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III- Des villes de migration secondaire

3.1 La ville métropolitaine

Un premier type de ville où s’établir en tant que migrant permanent correspond à la ville métropolitaine, qui se caractérise par un haut degré de densité matérielle et morale. La ville métropolitaine a donc un très grand volume des choses et des personnes étroitement intriquées. L’intensité et la rapidité sont les principaux qualificatifs pour décrire le flux de production et de reproduction des activités sociales que ce système de différenciation intégré engendre. Tel que le soutiennent les citations ci-après, dans l’imaginaire des jeunes étudiants Réunionnais, les villes métropolitaines sont représentatives des villes de l’Amérique du Nord. Pour Michèle, ce sont nécessairement les grandes villes qui attirent les voyageurs de l’étranger : « Jaime beaucoup les grandes villes comme New-York, Paris… enfin les grandes capitales. Au Québec, c’est Montréal qui m’intéressait » (Michèle). L’Amérique du Nord, pour Sabine, suppose des villes à l’américaine, c’est-à-dire des villes qui reflètent l’imaginaire cinématographique d’un certain type de films américains : « pour moi, il allait y avoir quand même des grandes villes avec des buildings et tout! » (Sabine). Imaginaire cinématographique qui situe en un lieu la représentation globale d’un espace rêvé : « On se disait : c’est l’Amérique du Nord, c’est proche de New-York donc ça doit être des villes comme Manhattan » » (Théo).

Pour neuf des participants, l’expérience de migration dans la ville d’accueil n’a fait que les conforter dans leur idée de migrer dans un deuxième temps vers la ville de Montréal, pour y réaliser leur projet de migration à long terme qui a pris forme au cours de l’expérience de migration. La ville de Montréal comme ville métropolitaine est une ville attractive à bien des égards pour les jeunes étudiants Réunionnais que nous avons interviewés. D’abord, d’un point de vue professionnel comme nous l’avons exposé plus haut, Montréal représente des possibilités multiples, tant au niveau de l’éventail d’offres d’emplois disponibles qu’au niveau des changements de statut dans l’échelle hiérarchique, lesquels récompensent les personnalités les plus originales et les plus compétitives. En d’autres mots, faire le choix de

s’établir à plus long terme à Montréal c’est faire le choix de la grande la ville comme lieu d’expression de soi et de sa créativité (Gauthier, 2004 : 31). S’établir à long terme dans la ville de Montréal correspond, par ailleurs, à une volonté de se fondre dans un environnement où la distinction par le phénotype suscite moins d’attention que dans les petites villes, comme le rapporte Viviane à la section ci-dessus. La ville de Montréal est alors la ville de référence pour la diversité culturelle qui la caractérise : « Montréal, c’est très dynamique. Il y a beaucoup de choses, puis ce qui me rejoint aussi beaucoup, c’est le multiculturalisme qu’on ne retrouvait pas tellement là-bas » (Mylène). Il s’agit surtout pour ces jeunes d’être dans un environnement culturellement hétérogène caractéristique de l’île de La Réunion (Martin, 2011; Ghasarian, 2002). Le caractère hétérogène de la composition ethnique et culturelle de la population de la ville de Montréal correspond à un environnement familier : « je ne sais pas pourquoi, quand je suis à Montréal, j’ai l’impression que je suis chez moi. Je ne sais pas, c’est peut-être le fait que c’est multiethnique, peut-être le fait qu’il y a beaucoup d’étrangers qui viennent d’ailleurs » (Monica). Si la position de l’étranger définit le migrant, autant être un étranger parmi les étrangers. La ville métropolitaine est le lieu par excellence de l’étrangeté.

3.2 La ville intermédiaire

La migration secondaire effective ou projetée pour trois des participants réfère à des villes moins importantes que la ville métropolitaine, mais plus denses et plus dynamiques que les villes d’accueil. Si pour une migration à court terme, la grande ville est attractive, il en est autrement quand il s’agit de s’y installer à plus long terme. Pour Théo comme pour Evelyne, la ville d’accueil au Québec représentée avant même la migration a des airs de villes métropolitaines. La déception est grande à la découverte de la ville d’accueil décrite comme un petit village de campagne. Elle n’est pas moins grande lors des visites occasionnelles à Montréal : « Montréal, c’est l’enfer! Le trafic routier, le monde… c’est trop stressant. C’est sûr qu’il y a beaucoup de magasins, de choses à faire, mais tout le monde est tout le temps en mode pressé, les voitures qui klaxonnent constamment » (Evelyne). Pour Evelyne qui n’avait pas terminé sa formation professionnelle au moment de l’entrevue, la ville idéale où s’établir à long terme au Québec est une ville qui offre tout le confort d’une grande ville sans les inconvénients :

Les gens sont attirés par Montréal et ne cherchent pas à aller voir en dehors. Moi, au contraire, j’ai envie d’aller voir ailleurs, je ne veux pas rester à Montréal. Après mon diplôme, je vais déménager à Sherbrooke. J’ai visité la ville une fois et il y a quand même tout, comme dans une grosse ville. C’est quand même une belle ville. Montréal, je n’aime pas, c’est trop gros, trop invivable. Sherbrooke, je trouve que ça va, c’est un juste milieu. Ça ne fait pas petite campagne, mais ce n’est pas une grosse ville comme Montréal (Evelyne).

Plus urbanisée que les petites villes d’accueil, la ville de Sherbrooke lui semble plus dynamique que ces dernières sur le plan économique, ce qui fait dire à Evelyne que son insertion professionnelle ne posera aucun problème particulier. C’est sur la base de cette même conviction que Gilles oriente aussi son parcours de migration vers la ville de Sherbrooke : « j’ai quitté à cause de la job, mais je ne voulais pas aller dans une trop grosse ville. Après cinq ans dans une petite ville, les grandes villes font peur. Passer de tout petit à très grand d’un coup, c’est comme « lâcher un grain d’sab dans la mer!57 ». J’ai postulé à Sherbrooke et ils m’ont contacté » (Gilles). En plus des caractéristiques urbaines recherchées et qui font défaut dans la ville d’accueil, Sherbrooke n’a pas l’apparence des villes à buildings. Autrement dit, pour Evelyne comme pour Gilles, Sherbrooke a quelque chose de la campagne en ville ou de la ville en campagne. Les mêmes caractéristiques définissent la ville idéale pour Théo, qui découvre la ville de Québec lors de ses visites occasionnelles : « J’étais venu à Québec pour visiter et j’ai aimé ça. Puis aussi, Montréal, c’est une trop grosse ville pour moi. Je trouvais que Québec, ça me correspondait mieux » (Théo). Théo fait partie de ceux pour qui la ville d’accueil est une ville-campagne où il lui semble impossible d’avoir un style de vie auquel il aspire en plus d’être à trop grande distance des grandes villes. Pour autant, son projet de migration à long terme ne peut être implanté dans la ville de Montréal en raison de l’allure de ville métropolitaine qu’elle représente. La ville de Québec représente ce compromis pour Théo entre la campagne et la ville métropolitaine. Tels sont les propos également de Martine qui projette de rester à plus long terme dans la ville d’accueil sans pour autant négliger la possibilité de migrer à nouveau selon que son projet de migration change dans ses modalités : « dans l’idéal, ce serait plus à Québec. Ce serait un bon mélange entre région et ville. Pour l’instant, mon projet c’est de m’établir ici.

57 Expression réunionnaise dont la traduction littérale est « lâcher un grain de sable dans l’océan » qui met en

évidence le contraste entre la petitesse du grain de sable et l’immensité de l’océan. L’expression illustre l’idée selon laquelle une personne qui migre vers un environnement plus étendu que celui d’où elle est originaire risque d’être déstabilisée, désorientée, perdue au point de nuire à son adaptation.

Plus tard, si je reste [au Québec], je pense même reprendre les études à Québec » (Martine). La ville de Québec représente le cadre de vie idéal pour Martine, cependant que son réseau de relations établi dans la ville d’accueil lui fait dire que c’est probablement là qu’elle va mettre en œuvre son projet de vie. Dans le cas où des études universitaires s’inscrivent dans son parcours de vie, celui-ci aura probablement pour cadre la ville de Québec. Pour un projet de migration à long terme à réaliser ou mis en œuvre, la ville de Québec et la ville de Sherbrooke sont donc deux villes représentatives de la ville intermédiaire comme type de ville idéale.

3.3 La ville-campagne

Enfin, un dernier type de ville idéale de migration secondaire pour y ancrer son projet de migration à long terme est la petite ville qui n’est ni la ville métropolitaine, ni la ville intermédiaire. La ville d’accueil est représentative de ce type idéalisé pour ceux qui aiment le calme et la tranquillité comme le soutient Jérôme cité à la section 2.2. du chapitre précédent. Ce type de ville apparait idéal pour la proximité des différents objets sociaux, pour le cadre de vie bucolique qui convient à un rythme de vie plus proche de ses propres habitudes, ou bien encore pour y réaliser un projet de vie familiale :

C’est vrai que c’est un milieu pour avoir une famille, une maison, et à l’époque ce n’était pas vraiment ma préoccupation. Avec mon copain, on veut fonder une famille, on veut avoir une maison. La famille de mon chum habite à Mégantic. C’est sûr, les enfants ça fait partie de nos projets futurs et j’aimerai que mes enfants aient la chance d’avoir leurs grands-parents avec eux. Je sais c’est quoi de ne pas avoir sa famille avec soi. J’aimerais que mon copain soit plus proche de sa famille (…) éventuellement, on quitterait Montréal pour aller plus en région. C’est ça notre projet futur (Mylène)

À la fin de ses études collégiales, Mylène migre en effet vers Montréal pour suivre son conjoint. La ville de Montréal est la ville idéale pour les aspirations professionnelles du couple, mais le projet de fonder une famille et d’avoir des enfants redéfinit les caractéristiques de la ville idéale. Au-delà des paradoxes que laissent transparaître le récit de Mylène tout au long de ce mémoire, la citation ci-dessus rend bien compte de l’articulation entre le temps biographique, le projet de vie et la représentation de la ville idéale. Ailleurs, Mylène pose, en effet, l’impossibilité pour elle de vivre à plus long terme dans ce que nous appelons la ville-campagne. Le projet de vie conjugale de Mylène de fonder une famille et

d’avoir des enfants avec son partenaire Québécois originaire d’une petite ville, qui correspondant au type de la ville-campagne (la ville de Mégantic est ainsi décrite par l’un des participants), l’amène à mobiliser son expérience dans la ville d’accueil pour dépeindre la ville idéale où ancrer son projet à long terme. La ville métropolitaine comme grande ville constitue de fait la ville de transition dans le parcours migratoire de Mylène ou, selon l’expression de Madeleine Gauthier, la ville initiatique. Dans le parcours de vie du jeune adulte des sociétés occidentales, la grande ville marque un moment de rupture dans la temporalité biographique entre un avant et un après, vécu dans une certaine stabilité qui reflète quelque chose de l’ordre de la permanence (Gauthier, 2004). La ville métropolitaine est en quelque sorte une catharsis, une expérience de l’étrangeté dont le dénouement ramène parfois à la tranquillité de la ville-campagne.

Parmi notre échantillon, sept des participants avaient au départ un projet de migration à court- moyen terme dont l’objectif était d’acquérir une formation professionnelle diplômante de niveau supérieur ou de faire un voyage d’études. Nous avons montré dans ce chapitre comment ces projets temporaires se sont transformés en projets à plus long terme au cours de l’expérience de migration. Pour les uns, s’installer à long terme au Québec se fonde sur une anticipation professionnelle positive confortée par l’aval des parents alors que pour d’autres, c’est la rencontre amoureuse qui vient impulser une dynamique nouvelle aux intentions de départ. Outre le rôle des dynamiques sociales dans la réalisation, la construction ou la transformation du projet individuel, celles-ci marquent différemment le choix de lieu pour s’installer dans la durée. Pour certains des participants, en effet, il va de soi que la ville d’accueil ou de même type est l’espace urbain idéal pour s’y installer à long terme dans la mesure où il y a adéquation avec les aspirations professionnelles ou de vie personnelle. Pour d’autres participants, en revanche, ces aspirations ne peuvent être atteintes qu’en cherchant à les transposer dans une ville métropolitaine telle que Montréal ou dans une ville intermédiaire entre la ville d’accueil et la ville métropolitaine. D’autres encore ont clairement exprimé le cycle des expériences de la vie dans leur choix de lieu de résidence à plus long terme au Québec. Il est des villes plus propices pour le temps des études, d’autres pour des expériences urbaines plus singulières et d’autres, enfin, sont des cadres idéaux pour la vie de

famille. Ceux-là laissent à penser qu’il est fort probable que la ville choisie aujourd’hui pourrait encore être toute autre demain.

Conclusion

Si pour certains des jeunes, le projet de résider à plus long terme au Québec s’inscrit dans la continuité des intentions prémigratoires, pour d’autres, le projet prend forme au cours de l’expérience de migration. Nous avons montré, dans ce chapitre, comment l’expérience vécue affecte les projets prémigratoires des jeunes étudiants Réunionnais dans ses différentes modalités. Les intentions prémigratoires à court-moyen terme pour un projet de formation professionnelle ou de voyage d’études se transforment en projet d’immigration. Pour certains, les rencontres amoureuses justifient le projet à plus long terme. Pour d’autres, soutenus par la volonté des parents, l’installation à plus long terme dans la société d’accueil est envisagée quand il y a des possibilités réelles de s’insérer sur le marché de l’emploi au terme des études et/ou d’accéder à des positions statutaires ascendantes au niveau professionnel mises en opposition avec la perception d’une situation d’impasse économique à La Réunion.

Nous avons également présenté dans ce chapitre, les différents cas de figure du choix de lieu de résidence à long terme. Celui-ci va de pair, pour certains, avec l’obtention d’un emploi correspondant à leurs attentes. Qu’ils l’envisageaient avant même la migration ou confortés dans leur choix par la représentation qu’ils ont de leur ville d’accueil dans l’expérience vécue, il va de soi, pour certains des jeunes, de résider à plus long terme dans la ville de Montréal. Par la diversité et la densité des activités sociales, Montréal représente le lieu idéal pour l’obtention d’un emploi à des conditions satisfaisantes. Pour d’autres qui n’avaient pas spécifiquement envisagé de migrer vers Montréal, la volonté de s’établir à plus long terme dans la ville d’accueil n’est que la suite logique de cette adéquation entre l’emploi occupé et la satisfaction des conditions liées à cet emploi. Si ce choix laisse supposer une probabilité plus grande de migrations secondaires, la permanence d’une expérience professionnelle dans la ville d’accueil amène les jeunes Réunionnais à pratiquer la ville d’accueil autrement que

par le seul prisme des études, à concevoir des avantages de vivre dans une petite ville et à développer un lien d’attachement avec leur ville d’accueil.

Pour d’autre jeunes, l’occupation d’un emploi dans son domaine d’études et/ou les aspirations d’évolution professionnelle ne sont pas des conditions essentielles pour s’établir à plus long terme dans une ville plutôt qu’une autre. Ce choix se fonde davantage sur des aspirations à une certaine qualité de vie évaluée à partir des conditions matérielles telles que le réseau de transport en commun, la distance à un aéroport international, les services courants et les activités de divertissement, mais également et surtout à partir de la possibilité d’établir des réseaux de relations significatives. Pour certains des jeunes, la ville de Montréal est, de fait, le lieu idéal pour résider à plus long terme dans la mesure où les jeunes y trouvent tout l’aménagement matériel de la grande ville en même temps qu’elle offre un environnement qui masque la distance dans la relation à l’étranger. Le degré de densité des activités sociales dans la ville métropolitaine de Montréal suppose, en effet, une attitude « blasée » et « réservée » des citadins de sorte que toutes les formes de sociabilité se fondent sur l’anonymat et l’impersonnalité. En faisant le choix de migrer à Montréal, les jeunes Réunionnais ont le sentiment de ne plus être reconnus que par la seule position de l’étranger exacerbée par le moindre degré de densité des petites villes telles que la ville d’accueil.

Pour un certain nombre de jeunes, en revanche, tant du point de vue morphologique que relationnel, la ville d’accueil est le type d’environnement idéal où mettre en œuvre son projet de vie au-delà des études. La disposition des différents objets sociaux dans un espace peu étendu et le faible degré de densité des activités sociales confèrent à la ville d’accueil un rythme de vie qui leur est plus familier et correspondant, par ailleurs, à un style de vie auquel ils aspirent. Le choix d’y résider à plus long terme est d’autant plus affirmé que les jeunes ont établi des liens significatifs tant avec les compatriotes que des résidents locaux québécois qui renforcent le sentiment d’appartenance à la ville d’accueil comme environnement social. Seule l’impossibilité d’occuper un emploi dans son domaine d’études peut amener ces jeunes Réunionnais à migrer vers une autre ville auquel cas la préférence va vers des villes à proximité de la ville d’accueil ou vers des villes correspondant au même type d’environnement en termes de densité.

Conclusion générale

Dans sa volonté d’inciter les personnes immigrantes à s’installer durablement dans les villes les plus éloignées de Montréal, le gouvernement sollicite l’implication de différents acteurs locaux et régionaux afin qu’ils participent à créer des conditions favorables à l’accueil et à l’insertion en emploi des personnes immigrantes. S’arrimant à la fois à la politique de « régionalisation de l’immigration » et à la volonté d’une internationalisation de l’enseignement supérieur, des Collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) situés à l’extérieur de Montréal et de la Capitale-Nationale établissent, depuis 2003, des ententes spécifiques avec les institutions régionales de l’Île de La Réunion. L’objectif est de permettre à des jeunes Réunionnais de compléter une formation professionnelle de trois ans dans l’un des cégeps participants au terme de laquelle ces jeunes peuvent faire une transition vers le statut de résident permanent. L’entente de coopération de mobilité étudiante entre le Québec et La Réunion mise sur la probabilité que ces jeunes fassent le choix de prolonger leur expérience de migration au-delà de la formation professionnelle et décident de s’établir à long terme dans leur ville d’accueil ou dans une ville de la même région administrative. Détenant un diplôme d’études supérieures reconnu par le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, ayant une expérience professionnelle au Québec à travers des stages ou l’occupation d’un emploi occasionnel, ainsi qu’une expérience de vie au Québec pendant trois ans, ces jeunes étudiants Réunionnais de nationalité française représentent pour le gouvernement de bons candidats à l’immigration.

Depuis l’énoncé politique de 1991 en matière d’immigration et d’intégration, la présence des