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II- Rester ou partir de la ville d’accueil

2.1 Un emploi, une ville

Le récit de certains des participants montre une certaine distinction dans l’expérience de migration entre, d’un côté, l’expérience de formation professionnelle en soi et, de l’autre, la migration au-delà de la formation. La préoccupation première étant l’insertion professionnelle, la ville où trouver l’emploi recherché pour autant qu’il corresponde aux attentes en termes de statut n’est que secondairement considérée. La représentation de la ville d’accueil comme une ville aménagée essentiellement autour des activités estudiantines ou plutôt fragmentée en différents espaces de sociabilité ne semble pas être un élément déterminant dans la suite du déroulement de l’expérience de migration au Québec. L’insertion rapide en emploi, dans la mesure où elle constitue une étape fondamentale dans l’importance que revêt l’expérience professionnelle pour certains des jeunes, amène ces derniers à ne considérer à ce moment de leur parcours que les offres d’emploi en soi.

Toutefois, s’installer à long terme dans la ville d’accueil parce que l’emploi qui y est proposé présente des conditions favorables ne présage en rien de la suite du parcours de migration. Pierre est un des participants dont le projet de migration pour formation professionnelle s’est transformé en projet d’insertion professionnelle au Québec et aspire, par ailleurs, à une carrière professionnelle évolutive dans son domaine d’études. Au cours de son expérience de formation professionnelle, les relations de Pierre reflétaient une sociabilité de l’entre-soi jusqu’à ce que des tensions à l’intérieur du réseau d’amis Réunionnais amènent Pierre à se distancer de ces derniers. Pierre est de ceux pour qui la ville d’accueil où se déroule sa formation est d’abord une ville étudiante. La sociabilité dans l’espace global que représente la ville d’accueil est pour lui essentiellement estudiantine. Isolé des jeunes étudiants Réunionnais, il éprouve, par ailleurs, de la difficulté à nouer des relations d’amitié avec les étudiants québécois. Il finit par compléter ses trois années de formation sans établir de relations particulières suffisamment fortes qui donnerait un quelconque sentiment d’attachement à la ville d’accueil. Au cours de son expérience de formation, cependant, Pierre occupe un emploi à temps partiel. À la fin de ses études, il a une proposition d’emploi à temps plein dans cette même entreprise, offre qu’il accepte, non sans avoir essayé de prospecter à La Réunion :

Avant de quitter l’école, j’avais un emploi. Quand je suis rentré à La Réunion pour des vacances, j’ai fait une prospection un peu pour voir si ça valait la peine que je rentre à La Réunion. J’étais allé voir la centrale thermique de Bois-Rouge et ceux qui sont là, ce sont des syndiqués, des anciens qui sont… c’est très fermé comme milieu et ils ne voulaient pas m’engager. Et quand ils m’ont dit le salaire que je pouvais espérer j’ai dit : « C’est bon, je ne retournerai pas à La Réunion » (Pierre).

Pierre comprend qu’en réalité, ses compétences acquises au Québec et sanctionnées par un diplôme ne favorisent pas pour autant son insertion sur le marché de l’emploi dans son pays d’origine. La migration à plus long terme au Québec est alors envisagée, processus qu’il entame en acceptant l’offre d’emploi dans la ville d’accueil. Au bout de quelques temps, Pierre se voit offrir toujours dans sa ville d’accueil un autre emploi qu’il accepte et qui lui semble plus intéressant en termes d’avancement professionnel. Au moment où nous l’avons interviewé, il n’était plus question pour Pierre de quitter sa ville d’accueil. Pour Pierre, cependant, l’attachement qu’il éprouve maintenant pour sa ville d’accueil trouve sa

justification davantage dans le déroulement de son expérience de migration en tant qu’immigrant après ses études collégiales :

Quand j’ai eu mon diplôme, franchement, j’aurai pu quitter, ça ne m’aurait pas dérangé. C’est vraiment pour l’emploi que je suis resté ici (…). Au début, oui, j’aurai pu quitter la ville. Maintenant, à l’heure actuelle, ce serait difficile pour moi de quitter pour la simple et bonne raison que ça me prend cinq minutes et je suis à mon travail. Je n’ai jamais d’embouteillage, jamais de stress le matin. Je vais travailler et je ne suis pas stressé. En fait, c’est ça, c’est la qualité de vie qui a été un point vraiment important là. Maintenant, j’ai une maison et puis aussi j’ai beaucoup d’amis maintenant ici, que j’ai connu grâce au travail (Pierre).

Le déroulement de ses expériences d’établissement dans le temps finit par mettre en évidence des dimensions de la vie autres que la sphère professionnelle et modifie la perception de la ville d’accueil comme une ville essentiellement animée par les activités liées à la vie étudiante. Comme « résident travailleur » et non plus « résident étudiant », Pierre s’approprie l’espace global de la ville d’accueil en plaçant au centre de celui-ci son projet de vie personnelle. Le rythme de vie, le cadre environnant, de même que l’intrication entre les relations professionnelles et les relations amicales sont alors des aspects significatifs dans le choix de la ville d’accueil comme lieu de vie à plus long terme. Mais, l’établissement de Pierre dans sa ville d’accueil est d’abord expliqué par les propositions d’emploi correspondant à ses aspirations. La possibilité d’être en emploi dans son domaine d’études et d’envisager une carrière professionnelle structure dans un premier temps son parcours de migration au Québec.

L’expérience de migration dans la ville d’accueil ne représente en fait qu’une étape dans la mise en œuvre du projet, comme le souligne le participant suivant : « honnêtement, quand je dépose mon c.v. là où on me dit que c’est bon, ben je pense que je vais prendre, et c’est là que j’irai. En fait, je n’ai pas vraiment de région précise » (Jérôme). En ce sens, à la ville où s’établir à plus long terme doit correspondre l’emploi auquel ces jeunes aspiraient dans leur pays d’origine. Un emploi n’offrant pas les conditions attendues (concordance entre statut professionnel et diplôme acquis, possibilité d’avancement associé à un plan de carrière professionnelle, stabilité d’emploi) ouvre l’horizon d’un parcours fait de multiples migrations secondaires.