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III- Les jeunes Réunionnais dans la migration

3.2 La mobilité étudiante comme panacée

Avant les années 1960, la migration des Réunionnais pour des études ou d’autres motifs était l’apanage des classes sociales les plus aisées. Dans la seconde moitié du vingtième siècle, de plus en plus de jeunes Réunionnais des classes sociales les moins favorisées entrent à leur

tour dans la migration extérieure à l’île grâce à des dispositifs institutionnels. L’organisation des départs des Réunionnais à l’extérieur de l’île implique, dans un premier temps, la migration à long terme de ces derniers, principalement vers la France métropolitaine, dont l’objectif est de lutter déjà contre la pression démographique, le chômage et les contestations sociales. Ce qui fait dire à certains auteurs qu’à La Réunion, la migration est partie intégrante des politiques de développement (Bertile, 2014 : 36; Temporal, 2011 : 138). La migration des jeunes Réunionnais fut en fait institutionnalisée dès 1963 avec la création du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (BUMIDOM), qui a pour mandat la mise en œuvre de l’émigration des jeunes Réunionnais vers la France métropolitaine. Pour inciter les jeunes à quitter leur île, les institutions locales firent alors la promotion de « l’Eldorado » que les jeunes Réunionnais trouveraient en « la mère patrie » (Vitale, 2014; Labache, 2008). Ce n’est que vers la fin des années 1960, puis pendant les décennies qui suivent, que les jeunes Réunionnais ont amorcé l’aventure de la migration.

À cette émigration de travail fit suite une émigration de peuplement où plus d’un millier d’enfants furent contraints à quitter l’île pour combler le déficit démographique de certaines zones rurales de la France métropolitaine (Simonin et al., 2009 : 107). Médiatisée sous l’intitulé « Les enfants de la Creuse37 », cette vague d’émigration organisée par les institutions françaises entre 1963 et 1982 correspond aujourd’hui dans la mémoire collective des Réunionnais à une histoire de migration empreinte de récits de vie douloureuse révélant des cas de « dépressions, suicides, alcoolisme, échec scolaire et social » (Magdelaine- Andrianjafitrimo, 2009 : 2). Au cours des années 1990, l’incitation institutionnelle à la migration se heurta alors à des formes de résistance, tant au niveau politique que dans la population en général. Cette décennie enregistra les taux de migration les plus faibles depuis l’institutionnalisation. Cette partie de l’histoire de l’émigration des Réunionnais se traduit chez des jeunes et leurs parents, aujourd’hui encore, par « des peurs » constituant un « frein » à la migration (Ihaddadene, 2017 : 40). De tous les DROM, les jeunes de La Réunion montrent, en effet, une volonté plus timide de départ à long terme hors de l’île (Temporal, 2017 : 9). Le scandale médiatique qu’ont suscité les « enfants de la Creuse » et le récit des

37 En référence à l’un des départements de la France métropolitaine avec la Lozère, le Tarn et le Gers

échecs des projets d’installation de bon nombre de jeunes Réunionnais en France métropolitaine, où ces derniers font l’expérience de l’étranger plutôt que la découverte de la « mère patrie », vont inciter les autorités et les institutions locales à repenser la migration des jeunes Réunionnais.

Des dispositifs de retour vers l’île font désormais partie intégrante des mesures incitatives institutionnelles dont la refonte, au début des années 1980, des organismes d’État qui encadrent la migration des jeunes Réunionnais, allant de pair avec une terminologie nouvelle. Il n’est plus question de migration mais de mobilité des jeunes Réunionnais, c’est-à-dire du déplacement de ces derniers à l’intérieur de ce qui constitue l’étendue du territoire national aux motifs d’insertion professionnelle marquant ainsi une « rupture idéologique » avec la période précédente (Labache, 2008 : 24). En même temps qu’elle tend à définir, d’un point de vue sémantique, les résidents des territoires et départements outre-mer comme des « citoyens à part entière » (Simonin et al., 2009 : 107), la substitution de la notion de mobilité à celle de migration apporterait plus de souplesse et de fluidité dans les mouvements de migration des jeunes Réunionnais (Labache, 2008 : 24-25). Le départ des jeunes Réunionnais de l’île n’est plus vécu nécessairement comme un exil. Des mouvements de migration mettent en scène le jeune Réunionnais flexible, prompt à migrer à l’extérieur de l’île pour poursuivre des études ou s’y établir à plus long terme. Dans un contexte de « chômage de masse », pour reprendre l’expression de Roinsard (2007), une des solutions privilégiées par les instances politiques pour répondre aux pressions économiques et sociales consiste, en effet, aujourd’hui comme hier, à favoriser la mobilité des jeunes Réunionnais (Vitale, 2014; Temporal, 2011; Labache, 2008).

Ce contexte d’insertion professionnelle particulièrement difficile se vit dans un grand désenchantement des jeunes Réunionnais qui, à peine entrés massivement dans le système scolaire, bercés par la promesse de l’idéal républicain de l’adéquation parfaite entre le travail et le diplôme, réalisent que leur entrée dans la vie d’adulte ne peut se faire sans migration, dans l’aspiration à un certain standard de vie. Le désenchantement est tel que le rapport à la migration des jeunes Réunionnais transcende les douleurs collectives des migrations passées. En 2010, les jeunes qui n’avaient jamais quitté l’île étaient peu nombreux (Marie et

Temporal, 2014 : 2). Chez ces jeunes Réunionnais de plus en plus nombreux à avoir recours aux dispositifs institutionnels de mobilité, la France métropolitaine est beaucoup moins sublimée que par le passé (Labache, 2008 : 31). Depuis le début des années 2000, en effet, sur la base de partenariats de mobilité, les jeunes Réunionnais font de plus en plus le choix de partir vers des pays étrangers, en Europe, en Australie ou au Québec par exemple (Ihaddadene, 2017 : 41; Labache, 2008 : 25). L’assurance d’un possible retour si l’expérience à l’étranger s’avérait plus souffrante que positive participe aux motivations de départ. Trouver du travail, l’ouverture sur le monde, s’affranchir de la famille, fuir un « climat anxiogène » ou l’épanouissement personnel sont quelques-unes des principales motivations des jeunes Réunionnais à la migration (Labache, 20008 : 26-28).

D’autres caractéristiques des jeunes migrants Réunionnais des années 2000 découlent de la place des nouvelles technologies dans le partage des expériences de migration révélant le migrant connecté observé par Dana Diminescu (2005). L’espace commun à tous les jeunes migrants Réunionnais établis à l’extérieur de l’île trouve sa forme dans les nouvelles technologies de l’information, lesquelles permettent l’existence de lieux virtuels tels que le site internet reunionnaisdumonde.com, où les expériences des jeunes Réunionnais établis à l’étranger sont relatées de manière plus positive. Si elle est porteuse d’expériences globalement positives, la migration semble, cependant, toujours appréhendée par les jeunes migrants Réunionnais comme un projet temporaire dont la finalité est le retour à l’île de La Réunion (Simonin et al., 2009 : 112). L’expérience de migration vécue de manière dramatique par les générations précédentes ayant marqué la conscience collective, les jeunes Réunionnais qui ont fait le choix de la migration depuis la dernière décennie semblent circonscrire leur projet à l’étranger « sur quelques mois ou années et attendent une longue immersion avant de se prononcer sur leur projet d’installation » (Labache, 2008 : 30). Que les séjours à l’étranger soient définis à court ou à long terme, la perspective d’un départ de l’île apparait désormais centrale dans les projets de vie des jeunes Réunionnais. Comme le soulignent Guilbert et Prévost (2009) à propos des jeunes qui migrent d’une manière générale, les projets de migration de ces jeunes Réunionnais se fondent principalement sur la poursuite des études à l’étranger. Bien que diversifiées, les filières de formation professionnelle à La Réunion ne répondent pas toujours aux attentes des étudiants contraints

à la mobilité s’ils désirent poursuivre leur projet de formation professionnelle (Bertile, 2014 : 37). La venue de jeunes Réunionnais au Québec dans le cadre du partenariat signé au début des années 2000 transige sur la formation professionnelle de ces derniers au terme de laquelle un projet d’immigration peut être initié.

Conclusion

Dans ce troisième et dernier chapitre, nous avons pointé plus précisément le sujet dont il est question dans le cadre de ce mémoire. Les étudiants étrangers représentent une « catégorie » d’immigrants dont le gouvernement du Québec souhaite favoriser l’établissement en augmentant le recrutement de ces derniers et en facilitant leur transition vers la résidence permanente pour ceux qui le désirent. La stratégie du gouvernement s’inscrit dans un mouvement plus large d’internationalisation de l’éducation supérieure et de concurrence internationale pour le recrutement et la sélection des étudiants étrangers. La présence des étudiants étrangers est plus familière aux universités québécoises et très peu significative dans les cégeps. Depuis une quinzaine d’années maintenant, les cégeps déploient des stratégies de recrutement d’étudiants étrangers qui viennent s’arrimer à la politique de « régionalisation de l’immigration » énoncée en 1991. Dans la première section de ce troisième chapitre, nous avons relaté l’internationalisation des études supérieures au niveau collégial et l’expérience des étudiants étrangers, en particulier dans les villes à très faible migration. Dans ce mouvement de recrutement d’étudiants étrangers au niveau collégial, des ententes spécifiques de coopération justifient la présence des jeunes étudiants Réunionnais dans les cégeps situés dans les villes et régions à très faible migration. Après avoir exposé en quoi consiste l’entente de « mobilité étudiante » entre le Québec et La Réunion dans la deuxième section de ce chapitre, l’histoire de la migration des jeunes à La Réunion depuis son institutionnalisation et le contexte social actuel dans lequel prend place leur migration au Québec ont aidé à comprendre qui sont ces jeunes étudiants Réunionnais faisant l’objet de la dernière section du chapitre. Après avoir étudié et vécu dans une ville à très faible migration pendant trois ans, il est attendu dans l’entente qui encadre leur présence au Québec que ces jeunes choisissent de s’y établir à long terme. En cela réside le postulat sur lequel nous formulons notre question de recherche, que nous exposons au chapitre suivant.

Chapitre 4.

Question de recherche, orientation méthodologique

Nous précisons ici notre question de recherche et le choix méthodologique que nous avons privilégié pour répondre à cette question. Des concepts en particulier nous paraissent les plus appropriés pour rendre intelligible l’analyse des données collectées que nous exposons dans un deuxième temps.