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Concevoir la configuration de son nouvel environnement de vie

L’arrivée des jeunes étudiants Réunionnais dans leur nouvel environnement se déroule selon un encadrement spécifique auquel participent différents acteurs formels et informels. Cet encadrement est spécifique pour autant qu’il établit le cégep comme principale ressource d’aide à l’installation des jeunes étudiants Réunionnais dans leur ville d’accueil. Lieu d’information et de formation professionnelle, l’environnement cégépien est aussi un lieu de vie dans la mesure où la grande majorité des jeunes étudiants Réunionnais que nous avons rencontrés ont choisi de s’installer dans les résidences de leur cégep. Depuis cette localisation, ils apprivoisent leur nouvel environnement et délimitent l’espace de leurs pratiques quotidiennes. Les caractéristiques propres à cet espace vécu au quotidien reflètent, par extension, leur conception de la configuration de la ville d’accueil comme espace global représenté. Leur schéma de la configuration de la ville d’accueil, telle que représentée, accorde de l’importance à la disponibilité ou non dans les limites de l’espace vécu de différents objets sociaux jugés nécessaires au bon déroulement de la vie du jeune étudiant Réunionnais.

1.1 Un accueil personnalisé

L’arrivée et l’installation des jeunes Réunionnais que nous avons interviewés dans leur ville d’accueil au Québec font l’objet d’un encadrement spécifique. Lise nous raconte le déroulement de leur arrivée au Québec, de même que le support dont ils ont bénéficié à leur installation dans leur ville d’accueil :

On devait être dix. Le cégep est venu nous chercher à Montréal en bus et ensuite ils nous déposent un par un dans nos résidences ou dans nos appartements. On a un coordonnateur de l’école qui est avec nous. Il nous emmène chez nous, il nous explique comment fonctionnent toutes les petites choses pratiques. Le lendemain, il nous emmène chercher nos papiers, tout ce qui dit NAS49, RAMQ50 et tout. Il nous emmène ouvrir un compte, faire nos courses. On n’est pas laissé à l’abandon, on est bien encadré (Lise).

Dès leur arrivée au Québec, les jeunes étudiants Réunionnais sont donc accueillis et accompagnés dans les premiers moments de leur installation, parfois même de manière personnalisée : « à quatre heures du matin, il y avait des Réunionnais qui nous attendaient » (Monica). Outre le personnel de l’établissement d’enseignement et les jeunes étudiants Réunionnais des cohortes précédentes, des comités pour étudiants internationaux participent également à l’aide à l’installation : « arrivés là-bas, le cégep avait quand même un comité international qui nous a amené visiter la ville, nous montrer où faire les courses » (Evelyne). Autrement dit, l’installation de ces jeunes dans leur ville d’accueil est soutenue plus longuement par l’implication de différents acteurs qui leur apportent une aide concrète dans les procédures administratives liées à leur statut d’étudiants étrangers, le repérage des points de services les plus courants et l’introduction aux activités de loisirs possibles dans la ville d’accueil, tel que le souligne Sabine : « ce qui était bien c’est qu’on était tout de suite accueilli par une personne qui s’occupait des activités culturelles. Elle nous faisait faire des activités au cégep et à l’extérieur ». Tous les participants disent avoir vécu positivement cette aide spécifique à leur arrivée au Québec et dans la ville d’accueil, ainsi que le résume la citation suivante :

Franchement, dans mes souvenirs, pas une seule fois je me suis sentie comme «je ne sais pas quoi faire! ». Je me rappelle qu’à l’école, tous les mercredis après-

49 Numéro d’assurance sociale.

midi, quand on n’avait pas cours, toute notre cohorte était ensemble, puis ils faisaient des réunions d’information. À ce moment-là, on n’aimait pas ça, mais aujourd’hui, je me dis : « ce n’était pas pour rien ». Il y avait beaucoup l’idée de nous aider, puis franchement, j’apprécie tout ça (Mylène).

L’arrivée dans un nouveau pays implique parfois pour le nouveau venu une perte de sens et d’orientation (Murphy-Lejeune, 2003 : 114). Dès lors, l’encadrement et l’accompagnement des jeunes étudiants dès leur arrivée au Québec jusqu’à leur installation dans la ville d’accueil sont justifiés pour réduire le sentiment d’être perdu ou désorienté, comme le souligne Mylène, en plus de leur apporter une aide concrète. Les différents acteurs impliqués établissent une relation de proximité formelle et informelle avec ces jeunes en amont de toute démarche individuelle qui les rassure sur leur présence dans la ville qui les accueille : « c’est vrai que c’était difficile au début. J’ai même pensé à repartir » (Michèle). L’encadrement, l’aide et l’accueil dont bénéficient les jeunes étudiants Réunionnais communiquent un intérêt pour la ville d’accueil comme milieu de vie et expriment une volonté d’élaborer des conditions incitatives à l’installation de ces jeunes au-delà des trois années d’études collégiales.

1.2 Les limites de l’espace au quotidien

Bon nombre des jeunes que nous avons rencontrés ont choisi de s’établir en résidence collégiale pour toute la durée de leur formation comme en témoigne Théo : « la majorité des Réunionnais étaient en résidence au cégep et les résidences étaient collées au cégep ». Ce choix fait de l’établissement d’enseignement et de ses environs immédiats le premier lieu de référence dans l’espace inconnu de la ville à leur arrivée. La concentration de l’aide et du soutien apportés à ces jeunes dans l’établissement d’enseignement participe à désigner ce lieu comme le principal point de repère commun pour organiser l’inconnu entre nouveaux arrivants avec l’aide du personnel responsable de l’accueil dans l’appropriation de l’espace centrée sur le cégep et les résidences pour étudiants. Pour la plupart des jeunes que nous avons rencontrés, en effet, l’arrivée et l’installation dans un nouvel environnement débute par une période de déstabilisation :

Je ne connaissais pas le quartier, je ne savais pas quoi faire… C’est un peu bête mais le bus, ce n’est pas pareil qu’à La Réunion. Je ne savais pas où est-ce qu’il y avait un arrêt de bus, quand est-ce qu’il passait… Je ne savais pas au début où était le supermarché, tout ça… Donc, oui, au début c’était vraiment difficile,

c’était « qu’est-ce que je suis venue faire là ? », mais ça n’a pas duré, c’était l’espace de quelques jours. Après, on revoyait les autres Réunionnais, on faisait des activités ensemble. Et donc là, tout de suite, la machine reprend. Ils nous rassuraient en nous disant : « ben non, tu vas trouver… ». Et petit à petit, on s’en sort (Sabine).

Ainsi que le sous-entendent les propos de Sabine, toutes les pratiques qui organisaient la vie quotidienne dans le pays d’origine dont la régularité et la constance rendaient légitime le sentiment de sécurité ontologique51, deviennent inopérantes au Québec. Migrer désoriente, déstabilise, de sorte que l’installation dans un nouvel environnement requiert d’établir un lien de confiance avec celui-ci. Faire de son nouvel environnement un espace fondé sur le sentiment de confiance permet aux jeunes étudiants Réunionnais que nous avons rencontrés d’instaurer une certaine fluidité dans l’organisation de leur vie au quotidien. Pratiquer l’espace de son nouvel environnement de manière fluide passe par la nécessité pour ces jeunes de (re)configurer leur conception de celui-ci. Ce nouvel environnement étant un ensemble de constructions concrètes, il s’agit, en réalité, de rendre significatives les dispositions matérielles et sociales qui occupent cet espace. L’établissement d’enseignement collégial et ses environs immédiats forment alors le point de référence physique et symbolique à partir duquel définir l’espace qui correspond à leur nouvel environnement. « C’était la vie au cégep qui commençait » nous dit Théo, une nouvelle expérience de vie dans le lieu désigné, des formations générales et professionnelles de niveau collégial, qui devenait l’espace des pratiques quotidiennes à travers lesquelles l’inconnu devient familier. Cet espace investi inspire d’autant plus la confiance qu’il concentre bon nombre de compagnons de même origine partageant la même expérience de migration et qu’il dispose de services d’aide qui leur sont spécifiques. L’espace que ces jeunes pratiquent au quotidien remplit à la fois les fonctions de lieu d’accueil, d’information et de formation et de lieu de vie, de telle sorte que la fréquentation des espaces extérieurs aux environs du cégep reste secondaire et volontaire : « en résidence, si on ne le veut pas, on n’a pas à sortir » (Théo). Le cégep et les résidences collégiales sont pour certains des participants le principal voire le seul lieu de sociabilité.

51 La « sécurité ontologique » chez Anthony Giddens (1994) exprime la confiance que la plupart des êtres

humains ont généralement dans la fiabilité et la continuité des choses et des êtres qui l’entourent. Notre capacité à vivre ensemble dans un même espace repose sur ce sentiment de confiance.

1.3 La ville d’accueil comme espace configuré

La manière dont les jeunes étudiants Réunionnais de notre échantillon apprivoisent et conçoivent la configuration de leur nouvel environnement place ainsi au cœur de celui-ci l’espace de formation collégiale à partir duquel la ville d’accueil est découverte comme ensemble. La saisie de la configuration de l’espace global correspondant à la ville d’accueil renvoie à la disposition de différents objets sociaux par rapport à l’espace de référence, tels que les épiceries, la banque et les pharmacies, les lieux de divertissement et de loisirs. La représentation de la configuration globale de la ville d’accueil découle de la perception de la localisation de ces différents services et lieux de sociabilité selon qu’ils facilitent ou contraignent l’organisation de la vie au quotidien du jeune étudiant étranger. Pour certains des participants, tel que Viviane, la ville d’accueil est heureusement configurée de sorte à faciliter les déplacements entre les différents services et lieux de divertissement : « moi, j’ai bien aimé la ville parce qu’on avait tout à côté. L’épicerie était à cinq minutes de marche. Il y avait une grande rue avec les bars. Tout était à proximité, le cégep et tout. On était vraiment bien placé et je pense que ça c’est important quand on arrive ». Comme point de repère, le cégep représente le principal lieu à partir duquel on trace les limites de la ville d’accueil fréquentée. Comme point de référence, il sert à évaluer la distance des différents services et lieux de divertissement et de loisirs et ainsi à se représenter l’étendue de la ville d’accueil dans sa globalité. La disposition des différents services et lieux de divertissement à proximité immédiate de l’établissement d’enseignement et des résidences collégiales permet généralement d’organiser les pratiques quotidiennes avec plus d’aisance : « tout est à proximité du cégep, pharmacie, banque, I.G.A, la ville est vraiment facile d’accès » (Martine). Les connaissances acquises dans la pratique de l’espace au quotidien sont ici interprétées en termes de proximité et d’accessibilité et, pour certains jeunes étudiants Réunionnais, la ville d’accueil fréquentée correspond en fait à un espace restreint et circonscrit. Pour d’autres participants, l’espace délimité par le cégep constitue aussi l’espace de référence, mais tous les services et lieux de loisirs fréquentés sont situés à une distance qui ne peut se faire à pied : « si tu as une voiture, c’est correct. Si tu n’as pas de voiture, ben c’est plus compliqué. Par exemple, pour faire l’épicerie, on prenait le taxi » (Monica); « ce

n’était pas évident pour aller faire l’épicerie, faire les papiers52, aller à la banque. Heureusement, j’avais un ami Réunionnais arrivé deux mois avant moi et qui s’était acheté une voiture. Il me dépannait quand j’avais besoin » (Lise). Comme pour Monica et Lise, pour certains des participants, l’absence de services à proximité du cégep induit l’image d’une ville étalée et fragmentée, dont on ne peut précisément saisir les limites.