• Aucun résultat trouvé

Avant de présenter notre question de recherche, résumons la problématique que nous avons élaborée tout au long des trois premiers chapitres de notre mémoire.

1.1 Résumé de la problématique

Pendant longtemps, la ville de Montréal était la porte d’entrée des personnes immigrantes au Canada quelle que soit leur destination de résidence. La répartition des flux de migration au Canada a depuis changé, cependant qu’au Québec, Montréal demeure la ville où les flux de migration sont les plus importants. Cette affluence des personnes immigrantes vers la ville de Montréal qui perdure dans le temps amène nombre de politiciens et divers acteurs sociaux à constater le hiatus entre la ville de Montréal et les autres villes en ce qui a trait à la répartition des immigrants. En particulier, s’offusquent certains, la concentration de l’immigration à Montréal participe à accentuer les inégalités urbaines au Québec qui pénalisent grandement les villes les plus éloignées de Montréal. Une présence des personnes immigrantes plus importante dans les villes à faible et à très faible migration contribuerait à la densité et à l’intensité des activités sociales en même temps qu’elle effacerait une dualité du Québec. D’un côté, géographiquement situé, se donne à voir un territoire densifié, culturellement hétérogène constituant de surcroît le centre économique de la société québécoise (Montréal) et, de l’autre côté, un ensemble de villes et villages dispersés à plus ou moins grande distance de Montréal, culturellement homogène, associé à des conditions économiques et sociales peu attrayantes pour convaincre les personnes immigrantes de s’y établir. Les recommandations diverses pour changer la situation ont donné lieu à une politique de « régionalisation de l’immigration ». Plus de vingt-cinq ans après l’énoncé politique, les personnes immigrantes recensées en 2016 résident toujours en très grand nombre à Montréal ou dans les villes à proximité. Ce qui fait dire à Vatz Laaroussi et Bezzi

que « la volonté politique et économique ne semble pas suivie d’effets locaux concrets en ce qui concerne l’installation et la rétention des immigrants en région » (2010 : 34). Selon le recensement de 2016, dans certaines régions administratives les plus éloignées de Montréal que nous avons identifiées comme des régions à très faible migration (voir tableau 3, chapitre 2), la part des personnes immigrantes qui y résident représente tout au plus 0,02% de la population locale. L’une des stratégies privilégiées par le gouvernement consiste à y augmenter la présence des étudiants étrangers collégiaux et à faciliter leur transition vers la résidence permanente en postulant que ces derniers seraient plus enclins à s’y installer compte tenu de l’expérience qu’ils y auront vécue. En possession d’un diplôme obtenu au Québec, ayant une certaine expérience du marché du travail de cette province et ayant entamé un processus d’adaptation à la culture québécoise, ces jeunes étudiants étrangers représentent de bons candidats à l’immigration. Depuis 2004, des jeunes étudiants Réunionnais recrutés viennent compléter des formations professionnelles de niveau collégial dans les villes à très faible migration.

1.2 Question de recherche

La présence au Québec des jeunes étudiants Réunionnais en formation professionnelle au cégep dans les villes à très faible migration résulte de cette volonté politique de favoriser l’immigration dans ces villes. Ceci nous amène à notre question de recherche que nous avons formulée comme suit :

Comment se déroule la migration des jeunes Réunionnais qui vivent dans les villes à faible migration pour une formation professionnelle de trois ans et en quoi leur parcours est-il marqué par leurs représentations et expériences de la ville d’accueil dans laquelle pourrait se concrétiser leur projet?

1.3 Objectifs de recherche

Plusieurs objectifs sous-tendent notre question de recherche qui pourrait être opérationnalisée en deux volets d’enquête. L’expérience des jeunes Réunionnais(es) au Québec dans le cadre du Protocole de coopération de mobilité est d’abord un projet de mobilité étudiante qui peut être transformé dans un deuxième temps en un projet d’immigration. Notre premier objectif est de voir dans quelle mesure les jeunes Réunionnais distinguent ces deux aspects de leur projet de migration au Québec. Nous avons cherché à savoir si la migration au Québec

correspond à une volonté première de poursuivre des études qualifiantes ou si la complétion d’une formation professionnelle a été vécue comme le passage obligé pour un projet d’immigration au Québec. Autrement dit, est-ce que les jeunes Réunionnais migrent au Québec surtout pour se former ou pour s’y établir?

Cette sous-question nous amène à notre deuxième objectif qui est de distinguer les modalités du départ des jeunes étudiants Réunionnais. Nous avons cherché à identifier leurs intentions prémigratoires qui, selon nous, informent de la place de la migration dans leur projet de vie. Nous souhaitions comprendre comment ils ont été amenés à faire appel au programme de mobilité étudiante et comment cette mobilité s’inscrit dans leur projet de vie. Mieux comprendre les intentions prémigratoires exige de connaître les conditions dans lesquelles les jeunes Réunionnais choisissent de migrer au Québec en même temps qu’elles donnent à voir en pointillé leur projet de vie a priori, au-delà de la durée de la formation professionnelle.

Notre troisième objectif est de relater l’expérience vécue de ces jeunes étudiants Réunionnais dans leur ville d’accueil. Il s’agit de rendre compte de l’expérience de « l’étudiant étranger » des jeunes Réunionnais dans les cégeps situés dans les villes à très faible migration. La présence de ces jeunes Réunionnais dans ces villes ne se limite pas aux études. Au-delà de la formation professionnelle en soi, nous voulions mieux comprendre comment les jeunes étudiants Réunionnais vivent leur expérience de nouvel arrivant dans une ville à très faible migration et ses effets sur leurs intentions et la poursuite de leur projet prémigratoire.

Enfin, notre dernier objectif était de contribuer au corpus de connaissances sur l’immigration au Québec dans le contexte de la « régionalisation de l’immigration ». Le cas des jeunes étudiants Réunionnais au niveau collégial dans les villes à très faible migration constitue un apport complémentaire à la littérature encore trop insuffisante sur l’expérience des étudiants étrangers dans les cégeps au Québec.

1.4 Hypothèses

En lien avec notre questionnement de départ, nous avions formulé des hypothèses qui nous ont permis d’opérationnaliser notre méthode d’enquête exposée ci-après. Qu’elle soit expliquée par le contexte du pays de départ ou par l’attrait du pays d’accueil, la migration est

un projet plus ou moins défini, pensé à court ou à plus long terme, plus ou moins personnel et « destiné à être intégré dans une globalité » (Boutinet, 2015) c’est-à-dire dans un projet de vie. Notre première hypothèse est que l’installation à long terme des jeunes étudiants Réunionnais dans leur ville d’accueil ou dans une autre ville à très faible migration n’est que la continuité du projet prémigratoire. Cette première hypothèse sous-tend que le choix de ces jeunes étudiants Réunionnais de ne pas s’établir dans une ville à très faible migration au-delà de leur formation professionnelle est également partie intégrante du projet de migration au départ de La Réunion. Autrement dit, nous supposions qu’avant même la migration, les jeunes étudiants Réunionnais projetaient de s’établir ou non dans une ville à très faible migration.

Parce que l’expérience vécue participe à la construction du rapport à un objet (Jodelet, 2006), notre deuxième hypothèse est que l’installation à long terme des jeunes étudiants Réunionnais dans leur ville d’accueil ou dans une autre ville à très faible migration est un projet construit dans la relation à leur nouvel environnement de vie pendant leur formation professionnelle. Si le projet est une transformation du réel (Boutinet, 2015 : 212), nous supposons que le rapport au réel dans sa subjectivation participe à la construction et/ou à la transformation du projet de migration de ces jeunes étudiants Réunionnais. Autrement dit, le choix de ces jeunes étudiants Réunionnais de s’établir ou non dans leur ville d’accueil ou dans une ville à très faible migration résulterait des situations d’interaction et des manières de vivre ces situations.