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Le déroulement de la formation professionnelle sur une période de trois ans est un temps suffisamment long pour que les projets de migration temporaire s’installent dans la durée. Ainsi, les projets de formation professionnelle en vue de valoriser des compétences spécifiques sur le marché de l’emploi à La Réunion ou de découvertes culturelles de l’étudiant mobile et voyageur se transforment souvent en projets de carrière professionnelle ou de vie personnelle.

1.1 Quand les parents s’en mêlent

Théo est de ceux pour qui la migration au Québec est une manière de bonifier son curriculum vitae auprès des employeurs Réunionnais en détenant un diplôme d’études supérieures dans un domaine auquel il a dû renoncer à La Réunion, faute de places contingentées. La

découverte de la ville d’accueil laisse Théo dans une déception cependant que son parcours d’études se déroule fort bien au point de se démarquer au sein de sa cohorte : « à La Réunion, l’école je n’aimais pas vraiment ça. J’avais les notes de passage, mais sans plus; alors qu’ici, au bout de trois ans, j’ai été reconnu comme le meilleur technicien de ma cohorte. J’ai même eu une bourse qui a fait l’objet d’un article dans un journal. Mes parents en étaient très fiers! ». Dans le même temps, Théo fait l’expérience des milieux de travail au cours des stages obligatoires du programme de formation. Il s’aperçoit qu’il est plus facile pour lui d’accéder à un stage pratique en milieu de travail au Québec qu’à l’île de La Réunion. Il a même le choix entre plusieurs offres : « quand j’ai fait ma demande de stage, j’ai eu une proposition à Montréal puis eux-autres, ils me proposaient même de rester travailler ensuite, mais ça ne m’intéressait pas. J’ai préféré faire mon stage ailleurs. Puis, il y a aussi le fait que Montréal, c’était une trop grosse ville pour moi. Après mon diplôme, j’ai même eu une offre d’emploi à Montréal, mais non, ça ne m’intéressait pas ». D’autre part, Théo qui était en panne d’ascension à La Réunion, est amené à assumer des responsabilités professionnelles tôt dans son parcours au Québec : « la propriétaire avait deux agences. Elle me laissait la gestion de l’agence où je faisais mon stage quand elle était à l’autre. Ça s’est tellement bien passé qu’elle voulait me garder pour travailler, mais je ne voulais pas rester dans cette ville ». Cette reconnaissance des compétences au-delà d’une hiérarchisation des travailleurs sur la base de leur ancienneté est positive pour la perception que Théo a à la fois de lui-même et de son parcours au Québec. Ce parcours est d’autant plus valorisé que les parents en visite ne manquent pas de souligner l’état des choses pour ceux qui ont choisi, à contrario de Théo, de demeurer à La Réunion : « mes parents, quand ils sont venus, ils m’ont encouragé à rester au Québec. Ils me disaient que tous mes amis qui sont restés sont toujours sans emploi, ils vivent chez leurs parents et ils sont caissiers chez McDo ». Théo envisage dès lors la possibilité de transposer son projet d’insertion professionnelle dans la société d’accueil, d’autant plus que la structure d’emploi laisse supposer une possible stabilité d’emploi, mais également une évolution de carrière en termes de changement de statut ascendant en lien avec son domaine d’études. Le discours négatif des parents sur un éventuel retour au pays est reçu par Théo comme une approbation de la transformation de son projet.

La perception d’un marché d’emploi favorable aux travailleurs est une des principales motivations évoquées par plusieurs autres participants dans leur volonté de repenser leur projet initial. Tel est le cas de Jean, dont le projet au départ de La Réunion reflétait les mêmes intentions que Théo, qui se dit « pourquoi ne pas rester au Québec? » en s’apercevant qu’il n’est pas exceptionnel de voir des appels à candidature affichés publiquement : « c’est vraiment pour le travail que j’ai changé d’avis. Conduire et voir : « ici, nous embauchons », c’est comme un rêve. À La Réunion, il n’y a rien, rien; alors qu’ici, si tu veux travailler, tu peux » (Jean). L’insertion sur le marché du travail aussitôt les études collégiales complétées constitue une étape importante que les jeunes étudiants Réunionnais mettent en contraste avec leur parcours avant la migration et la perception qu’ils ont du parcours de ceux qui ont fait le choix de retourner à La Réunion à l’obtention de leur DEC : « Oui, ils [les amis qui ont décidé de retourner à La Réunion après leur diplôme] travaillent, mais ce n’est pas le même statut professionnel. Moi, je connais du monde qui ont fait leurs études ici, ont payé tout pour être infirmier et sont retournés à La Réunion et travaillent dans une épicerie » (Gilles). À l’idée d’un retour au pays après la diplomation, il y a la crainte d’être à nouveau confronté à des périodes de chômage ou au devoir d’accepter des emplois sous-qualifiés. L’anticipation d’un tel scénario tient à l’appréhension du statu quo quant à leur position dans la structure sociale du pays d’origine, voire d’une perte de statut compte tenu de l’expérience professionnelle réelle ou à réaliser55 au Québec : « c’est sûr que je ne retournerai pas vivre à La Réunion. À la Réunion, je vais recommencer tout à zéro, tandis qu’ici, j’ai mon quotidien, j’ai mon travail et tout » (Monica). Idéalisée dans le contexte de leur environnement d’origine, la mobilité sociale à laquelle aspirent ces jeunes étudiants Réunionnais en intégrant la migration dans leur parcours s’avère être dans l’espace de migration une possibilité réelle.

La mobilité sociale n’est pas qu’une volonté individuelle. Pour plusieurs des participants, elle est aussi une ambition des parents : « pendant la formation, j’ai trouvé ça très difficile.

55 Pour certains des jeunes que nous avons interviewés, en effet, un emploi dans leur domaine d’études leur

était assuré alors même qu’ils n’avaient pas complété leur formation professionnelle. D’autres n’avaient pas la promesse formelle d’un emploi, cependant qu’à aucun moment dans leur récit, ils ne démontraient la possibilité de ne pas trouver d’emploi à la fin de leurs études. Nous entendons par « à réaliser » la conviction de ces jeunes d’être en emploi à la fin de leurs études.

Ma mère me disait : « tu vas réussir, faut pas lâcher - Oui, mais je veux rentrer à La Réunion! - Mais non, t’es bien là-bas, tu vas avoir un travail après. » Donc, oui, au début ma famille m’a incité à rester » (Gilles). La perception d’un marché de l’emploi favorable aux travailleurs, la concordance entre les compétences acquises et le statut professionnel visé ou l’expérience professionnelle vécue de manière très positive ne constituent pas chez plusieurs une motivation suffisante pour transformer le projet de migration pour formation professionnelle en une migration à long terme. L’influence qu’exercent les parents pour infléchir le parcours de vie de certains des participants est un élément crucial dans leur décision de moduler leur projet de migration. En ce sens, à titre de projet éducatif orienté vers l’insertion professionnelle, l’expérience de migration au Québec de ces jeunes étudiants Réunionnais doit être comprise comme une expérience partagée qui implique la famille, (Boutinet, 2015 : 212) et qui éprouve le projet.

1.2 Toujours une histoire d’amour

Le glissement du projet de migration temporaire vers un projet inscrit dans la durée trouve aussi sa justification dans les relations amoureuses. Ces relations impliquent généralement un partenaire Québécois et même si elles ne leur sont pas exclusives, ce sont les jeunes étudiantes Réunionnaises qui évoquent davantage la relation amoureuse comme élément déterminant dans la transformation du projet de départ. Le récit de Mylène est l’exemple type pour illustrer ce revirement de situation. Le projet de Mylène au départ de La Réunion présente les caractéristiques d’un projet de mobilité étudiante (section 2.1.2 du chapitre 6). Ne sachant que faire aux termes de ses études préuniversitaires à La Réunion, Mylène envisage la mobilité étudiante comme une opportunité de voyage, de découvertes culturelles. Son expérience de migration dans la ville d’accueil confirme sa volonté de retour vers La Réunion : « pour eux [mes amis Réunionnais], c’était sûr qu’ils restaient au Québec. Ils ne voulaient plus rien savoir de La Réunion, entre guillemets là, c’est ici qu’ils veulent vivre. Puis, moi, pendant longtemps, je disais : « Ben non! Moi, je veux retourner à La Réunion. Chez nous, c’est comme ça. Chez nous, c’est comme ci. » Tu sais, le truc de comparaison qu’on fait tout le temps au début ». Le froid, les habitudes alimentaires, les relations distantes avec les étudiants québécois, mais surtout l’éloignement de la famille font dire à Mylène que son expérience de migration au Québec n’ira pas au-delà du temps de l’expérience de formation professionnelle dans la ville d’accueil. Mais, la rencontre avec son amoureux

constitue pour Mylène une épreuve qui vient remettre en question la suite de son parcours. Au moment de l’entrevue, Mylène avait migré au Québec depuis plus de six ans et attribue en grande partie ce changement de parcours à sa relation amoureuse : «Si ne n’avais pas eu mon copain, est-ce que je serais restée après trois ans? Je ne sais pas. Parce qu’en fait, c’est sûr qu’il a beaucoup joué là-dedans. Ma vie se définit par lui! (Rire) Non… mais ça a beaucoup aidé ». Le projet de mobilité étudiante motivé par des découvertes culturelles et la possibilité d’explorer de nouveaux domaines d’études laisse place à un projet de vie au sens d’un projet sentimental et familial qui renvoie à un projet à plus long terme (Boutinet, 2015 : 87). Si l’expérience de migration dans sa globalité ne justifie pas un changement de projet dans sa finalité pour certains des jeunes étudiants Réunionnais, les relations amoureuses peuvent marquer grandement la durée de cette expérience de migration.