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III- Les nouveaux espaces de migration

3.3 Le point de vue des personnes immigrantes

Les recherches sur l’immigration dans les régions à plus faible migration au Québec sont récentes et prennent généralement comme contexte de recherche la « régionalisation de l’immigration ». Parmi celles-ci, il faut mentionner les travaux du Centre Immigration et Métropoles, du Centre pancanadien Métropolis et du Réseau international de recherche sur l’immigration en dehors des grands centres, et enfin ceux de l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ). Il appert globalement que les personnes immigrantes installées dans les villes à l’extérieur de Montréal rencontrent des difficultés à différents niveaux. Celles-ci ont trait tant à l’insertion professionnelle que sociale et culturelle (ÉDIQ, 2011). Questionnés sur les raisons pour lesquelles ils choisissent un lieu de résidence en particulier au Québec, les personnes immigrantes invoquent, en premier lieu, la proximité de la famille ou des amis (Jolicoeur, 2016 : 36). Parmi les facteurs influençant le choix des immigrants de s’établir dans les villes à faible migration figurent la présence de parents, d’amis, des personnes de la même origine, des perspectives d’emploi et du type d’environnement offert (Arsenault et Giroux, 2009 : 16). Au-delà des conditions économiques, plusieurs recherches qualitatives permettent, en effet, de situer le choix de l’immigrant de résider ou non dans une ville à faible migration selon les conditions globales du lieu d’accueil, mais aussi selon le rapport de l’immigrant à ces conditions. La qualité des services offerts concernant par exemple les organismes d’accueil, d’aide et de soutien à l’installation, l’accès à des logements, aux services de santé, au système d’éducation, à des activités de loisirs sont des critères qu’énoncent les personnes immigrantes dans leur choix de rester ou de partir des villes et régions à faible migration (Vatz Laaroussi, Guilbert et Bezzi, 2010, Simard, 2007; Vatz Laaroussi, 2007; Quimper, 2005; Simard, 2001). La rencontre de ces critères indique les conditions favorables à leur choix de résider à long terme dans les villes à faible migration. Outre l’aspect morphologique du lieu d’accueil, la création de nouveaux réseaux sociaux et la qualité des liens sociaux avec les personnes résidentes sont cruciales dans le choix de résider ou non dans une ville à faible migration (Vatz Laaroussi, Guilbert et Bezzi, 2010 : 29; Simard, 2007 : 123).

3.3.1 L’importance des réseaux sociaux

La formation des réseaux sociaux est « considérée comme essentielle pour la réussite éventuelle de l’intégration à long terme des nouveaux arrivants à leur nouvelle société » (Arsenault et Giroux, 2009 : 18). L’étude réalisée par Annie Frappier (2007) auprès des nouveaux arrivants en Gaspésie montre la difficulté de ces derniers à intégrer les réseaux sociaux locaux dans un milieu où l’interconnaissance des natifs est telle que cela accentue le sentiment d’être étranger et « où les réseaux sociaux, construits depuis l’enfance, ne sont pas toujours perméables aux nouveaux arrivants » (Frappier, 2007 : 93). Ce même constat est relaté par Arsenault et Giroux dans leur étude qui a aussi pour terrain la Gaspésie-Îles-de-la- Madeleine, où les auteures observent que les personnes immigrantes éprouvent de la « difficulté à créer des réseaux sociaux significatifs avec des membres de la population natifs de la région » (Arsenault et Giroux, 2009 : 74). L’insertion des nouveaux arrivants à de nouveaux réseaux sociaux est corrélative à une période de « mise à l’épreuve », où une fois la phase d’accueil passée, « une des premières conditions à l’insertion du migrant est de démontrer son intention d’y résider à long terme » (Frappier, 2007 : 87). Dans cette deuxième phase d’insertion de l’étranger dans son nouveau milieu de vie, le nouvel arrivant, en tant que « néophyte », est mis en « retrait de la société et de l’espace-temps quotidien » (Frappier, 2007 : 86). De là, il doit observer et apprendre les règles qui régissent les rôles sociaux, et en l’occurrence le sien. Cet apprentissage est « réciproque » et intrinsèque à l’interaction sociale. Il correspond, selon Frappier, à la période (variable selon les individus et la situation) qui « permet l’ajustement, tant du migrant que de la société hôte, au nouveau contexte [en établissant] des liens avec les autres membres de la communauté » (Frappier, 2007 : 87). L’insertion des nouveaux arrivants aux réseaux sociaux locaux correspond en quelque sorte pour Frappier à un rite de passage (Frappier, 2007 : 86). Cette phase de transition, de construction et de consolidation de liens sociaux où l’immigrant passe du néophyte à l’initié, est une phase déterminante dans le choix des personnes immigrantes de s’établir à long terme dans une ville à faible migration. La possibilité de tisser des liens avec la population locale non-immigrante permet de participer à la vie locale (Simard, 2007 : 121). En même temps que l’insertion dans des réseaux sociaux locaux permet de participer à la vie collective, elle est une condition du développement d’un sentiment d’appartenance qui favorise l’établissement à long terme des immigrants en un lieu (Simard, 2007 : 123).

3.3.2 Migration et parcours de vie

Mieux comprendre le choix des personnes immigrantes de s’établir à long terme dans une ville ou une région à faible migration implique que l’analyse s’élargisse aussi aux migrations secondaires de ces dernières. Entre 2006 et 2009, deux études ont été menées auprès des femmes et des familles immigrantes installées dans différentes villes de migration moyenne à très faible migration dont l’objectif était de « mieux comprendre la mobilité des familles mais aussi les conditions de leur installation dans des localités régionales » au Québec (Vatz Laaroussi, Guilbert et Bezzi, 2010 : 25). Les chercheures en sont arrivées à identifier à la fois des « facteurs de rétention » des lieux d’accueil, mais aussi des facteurs de la mobilité. Ainsi, il apparait que les familles qui avaient migré vers une autre ville, voire plusieurs autres villes, quittaient surtout les villes à faible migration. La ville privilégiée au cours des migrations secondaires n’était pas nécessairement une ville à forte migration. Celle-ci était envisagée en définitive après plusieurs tentatives d’installation dans des villes de migration moyenne, jusqu’à parfois revenir au lieu d’accueil. Un résultat intéressant qui ressort de cette étude et qui rejoint la conclusion de Myriam Simard (2001) est le fait qu’en dépit des mobilités parfois répétitives souvent liées à des attentes de mobilité sociale, les familles immigrantes étaient surtout dans une prospection d’une certaine qualité de vie. Celle-ci semble fondamentale à l’installation à long terme dans une ville quelconque, le but étant d’établir aussi rapidement que possible un « chez soi », un lieu où « les liens forts (…) permettent l’ancrage symbolique dans l’histoire et le tissu social de la localité » (Vatz Laaroussi, Guilbert et Bezzi, 2010 : 30). Les résultats de cette recherche et d’autres citées précédemment convergent vers la puissance symbolique de l’insertion des personnes immigrantes à des réseaux sociaux locaux. Ouvrant sur la possibilité de participer à la vie locale, elle contribue à la construction de la représentation que les personnes immigrantes ont de la ville qu’elles ont choisie comme lieu de résidence. L’absence de réseaux sociaux locaux significatifs nuit grandement à la qualité de vie et favorise les migrations secondaires. L’intérêt de cette recherche repose sur la notion de mobilité qu’elle introduit dans l’analyse des choix de lieu de résidence des personnes immigrantes dans les villes à faible migration. La mobilité des personnes immigrantes qui se mesure ici à la propension de ces dernières à migrer dans une ou plusieurs autres villes au Québec est liée à leurs attentes en termes de qualité de vie. Plusieurs dimensions participent à la qualité de vie dans les villes à faible migration qui ont trait tant aux conditions matérielles

que relationnelles. En s’intéressant aux migrations secondaires, la recherche de Vatz Laaroussi et al., aide à comprendre que le choix des personnes immigrantes de résider ou non dans les villes à faible migration est d’abord lié à un projet de vie qui trouve sa forme dans le parcours de vie de la ou des personnes (im)migrantes. Autrement dit, les aspirations à une certaine qualité de vie correspondent à des intentions qui précèdent la migration que le projet de vie englobe et, la réalisation de ce projet nécessite parfois une plus grande aptitude à la mobilité. De ce fait, le choix des immigrants de s’établir à plus long terme dans les villes à faible migration doit être également pensé à partir de leur parcours et des stratégies adoptées par les immigrants dans leur parcours (Vatz Laaroussi, Guilbert et Bezzi, 2010 : 30).

Conclusion

Depuis l’École de Chicago, la figure type du nouvel étranger a connu des transformations théoriques. Deux grands domaines d’études sociologiques ont pour objet d’analyse le rapport étranger/société d’accueil/migration dont les propositions théoriques et conceptuelles en regard notamment du comportement résidentiel de l’étranger ont été exposées dans la première partie de ce chapitre. Depuis les années 1990, le gouvernement affiche sa volonté par des politiques incitatives d’influencer le comportement résidentiel des personnes immigrantes afin que ces dernières s’établissent à long terme dans des villes autres que Montréal. La deuxième partie du chapitre consiste précisément à distinguer les villes où résident les immigrants au Québec. Dans la dernière partie du chapitre, nous avons relaté l’état des connaissances sur l’immigration dans les villes à l’extérieur de Montréal, notamment dans les villes à faible migration en insistant sur des recherches dont les résultats ou l’angle d’approche suscitent davantage notre intérêt dans le cadre de ce mémoire. Nous nous intéressons, en particulier, dans ce mémoire, aux étudiants étrangers qui, aux termes de leurs études dans une ville à faible migration ont fait le choix de s’établir au Québec à plus long terme. Le chapitre suivant nous permet de présenter ces étudiants étrangers qui choisissent de compléter des formations techniques de niveau collégial dans une ville à faible migration au Québec en même temps que nous y exposons les recherches sur leur expérience d’étudiant étranger dans les villes à faible migration.

Chapitre 3

La migration des jeunes Réunionnais au Québec pour études collégiales

L’établissement à long terme des personnes immigrantes à l’extérieur de la ville de Montréal est une préoccupation politique depuis les années 1950 et a donné lieu à une volonté formelle d’agir en vue de les inciter à immigrer dans les villes à très faible migration. Après les immigrants agricoles, entrepreneurs et réfugiés, les étudiants étrangers constituent la nouvelle catégorie d’immigrants dont le gouvernement entend favoriser l’arrivée dans les villes et régions à très faible migration en sollicitant la collaboration de différents acteurs locaux. La mise en œuvre du plan d’action du gouvernement en matière de « régionalisation de l’immigration » par des acteurs locaux explique la présence de plus en plus marquée des étudiants étrangers, dont les jeunes Réunionnais. Ce chapitre fait un état de la connaissance sur les étudiants étrangers au niveau collégial dans les villes à très faible migration et introduit les jeunes étudiants Réunionnais comme population à l’étude privilégiée dans le cadre de ce mémoire.