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Etat Parti Communiste 

B. La logique politique de la réforme économique

2. Les institutions politiques chinoises

« Le génie de Deng Xiaoping, cependant, ne peut pas expliquer le succès des réformes chinoises ni leurs traits caractéristiques. »2 Deng a orienté l’économie dans une direction générale qui visait à plus d’ouverture, d’autonomie pour les agents économiques, plus de compétition et plus d’incitations matérielles. Mais les politiques spécifiques devaient être accomplies par des groupes de cadres du Parti et de membres du gouvernement. Assez tôt un certain nombre d’universitaires comme Lieberthal, Oksenberg3 ou encore Lampton4, avaient montré que la politique en Chine est un processus pluraliste caractérisé par un pouvoir fragmenté entre différents départements et échelons bureaucratiques. Dans la même perspective, l’objectif poursuivi ici sera de dépasser le constat d’un « autoritarisme fragmenté » et de spécifier les structures institutionnelles qui façonnent ce processus politique pluraliste. Comme tout agent central au cœur d’une organisation importante, le Parti communiste chinois ne dispose que d’une information imparfaite. Par conséquent le PCC délègue énormément auprès de la bureaucratie qui a une information plus spécialisée. En termes d’analyse économique des institutions, on peut donc dire que le Parti communiste chinois est le principal et que le gouvernement est l’agent. C’est la

1 SHIRK Susan, How China opened its door, op.cit. 2 SHIRK Susan, op.cit. page 12

3 LIEBERTHAL Kenneth & OKSENBERG Michel, Policy Making in China, Leaders Structures and Processes, Princeton, Princeton University Press, 1988.

domination politique du Parti communiste sur le gouvernement qui a rendu la réforme économique possible. Les dirigeants du Parti avaient le pouvoir de mettre la bureaucratie en action. Ainsi, à partir du moment où les chefs du Parti communiste chinois avaient décidé de faire de la réforme la ligne officielle, il était impossible pour qui que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du gouvernement de s’opposer ouvertement à la réforme. En décidant de remplacer des milliers de fonctionnaires non éduqués ou conservateurs, le Parti a éliminé les principaux obstacles à la mise en chantier de la réforme. Il faut garder à l’esprit que la plupart des vétérans du parti n’avaient fait que peu d’études et prenaient donc les décisions politiques souvent en fonction de leur instinct (disons leur expérience) politique. Avec la complexité des questions à traiter, à partir des années de réformes les vétérans du Parti vont déléguer de plus en plus la gestion de la réforme au gouvernement. La structure de la bureaucratie gouvernementale offre une représentation virtuelle, dans le sens où elle n’est pas élue, des différents groupes économiques. Les groupes économiques n’ont donc pas à pratiquer un lobbying extérieur au gouvernement (comme c’est le cas dans les démocraties occidentales) car leurs positions sont reflétées par leurs ministères de tutelle. Le Conseil d’Etat avait approximativement quinze ministères en charge de l’industrie lourde (dont le tiers était géré par l’Armée populaire de libération), mais seulement quelques-uns consacrés à l’agriculture et aux industries légères. Il semble que les cadres les plus capables et respectés étaient assignés aux industries lourdes1. Les crédits et les ressources étaient alloués en priorité aux industries lourdes. Ces industries lourdes « possédaient » leurs propres usines et les géraient elles-mêmes depuis Pékin. A l’inverse, les industries légères et textiles étaient sous la direction des gouvernements locaux et les fermes étaient possédées et gérées de manière collective.

a. la compétition pour le pouvoir

Dans un système démocratique, les incitations politiques sont en relation directes avec les élections : les hommes politiques font leurs choix politiques afin de gagner des voix sur leurs concurrents. Bien que les dirigeants chinois ne soient pas élus par le peuple, ils ne sont pas non plus des monarques absolus. Ils doivent rendre des comptes de leurs décisions. Mais la responsabilité politique des dirigeants dans un régime

autoritaire est plus élusive que dans un régime démocratique. Les règles officielles de sélection ne sont pas toujours respectées et les processus de sélection des dirigeants sont opaques. Les dirigeants du Parti communiste (le Secrétariat général, le Politburo et le comité permanent du Politburo) sont choisis par ce qu’on peut appeler un « collège »1. Ce « collège » correspond au Comité central, soit environ deux-cent membres. Ce comité est choisi parmi les deux mille membres du Congrès du Parti communiste (qui se réunit tous les cinq ans). Cependant, il ne faut pas voir dans ce processus une forme de protodémocratie dans la mesure où la règle légale n’est pas toujours appliquée car le pouvoir informel continue de jouer un rôle majeur dans la politique chinoise. Cette importance du pouvoir informel est bien plus importante en République populaire de Chine qu’elle ne l’était en URSS. Ainsi les membres influents du PCC (les vétérans du parti) continuent à participer aux décisions politiques et à prendre par au processus de sélection des cadres même s’ils ne sont plus membres du Comité central ou du Politburo.

b. la gestion des politiques publiques : la délégation par consensus

Le gouvernement chinois dirige par ce que Susan Shirk 2 appelle la « délégation par consensus ». Le Parti communiste chinois délègue auprès du Conseil d’Etat l’autorité de prendre des décisions économiques spéciales. Le Conseil d’Etat qui est au sommet de la hiérarchie du gouvernement délègue à leur subordonnés l’autorité de prendre des décisions selon leurs compétences. Ces agents parviennent à établir un consensus autour de la solution qu’ils proposent alors celle-ci est automatiquement ratifiée par l’échelon supérieur. Si un consensus n’arrive pas à être trouvé alors deux cas de figures se présentent. L’autorité de tutelle peut intervenir pour soutenir le projet (si celle-ci semble nécessaire), ou la question peut être ajournée faute de consensus. La délégation par consensus est pratiquée à tous les échelons de la hiérarchie : le Conseil d’Etat délègue aux commissions, les commissions délèguent aux ministères et aux provinces, qui délèguent aux villes et aux bureaux.

Or l’agenda de la réforme économique, qui impliquait une redistribution de l’autorité et des ressources entre les secteurs, les régions et les bureaucraties, représentait un

1 Les auteurs de langue anglaise utilisent souvent le terme de « selectorate », terme emprunté au système parlementaire britannique.

challenge de taille au gouvernement par consensus. En effet la politique du consensus ne permet que des changements incrémentaux car des changements radicaux dans l’allocation des ressources est rendu impossible puisque tous les agents doivent les accepter, perdants compris.

c. la version chinoise des institutions communistes

On peut se demander pourquoi la Chine a réussi à mener à bien sa réforme économique sans modifier sa structure politique alors que l’URSS en a été incapable. La réponse semble se trouver dans la différence entre les institutions chinoises et celles d’Union soviétique. Bien que les deux systèmes fussent structurellement très similaires, la version chinoise du communisme était moins centralisée et moins institutionnalisée. Le système chinois était bien plus flexible que son homologue soviétique. Cela peut s’expliquer par la construction historique de l’Etat moderne en Chine. Mais cette flexibilité tient aussi à des causes plus récentes. Le caractère plus décentralisé de l’économie et de l’administration chinoise est un héritage du maoïsme, notamment au cours des deux campagnes de masses que furent le Grand bond en avant (1958) et la révolution culturelle (1966-1969). Un des éléments fondamentaux de la stratégie politique de Mao était de jouer la carte des provinces contre le centre. Face à ces rivaux politiques qui tenaient les administrations du plan et les rouages du Parti, Mao encouragea les cadres des provinces à étendre la politique de décentralisation et à accroître leur représentation au sein du Comité central pour que leur voix pèse plus au sein du PCC. Pendant la période maoïste, les vagues de décentralisation administrative ont créé la possibilité d’utiliser les cadres provinciaux comme contrepoids face à un centre plus conservateur qui défendait un communisme plus orthodoxe de type stalinien. Inspiré par la stratégie de Mao, Deng a utilisé les provinces (qui voyaient dans la réforme un moyen d ‘augmenter leurs revenus et de gagner en autonomie). Gorbatchev, par exemple, ne disposait pas d’une telle marge de manœuvre. C’est sous la direction de Deng que les cadres de province devinrent le groupe le plus important du Comité central.

Le caractère faiblement institutionnalisé du Parti communiste chinois s’est révélé être un avantage pour Deng Xiaoping et ses alliés réformistes dans l’introduction des réformes économiques. Deng a pu aussi capitaliser sur son autorité informelle (comme vétéran de la Longue marche qui fut deux fois victime des purges maoïstes) et son

réseau de cadres qu’il a réhabilité à la fin de la révolution culturelle et qui seront de fervents avocats de la réforme. Ainsi en 1992, alors qu’il n’a plus aucun mandat officiel, sinon celui de président d’honneur de l’Association chinoise de bridge, Deng a réussi par sa seule autorité à relancer les réformes lors de son voyage dans les zones économiques spéciales du sud du pays1. Du fait de la nature plurielle des politiques économiques chinoises, Deng ne pouvait imposer une politique de réforme spécifique à la bureaucratie gouvernementale. Mais en manifestant son soutien à l’économie de marché et à l’ouverture économique, il orientait le processus politique dans cette direction.