommandations pour une meilleure efficacité de son action.

En contrepartie, les Etats opposés à la Cour soupçonnent les ONG de propagande en faveur de la juridiction. La CPI est prise dans ce vieux conflit Etats/ONG. Elle en est une victime collatérale.

Les critiques à l’encontre de la Cour sont les Etats, les organisations intergouvernementales comme l’UA, les chercheurs en sciences humaines et sociales, les journalistes. Certains arguments reviennent le plus : manque de crédibilité, souveraineté des Etats, politisation.