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II- Rester ou partir de la ville d’accueil

2.2 Une ville, un emploi

À l’instar de Pierre, les aspirations liées à la sphère professionnelle fondent les motivations premières d’autres jeunes étudiants Réunionnais de notre échantillon pour justifier le changement d’une migration temporaire à une migration à plus long terme au Québec. À contrario de Pierre, cependant, il s’agit de faire coïncider l’emploi à un environnement urbain en particulier.

D’une part, se distinguent des jeunes pour qui l’insertion professionnelle de même que la carrière professionnelle nécessitent de quitter la ville d’accueil. Si elle offre des conditions qui favorisent la réussite des études ou l’expérience de l’étudiant étranger, la représentation de la ville d’accueil dans sa morphologie particulière (village de campagne) semble contraindre les aspirations. Pour Lise, s’établir à plus long terme dans la ville d’accueil ne serait à envisager que dans le cas où aucune autre offre d’emploi ne lui soit accessible ailleurs : « si c’est en dernier recours, je resterai, mais pour avoir plus d’opportunités de travail, pour éviter d’être contrainte et parfaire notre créativité, il vaut mieux descendre sur Montréal » (Lise). La migration à long terme au Québec étant partie intégrante du projet de Lise au départ de La Réunion, le choix de la ville d’accueil n’est qu’une étape transitoire vers la ville à laquelle elle aspire, en l’occurrence la ville de Montréal. Les plus grandes villes telles que Montréal offrent pour elle une certaine sécurité quant à la réalisation du projet de carrière professionnelle par la densité et l’intensité des activités sociales. À l’inverse, dans une représentation confortée par leur propre expérience, la ville d’accueil est perçue comme contraignante en ce qui a trait à l’emploi. En référence à son domaine d’études en particulier, la participante suivante qui aspire à une carrière avec stabilité d’emploi redoute que son insertion professionnelle soit moins facile que dans une plus grande ville : « avec mon diplôme en gestion de commerce, je pense qu’il y a plus de possibilités à Montréal qu’ici » (Sandra). Les propos de Sandra expriment l’idée selon laquelle le faible volume des activités commerciales pour elle limite la disponibilité des emplois dans la ville d’accueil. Dans une ville avec une plus forte densité, les possibilités d’être insérée rapidement en emploi lui semblent plus grandes considérant son domaine d’études. Ces opportunités d’emploi multiples correspondent par ailleurs dans sa représentation de la grande ville à autant de possibilités de choix selon des attentes de conditions d’emploi.

Une autre contrainte à un projet de carrière professionnelle dans la ville d’accueil réside dans le manque de diversité des situations d’interaction : « Pour moi, c’est plus stimulant de travailler dans une grosse ville plutôt qu’une petite ville comme ici » (Michèle). Exprimés en d’autres termes (environnement de travail stimulant), les propos de Michèle recoupent ceux de Lise (parfaire sa créativité) sur le « caractère intellectualiste » que la diversité des situations d’interaction confère au citadin des grandes villes (Simmel, 2004 [1903] : 62) et qui semble faire défaut dans la ville d’accueil. Un plus haut degré de densité urbaine suppose des cycles de situations d’interaction plus rapides et plus compétitifs à travers lesquels les compétences sont remarquées et hiérarchisées. Le monde du travail dans les grandes villes crée des situations d’interaction où les personnalités se distinguent. Le monde du travail dans la ville d’accueil limite dans une certaine mesure la possibilité de se distinguer. Autrement dit, pour les participants que nous avons identifiés ci-dessus, le processus vers l’acquisition d’un statut professionnel est beaucoup plus valorisé dans un environnement urbain de plus grande importance que dans la ville d’accueil. En ce sens, la mise en œuvre du projet de carrière professionnelle nécessite de s’établir à plus long terme dans un autre type de ville que la ville d’accueil.

Il y a, d’autre part, des participants pour qui la ville d’accueil est autant que faire se peut le lieu où réaliser son projet d’insertion professionnelle ou de carrière professionnelle. Si les grandes villes supposent des possibilités plus étendues en matière d’emploi, l’environnement trop compétitif y parait plus instable, suscitant chez des participants une certaine insécurité. Davantage motivés par la stabilité d’emploi que par l’obtention de promotions, la ville d’accueil correspond à l’environnement le plus adéquat à leurs aspirations de carrière professionnelle. Il s’agit surtout pour ces jeunes étudiants Réunionnais d’être insérés en emploi le plus rapidement possible et de conserver son emploi dans le temps. Cette transition est d’autant plus aisée que les milieux d’emploi en lien avec leur domaine d’études leur sont familiers pour y avoir effectué des stages pratiques ou occupé un emploi occasionnel. Assurés d’un réseau de relations professionnelles dans la ville d’accueil, il leur semble aller de soi que plus d’efforts soient consentis à la recherche d’un emploi dans la ville d’accueil : « la ville est très, très petite. Du coup, tu connais tout le monde, tu sais, c’est comme un petit village » (Jean). En tant qu’il constitue un environnement plus petit, le monde du travail dans

la ville d’accueil semble favoriser les relations professionnelles de proximité et personnalisées. Dans un tel contexte, l’insertion professionnelle est affaire de reconnaissance plus que de compétition : « au début, le marché du travail était très difficile d’accès pour moi, étant étranger. À force de persévérance et de rigueur, j’y suis arrivé. Maintenant, les entreprises d’ici n’ont plus peur de prendre des étudiants ou des travailleurs de La Réunion » (Gilles).

À contrario de Lise pour qui le choix de la ville d’accueil comme lieu professionnel est l’ultime recours, pour Jean et Gilles, quitter la ville d’accueil pour s’établir à plus long terme dans une autre ville est l’ultime recours : « moi, je n’aime pas les grosses villes. J’aime y aller tout en sachant que je ne vis pas là parce que nous, à La Réunion, on ne vient pas d’une grosse ville » (Jean). La moindre densité de la ville d’accueil apporte une certaine sécurité dans la mesure où il diffère peu de l’environnement de socialisation primaire comme en témoigne la participante suivante : « moi, à La Réunion, j’habitais dans les hauts56, ça faisait plus campagne. C’est sûr, je n’aime pas la ville, je préfère tout ce qui est campagne » (Evelyne). La morphologie de la ville d’accueil a quelque chose de l’ordre de ce qui est connu et, comme telle, la ville d’accueil est un environnement propice au sentiment de sécurité ontologique. Seule l’impossibilité de trouver un emploi à la hauteur de ses aspirations peut forcer au départ de la ville d’accueil.