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3 La culture commune

Carte 2.2  : les tensions géopolitiques en Asie

4. Vers une nouvelle diplomatie frontalière

Au final, on peut dire que la tradition impériale et la culture chinoise chinoises sont autant des clés pour comprendre la politique frontalière chinoise que des alibis. Elles permettent de mettre en perspective une vision de l’espace et du politique différente des notions généralement retenues par l’Occident. Pour autant, les

1 JOYAUX, Géopolitique de l’extrême orient, op.cit. page 35.

2 Reste maintenant à savoir ce qui relève de négociations « d’égal à égal » aux yeux des communistes chinois…

dirigeants communistes se sont toujours prévalus d’une rupture d’avec la culture classique. L’argument parfois avancé par les Chinois que les négociations doivent se faire sans que les Chinois ne « perdent la face » est souvent un prétexte à des négociations biaisées et cet argument culturel est souvent un artefact utilisé pour arriver à ses fins lors de négociations.

On peut mettre en évidence trois facteurs pour expliquer la politique frontalière menée par Pékin.

D’abord, l’importance donnée à la question. Le litige frontalier est une donnée quasi permanente de la politique étrangère de Pékin. Ceci nous tend à croire que la politique étrangère chinoise est davantage motivée par des considérations de politique intérieure : constitution d’un glacis protecteur sur la frontière occidentale ou expérimentation de la politique « un pays, deux système » que ce soit à Hong Kong ou pour le projet de zone économique spéciale avec le Tadjikistan. Notons aussi à la suite de François Joyaux que « l’extraordinaire agitation frontalière de la RPC lui a probablement coûté plus qu’elle ne lui a rapporté »1.

Le litige frontalier et la délimitation des frontières semblent être davantage un outil diplomatique qu’un moyen d’étendre son territoire. Ceci est particulièrement frappant en ce qui concerne la relation sino-indienne ou dans les relations que Pékin entretient avec l’URSS ou les républiques issues de l’ancien bloc soviétique. Du reste, les conflits auxquels la Chine a pris part ces dernières années ne sont jamais liés aux questions frontalières. Pékin semble donc réactiver ou apaiser ces tensions latentes aux grés de ses besoins en politique intérieure. La question taiwanaise est extrêmement révélatrice de cet état de fait ou plus tôt les négociations menées avec l’administration coloniale de Hong Kong. On peut s’interroger sur la volonté que pourrait avoir la Chine à conserver des litiges qui seraient autant d’outils de pression sur ses voisins.

Enfin, dernier point qui nous semble majeur, la question des frontières dans la politique contemporaine chinoise est extrêmement importante car le nationalisme fut l’un des éléments structurant du communisme chinois. Il nous semble qu’avec la chute de l’URSS, le Parti a entamé une mutation vers un parti exclusivement (hormis la rhétorique _ et encore) nationaliste (même si le PCC ne se prétendra jamais

nationaliste ou fasciste). Voilà pourquoi la question des traités inégaux est toujours d’actualité dès que sont posées les questions frontalières.

Au regard de ces éléments, plusieurs question se posent quant à la politique étrangère de la Chine aujourd’hui. Quel est aujourd’hui le statut des frontières terrestres dans la nouvelle diplomatie que la Chine déploie sur un continent auquel elle a longtemps tourné le dos ? Quels sont les objectifs, les enjeux et les conséquences y compris sur le plan interne de l’intérêt que la Chine manifeste pour l’Asie centrale et l’Asie du sud ? Quelles sont les limites de la stratégie de rééquilibrage de sa politique régionale dans un contexte dominé par la permanence des enjeux stratégiques (Taiwan, péninsule coréenne) et l’exacerbation de la concurrence économique et commerciale ?

Il apparaît que la reconquête des « marches continentales » soit au cœur du dessein asiatique de la Chine. Sur le plan intérieur, trois objectifs guident la nouvelle diplomatie chinoise : garantir ses approvisionnements en énergie et en matière premières ; conquérir de nouveaux marchés ; développer les provinces chinoises enclavées. Sur le plan extérieur, la Chine reste marquée par un complexe d’encerclement. La Chine a, ainsi, créé avec ses voisins l’Organisation de Coopération de Shanghai (en 2001) qui lutte contre le terrorisme dans la région. Au-delà de ses frontières, la Chine essaie de développer sa profondeur stratégique pour contrer l’influence américaine. Cela se fait par un partenariat avec la Birmanie pour contrôler l’océan indien. Et aussi avec un partenariat avec le Pakistan (port de Gwadar) pour avoir accès au golfe persique (voir carte 2.2).

Ce dessein demeure contrarié par les paramètres géopolitiques propres à une région dont la Chine n’est pas le seul grand acteur. Les relations entre la Chine et ses voisins restent complexes. Les relations entre la Chine et la Russie ne sont ni une alliance militaire ni un pacte idéologique mais un agrégat d’intérêts communs reposant sur la promotion de la multipolarité et renvoyant à la relation que chacun entretient avec les Etats-Unis. Les rapports sino-indiens restent fragiles. Dans tous les cas, les relations de New Delhi avec la Chine seront toujours plus fragiles que celles avec la Russie. Enfin, les relations avec le Vietnam demeurent tendues du fait de la guerre en 1979, des rivalités économiques, de la querelle des îles Spratly et du problème d’approvisionnement d’eau pour le Vietnam (le Mékong prend sa source en Chine).

La disparité de ses voisins et la diversité de leurs objectifs empêchent la Chine d’imposer sa vision de l’Asie. Ainsi, si les différends commerciaux avec les grands pays (USA, Japon, Europe) sont susceptibles de trouver une solution vue l’ampleur des relations commerciales ; les relations avec les autres pays d’Asie (principalement d’Asie continentale) vont se compliquer car ces pays sont tous soumis au système des quotas. L’émigration chinoise dans les pays voisins peut être source de problèmes, car les entreprises chinoises préfèrent employer des Chinois. A quoi il faut ajouter l’augmentation des activités illicites qui sont gérées depuis la Chine. Enfin, les coopérations avec les provinces frontalières et les pays voisins sont très réduites. Car la gestion du développement en Chine se fait toujours de manière centralisée.

En somme, vu le contexte, la novelle politique frontalière chinoise n’est pas capable de remettre en cause l’orientation orientale de la diplomatie chinoise. Mais elle constitue un paramètre important dans la sécurité de la région.