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SECTION II - LA RESPONSABILITE DES SOCIETES MULTINATIONALES

LE PACTE DES NATIONS UNIES RELATIFS AUX DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS, UN PACTE DANS

A- LE CONTRE EXEMPLE DU TRIBUNAL DE NUREMBERG 435

A Nuremberg - que l’on considère les procès du Tribunal Militaire International, proprement dit, ou ceux devant les juridictions nationales qui ont suivi - d’importantes figures du monde économique furent jugées pour l’aide qu’elles apportèrent au régime d’Hitler et des profits qu’elles en ont retirés. Cela est démontré par les exemples de Walther FUNK et les procès de certains industriels allemands.

1- WALTHER FUNK

Walther Funk était un ancien journaliste financier, devenu Ministre de l’économie et Général plénipotentiaire de la guerre économique d’Hitler, président de la Reishbank. Il fut reconnu coupable de crime contre la paix, crime de guerre, crime contre l’humanité et condamné à la prison à vie. Il fut libéré pour raison de santé en1957. Il mourut en 1960.

- Crimes contre la paix

Si Funk a été reconnu coupable de crimes contre la paix, c’est à cause de son aide et de son expertise qui ont été déterminantes dans le financement de la machine de guerre allemande tant aux phases de préparation que d’exécution.

Goering lui demanda de tout mettre en œuvre en tant que ministre de l’économie afin que l’armement allemand puisse s’accroître. Il devait notamment accentuer ses efforts en matière d’exportation. On est en 1937, la guerre se prépare.

L’un de ses subordonnés envoya une circulaire incitant l’utilisation des prisonniers de guerre pour pallier aux déficiences de la mobilisation générale qui allait débuter. Son sous-secrétaire participait à des réunions où les plans de financement de la guerre étaient établis. Nous sommes en Mai 1939.

Il écrivit, en Août 1939, une lettre de remerciement au Führer pour son implication dans cette œuvre qui allait bouleverser le monde, exposant que ses plans pour le financement de cette entreprise, le contrôle des taxes, et la consolidation de la Reishbank étaient prêts.

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Il convient de noter le remarquable travail du Projet Avalon de l’université de Yale qui a retranscrit les débats du procès et collecte tous les documents qui y sont relatifs, voir

La guerre, une fois débutée, il fit un discours dans lequel il révéla que les départements économique et financier allemands s’étaient engagés dans un plan de quatre ans en vue de supporter la guerre qui se préparait en secret.

Logiquement, il participa à l’invasion de l’URSS en résolvant les éventuels problèmes économiques liés à une telle attaque. Il avait même fait des plans pour exploiter les ressources de la Russie.

Le Tribunal a, finalement, décidé que, même si son rôle dans la guerre n’était pas comparable à celui de Goering, par exemple, son aide économique déterminante aux guerres contre la Russie ou la Pologne, le rendait coupable de crimes contre la paix mais non de plan concerté ou complot, chef d’accusation numéro un.

- Crimes de guerre et crimes contre l’humanité

En tant que sous-secrétaire au Ministère de la Propagande et Vice-président de la Chambre des Cultures, il a participé à un programme de discrimination économique contre le peuple juif.

En 1938, après le pogrom de Novembre436, il s’attela avec Goering à trouver une solution au problème juif. Il a lui-même proposé un décret les bannissant de toute activité dans le monde des affaires. Ce décret fut élaboré et promulgué ce jour même, le 12 novembre. Il a témoigné, lors de son procès, avoir été choqué par les explosions de violences anti juives qui ont suivies le pogrom. Il avait pourtant décrit lesdites explosions comme le juste dégout du peuple allemand contre les activités criminelles menées par les juifs. Il alla même jusqu’à dire que l’élimination des juifs des secteurs économiques serait logiquement suivie de leur élimination de la vie politique.

Des 1942, les SS envoyèrent à la Reischbank les effets personnels des victimes des camps de concentration (argent, bijoux…). Il avait été ordonné aux employés de ne pas poser trop de questions. Funk s’est défendu d’avoir eu connaissance de telles choses mais le Tribunal statua qu’il le savait ou alors qu’il a délibérément fermé les yeux sur ces activités.

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Le pogrom de novembre encore appelé nuit de cristal fut déclenché en Allemagne et les territoires nouvellement annexés par celle-ci, suite à l’agression d’un diplomate allemand par un jeune juif polonais. Saisissant l’occasion, le gouvernement allemand dénonça un crime commis par « la communauté juive mondiale ». 35 000 juifs furent déportés dans des camps de concentration. Ils furent libérés trois mois plus tard à la condition de quitter l’Allemagne. On estime à 2000 ou 2500 les victimes directes ou indirectes dont les personnes décédées dans les camps.

En tant que président de la Reishbank, il était responsable des travaux menés par les prisonniers dans les camps. Il a mis en place un fonds de 12 millions de reishmark pour la construction d’usines, constructions effectuées par des prisonniers.

Le Tribunal tint compte du fait qu’il n’était pas un protagoniste majeur dans la guerre. C’est pourquoi, il ne fut pas condamné à mort.

2- LES INDUSTRIELS ALLEMANDS

Il s’agit de FLICK, Alfried KRUPP et Bruno TESCH.

- FLICK et KRUPP

Issu d’une famille paysanne, FLICK s'intéresse à la revente de ferraille et à l'armement. Sous la République de Weimar, il se lance dans la spéculation boursière et crée un groupe axé sur l'exploitation des mines et les machines-outils Il rejoint rapidement le parti national-socialiste, rencontre Hitler et Göring. Son groupe est un rouage essentiel dans l'économie du Troisième Reich. FLICK profite de la saisie des biens juifs et emploie dans ses usines des travailleurs forcés et des détenus des camps de concentration437.

Alfried Félix Alwyn KRUPP VON BOHLEN und HALBACH était seul propriétaire de la FRIED et membre du Parti nazi. Sa société Krupp était le principal fabricant allemand d’artillerie, de vaisseaux de combats, et le second plus grand producteur de fer et de charbon d’Allemagne. Il a ainsi contribué de manière substantielle à la capacité du Reich de perpétrer ses invasions et autres guerres d’agression. Il employait lui aussi des travailleurs issus des camps. Son père était également accusé mais, pour raison de santé, il fut écarté de la procédure.

Ils étaient accusés de complicité de crimes de guerre.

Pour se défendre, ils ont notamment déclaré qu’ils étaient des hommes d’affaires, la politique ne les intéressait pas. De même, l’utilisation de prisonniers pour travailler dans les entreprises était pour eux légitime, car autorisée par leur gouvernement.

Les juges du Tribunal ont résumé leur position à ceci : « Pour éviter de perdre mon emploi ou l'administration de ma fortune, je suis fondé à employer des milliers de déportés civils, de prisonniers de guerre et de détenus des camps de concentration, les tenant dans un état de

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Arte, les mercredis de l’histoire, La famille FLICK, une histoire allemande, mardi 1er juin 2010, http://www.arte.tv/fr/3211086,CmC=3192860.html

servitude involontaire, les exposant journellement à la mort ou à de graves lésions corporelles... »438

Ils furent condamnés le premier à 7 ans de prison et le second à 12. Ici, se joue un point noir de l’histoire de Nuremberg, ils n’effectuèrent pas toute la durée de leur peine. Tous deux rebâtirent leur fortune, profitant de la guerre froide, les anciens nazis aidant les Alliés dans leur guerre contre le communisme.

- Bruno TESCH

TESCH était responsable de la fourniture de gaz Zyklon B pour le camp d’Auschwitz. La défense de TESH tournait autour de deux points : il n’avait pas connaissance de l’utilisation qui en était faite et, même s’il l’avait su, et avait refusé d’en fournir, une autre firme l’aurait fait.

Point par point, le Procureur démonta cette défense439 : son entreprise Tesch and Stabenow était en situation de monopole. Nulle autre compagnie n’aurait pu fournir le gaz demandé. La véritable question était donc la suivante: avait-il eu connaissance de l’usage du gaz livré? Le procureur répond que TESCH avait forcément connaissance des activités des SS dans les camps. Il ne pouvait les ignorer. Il cite les témoignages de sa secrétaire et d’un technicien. Ce dernier lui ayant rapporté qu’il avait vu dans ces camps des choses contraires à la dignité humaine.

Le Tribunal suivit le Procureur dans son raisonnement et condamna TESCH à mort pour complicité de crime de guerre.

En outre de la responsabilité individuelle, le Tribunal considéra la responsabilité morale des organisations criminelles440. Pour être considérée comme telle, une organisation doit avoir :

· des buts criminels ;

· une homogénéité liant les membres les uns aux autres dans un but commun ;

· une formation ou une utilisation ayant un rapport avec les crimes définis par le Statut du tribunal.441

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Général Taylor TELFORD, Les procès de Nuremberg : synthèse et vue d'avenir, in Politique étrangère N°3 – 1949, 14e année pp. 207- 218, doi : 10.3406/polit.1949.2805, p. 212 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1949_num_14_3_2805

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British Military Court, The zyklon b, case, trial of Bruno Tesch and two others, Hamburg, du 1er au 8 mars 1946, Law-Reports of Trials of War Criminals, The United Nations War Crimes Commission, Volume I, London, HMSO, 1947 p.100.

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Art9 de la Charte du Tribunal

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Annette WIEVIORKA, Le procès de Nuremberg, Liana Levi, Paris, 2006, p. 218-219. Le texte exact du jugement est celui-ci : « Une organisation criminelle est analogue à un complot criminel, en ce sens qu'ils

A Nuremberg, la Gestapo, les SS, les SA et le Parti nazi furent condamnées pour crimes d’agression, crimes de guerres, crimes contre l’humanité. Il s’agit là d’une responsabilité collective.

La seule appartenance formelle ne constitue pas une preuve de culpabilité. Un de leur membre pourra cependant être poursuivi pour un crime autre que son appartenance à un tel groupe, par un tribunal national militaire ou d’occupation442. C’est sur cette base que SCHACHT, prédécesseur de FUNK au ministère de l’économie allemand, s’il fut acquitté par le tribunal international des quatre chefs d’accusation principaux –un doute existant sur sa connaissance des plans d’agression nazis- a été jugé par des tribunaux nationaux allemands443.

Le procès de Nuremberg n’a pas été parfait. Il est l’exemple même de la justice de vainqueur. Le droit pénal international a, cependant, fait sien de nombreux principes découlant de la jurisprudence de ce Tribunal444.

L’enseignement qu’il aurait aussi fallu tirer du procès de Nuremberg était la soumission de toute entreprise économique aux lois. Rien ne justifiait l’action de Funk. Rien ne justifie les activités criminelles menées aujourd’hui par de nombreuses multinationales à travers le monde. Cependant, on ferme les yeux et l’impunité règne.

I- L’ECONOMIQUE, AU DESSUS DES LOIS ?

L’observation de la scène internationale nous apprend plusieurs choses. Les entreprises multinationales et les milieux économiques, de manière plus générale, sont, de plus en plus accusés, de violations des droits de l’Homme, les scandales économiques liés aux conflits en sont une preuve ; et leurs Etats d’origine les laissent agir, en osant même s’élever contre toute action en justice les incriminant.