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II- Migrer pour combien de temps ?

2.1 Le temps d’une expérience

Un premier type de projet se distingue par le caractère temporaire dans lequel il s’inscrit et se décline sous deux formes. D’une part, se distinguent les projets dont la principale motivation était d’être en possession d’un diplôme d’études supérieures dans le domaine professionnel choisi comme en témoignent les citations de Jean et de Théo dans les sections ci-dessus. D’autre part, se positionnent généralement dans ce type de projet des jeunes de notre échantillon pour qui la venue au Québec prenait l’allure d’un voyage d’études. L’importance mise sur la recherche d’une formation professionnelle diplômante pour les uns, et d’expériences nouvelles dans le cadre de ses études pour les autres distinguent ces participants cependant que leur projet relève d’un même rapport au temps. Chacun des projets était défini sur une durée à court-moyen terme, avec une intention de retour à la fin des trois années de formation cégépienne, comme l’expriment clairement les participants suivants : « moi, mon idée première était de revenir vivre à La Réunion » (Jean). « Je me disais à l’époque : je fais mes trois ans, pas plus et je pars » (Mylène). Les dires de ces deux participants reflètent l’attitude de certains pour qui l’anticipation de son avenir ne peut être pensée en faisant abstraction de ce qui est perçu comme une réalité qui s’impose de plus en plus. Celle-ci fait référence à un monde en mouvement « animé par la circulation d’idées, d’objets et de personnes » entraînant dans « l’espace global » « l’insertion croissante » de la société réunionnaise (Ghasarian, 2008 : 11). Pour ces jeunes, le mode d’entrée dans la vie adulte étant de plus en plus circulatoire, la migration va de soi, cependant que l’idée de retour

dans son pays d’origine après le séjour de formation professionnelle ou de voyage d’études fait partie intégrante des intentions pré-migratoires.

2.1.1 Migrer pour se former

Bien que les finalités de l’entente de coopération entre La Réunion et le Québec soient de favoriser l’installation à long terme des jeunes Réunionnais participant au programme, six des participants saisissent l’opportunité offerte pour se consacrer uniquement à l’acquisition d’une formation professionnelle de niveau supérieur. « L’université ne m’intéressait pas. Moi, c’était vraiment le domaine social qui m’intéressait, je voulais être assistante sociale. Mais à La Réunion, il faut passer le concours et si je l’avais eu, je serai allée en France pour faire mes études. C’était plus facile pour moi de venir ici [au Québec], que de passer le concours, puis de repasser et repasser » (Monica). Comme le laissent entendre les propos de Monica, certains des jeunes Réunionnais rencontrés soulignent l’importance pour eux d’acquérir des compétences professionnelles qu’exigent les nouvelles réalités du travail et qui leur semblent défaillantes en milieu universitaire à La Réunion. L’entrée à l’université constitue bien souvent une avenue par défaut. Pour diverses raisons (absence ou manque de filières, sélection trop compétitive), ces jeunes n’ont pu intégrer les écoles d’études supérieures qu’ils souhaitaient. Pour d’autres, l’échec restait de l’ordre de l’anticipation :

Déjà à La Réunion, il n’y a qu’une seule école dans le service social. Je me suis renseignée un petit peu, il faut passer un concours, mais le concours… Certains avaient 17 sur 20 et ils n’étaient pas pris, tellement que le niveau était élevé, tellement qu’il y avait beaucoup de demandes ! Il y en avait qui avaient 16, 17. Moi, je me suis dit que je n’aurais aucune chance ! (Sabine)

Quoiqu’il en soit, leurs intentions initiales étaient de poursuivre une formation professionnelle de niveau supérieur :

À la base, moi, je voulais aller en Métropole pour faire un BTS46 en domotique. À La Réunion, le marché est saturé. Tout le monde fait de la réfrigération, tout le monde fait de la climatisation. Au Québec, j’ai vu qu’il y avait un programme qui se rapproche beaucoup de ce que j’ai appris à La Réunion. Je voulais continuer là-dedans, c’est un domaine qui me passionne et je pouvais découvrir la mécanique du chauffage qu’il n’y a pas à La Réunion (Pierre).

46 Brevet de Technicien Supérieur. Après l’obtention du baccalauréat, une formation de deux ans mène au BTS

qui correspond à un diplôme de compétences techniques axées sur une intégration rapide au marché de l’emploi.

Partir de son lieu d’origine pour se former est largement considéré par les jeunes Réunionnais comme un « bonus » professionnel dans leur parcours (Morel et Maire, 2014 : 121) pour autant que cette formation à l’étranger donne un diplôme d’études supérieures : « J’ai toujours voulu quitter La Réunion, mais je voulais au moins finir ma licence en droit à La Réunion. L’île est petite et moi, j’avais envie de bouger. Au départ, j’avais pensé à l’Afrique du sud, mais en rencontrant mon conjoint qui était déjà venu au Canada, il m’a donné envie de venir » (Sandra). En dépit de la perception d’une « chasse-gardée » par la famille dans le domaine d’études choisi, Sandra continue d’étudier dans la même discipline et maintient ainsi sa présence dans le cycle d’études supérieures tout en restant ouverte à des études à l’international. Il en est de même pour Evelyne : « Avant de connaitre le programme, mon intention était de faire mon Bac pour ensuite aller faire un BTS en comptabilité et gestion à Saint-Denis, au lycée de Moufia. En septembre 2012, une représentante du Québec est venue au lycée et nous a fait une présentation du Québec. Du coup, je me suis dit : bon, ben, je vais tenter ma chance, mais je vais quand même m’inscrire en comptabilité et gestion et après au fil du temps, on verra » (Evelyne). La posture de ces deux participantes exprime individuellement la représentation sociale d’une valorisation des études supérieures « comme facteur de réussite et de promotion sociale [exigeant] qu’on s’éloigne parfois de son lieu d’origine » (Gauthier et al, 2003 : 129). Dès lors, pour ces jeunes, la proposition d’une formation professionnelle au Québec leur apparaît intéressante à considérer du fait qu’elle comporte une perspective internationale en même temps qu’elle propose une diplomation de niveau supérieur. Le Québec représente alors ce lieu où il est possible à la fois d’accéder au niveau de diplomation souhaité et de maintenir une certaine continuité dans la construction de la trajectoire professionnelle.

En regard de ces intentions a priori, nous pouvons poser une première observation sur le rapport des jeunes Réunionnais que nous avons rencontrés au Québec comme lieu de migration et d’accueil. Quand le projet de migration au Québec en est un de formation professionnelle, au sens d’acquérir des compétences sanctionnées par un diplôme d’études supérieures, l’intention n’est pas de s’installer au Québec à long terme, mais bien de se positionner dans une structure (le marché de l’emploi à La Réunion) de plus en plus orientée

par les impératifs d’un monde de mobilité. Cette position à laquelle on aspire à La Réunion semble d’autant plus accessible qu’elle est valorisée par une expérience de migration au Québec.

2.1.2 « L’étudiant voyageur »

Le projet de « l’étudiant voyageur47 » constitue une autre forme du projet de migration au Québec à court-moyen terme dans la mesure où il n’est pas déterminé dans un temps fixé a priori. La mobilité et la mouvance, la capacité de s’adapter et de changer (Murphy-Lejeune, 2003 : 45) sont caractéristiques de « l’étudiant voyageur ». Le récit de trois des participants de notre échantillon reflète ces aspects particuliers d’une aspiration à des expériences nouvelles, c’est-à-dire hors des limites du champ de pratiques communes. Partir de son lieu d’origine va alors de soi comme en témoigne la participante suivante : « Je finissais mon bac en littérature. Je ne savais pas ce que je voulais faire après l’école, j’avais envie de voyager. Je n’avais pas d’intentions précises. Je savais juste que je voulais partir en voyage et je suis partie » (Mylène). Si pour Mylène, la migration au Québec vient en quelque sorte masquer l’angoisse de ne pas savoir quoi faire de sa vie à un moment clé de son parcours, pour Gilles, au contraire, partir en voyage est un projet en soi à réaliser après l’obtention de son baccalauréat : « avant de connaître ce programme, je voulais déjà quitter La Réunion. À 16 ans, j’ai fait un voyage d’un an seul en Allemagne pour une immersion totale. J’y ai pris goût à cette sensation de liberté par rapport à La Réunion, qu’on perçoit alors comme trop petite (…). J’ai aussi découvert au cours de ce voyage mon côté aventurier ».

Pour ces participants comme Mylène et Gilles, la présentation du programme de coopération de mobilité étudiante au Québec prend la forme d’une invitation au voyage dans le cadre des études. Cependant, à contrario du projet de formation professionnelle où la finalité est l’insertion professionnelle en mobilisant la formation (Boutinet, 2015 : 229), l’orientation donnée à ses études dans le cadre d’un voyage d’études est quelque peu indéterminée dans le sens où ce qui importe est plutôt de l’ordre de l’expérience culturelle. À plus ou moins long terme, l’expérience réalisée ailleurs est susceptible de peser dans la construction d’une

47 Nous reprenons ici l’expression d’Elizabeth Murphy-Lejeune de son ouvrage, L’étudiant européen voyageur,

trajectoire professionnelle, mais au projet de voyage d’études comme tel ne correspond aucune attente en particulier, sinon que d’explorer des possibilités nouvelles : « j’avais déjà voyagé en Métropole, à Maurice et en Allemagne où il y a beaucoup de différences avec La Réunion et cela m’avait plu. Quand on est à La Réunion, partir en voyage, ça coûte cher » (Sandra). Partir de La Réunion pour l’aventure ou pour les études dans les conditions qui leur ont été soumises, c’est-à-dire en bénéficiant d’une bourse d’études pendant toute la durée du programme de mobilité, correspond en quelque sorte à un voyage inattendu, mais néanmoins souhaité.

Au voyage se rattache tout un imaginaire qui, bien qu’exprimé individuellement, est partagé par tous. Le voyage, c’est l’aventure, la découverte, c’est faire l’expérience de l’ailleurs. Comme le dit Sandra en ses propres mots, ailleurs, c’est « différent », il existe des manières de faire qui diffèrent de celles qui nous sont familières. Cette différence, si elle est recherchée pour élargir et diversifier son champ de pratiques, suscite aussi un sentiment de doute que vient atténuer l’idée du voyage. Le voyageur sait qu’à la fin du voyage, quel que soit la durée de son voyage, il retournera chez lui (citation de Martine). En somme pour ces participants, il s’agit d’articuler le programme de mobilité étudiante au Québec à leur fort désir de voyager et d’étudier. À la recherche de modèles significatifs dans la construction de leur parcours, privilégier la migration au Québec sous la forme d’un projet de voyage d’études leur offre la possibilité de vivre des expériences autres tout en maintenant leur statut d’étudiant. Ceux qui ont organisé leur venue au Québec dans le cadre du programme de mobilité sous la forme d’un projet de voyage d’études l’ont fait a priori sur un mode temporaire, sans intentions d’installation au Québec dans le long terme.