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La pensée de Hu Jintao : la société d’harmonie

B à la direction actuelle

B. La pensée de Hu Jintao : la société d’harmonie

« Contrairement à Jiang Zemin à qui il a fallu plusieurs années pour mettre au point son concept des « Trois représentativités »_ l’apport théorique de la troisième génération dont il est officiellement le chef spirituel_ Hu Jintao a imposé sa ligne dès la deuxième année de son mandat présidentiel en 2004 »3. La nouvelle ligne qu’il choisit de définir s’inspire du modèle de ses trois mentors : Song Ping, Hu Yaobang et

1 SHEN Simon, op.cit.

2 Sur ce point voir chap.1 section2. III. « Le nationalisme nouvelle idéologie du régime ? » 3 ANDERSY, op.cit. page 19

Deng Xiaoping. En bon cadre du Parti, il n’a pas souhaité rompre avec ses prédécesseurs, mais bien montrer que ses références restaient avant tout communistes et chinoises. Ainsi, lors du cinquantième anniversaire de l’Assemblée nationale populaire le 15 septembre 2004, Hu déclarait que « l’histoire a prouvé que si la Chine suivait aveuglément le système politique occidental, elle s’engageait dans une impasse ; l’actuel système chinois est doté d’une forte vitalité et d’une grande supériorité »1. Le ton est donné, le président Hu (que l’on présentait avant sa prise de fonction comme un réformateur moderne du fait de son passé à la tête de la Ligue de la jeunesse communiste) n’a pas l’intention de suivre la voie d’un Gorbatchev, mais bien d’assurer la stabilité et la pérennité du Parti. Le concept de société d’harmonie est souvent présenté comme le cœur de la doctrine de Hu Jintao. Ce concept consiste en l’élimination des conflits et des contradictions au sein de la société. Cela suppose que le Parti communiste chinois joue le rôle de médiateur et d’arbitre entre les intérêts et les aspirations des groupes socio-économiques disparates. Le communiqué de presse à l’issu du VI° Plénum nous en donne un bon exemple : les autorités doivent « coordonner et réguler les relations d’intérêt entre les différents secteurs et gérer de manière appropriée les contradictions au sein de la société. » Il est à noter qu’on retrouve dans ce concept toute l’influence de Song Ping sur la doctrine politique de Hu2. En effet, L’idée de Song, selon laquelle la réduction des inégalités sociales doit être prioritaire au même titre que la croissance économique a été reprise par Hu pour élaborer le concept de société d’harmonie.

Le concept de « socialisme scientifique » va permettre à Hu de reléguer la pensée de Jiang Zemin aux « vieilles lunes » et servir de cadre à la politique de développement à partir d’octobre 2005. Ce concept est directement inspiré des travaux du théoricien de gauche Hu Angang. Malgré la fin du mouvement socialiste et communiste dans le monde, la Chine a les moyens de parvenir à son objectif socialiste à condition que le gouvernement soit efficace, dévoué et non-corrompu. Selon cette idée, la Chine pourrait de « manière scientifique » réduire les déséquilibres structurels et géographiques tout en maintenant le monopole du Parti communiste et une croissance

1 Xinhua

forte. Cette idée de « développement scientifique » va servir de pierre angulaire au XI° plan quinquennal (2006-2010) lancé en octobre 20051.

Comment Hu Jintao envisage-t-il de réaliser la société d’harmonie ? D’abord, il veut rationnaliser l’administration et l’appareil du Parti. Cela s’est traduit, par exemple, par une réduction du nombre de divisions administratives. Ensuite, cela passe par la création d’un système d’alerte (yujing 预警). Sur ce point il semble que la société d’harmonie soit un échec au regard de la gestion du tremblement de terre du Sichuan (2008). Mais le peu d’informations dont on dispose ne permet pas de conclure pour l’instant.

Mais, il ne faut pas être dupe, la société d’harmonie n’est qu’une formulation aux accents confucéens de la théorie de Jiang Zemin selon laquelle il faut « tuer dans l’œuf » tout mouvement de contestation. En cela, la création du système d’alerte (yujing) fait échos aux troubles nés suites aux catastrophes minières. Plus que la gestion des accidents de la circulation, ce système vise à stopper net tous les troubles sociaux potentiels. « La philosophie qui consiste à étouffer dans l’œuf les causes et les manifestations de phénomènes sociopolitiques non harmonieux est l’idée de ju’an siwei (居安思危 ou « veiller au danger dans la plénitude »)»2

Les crises en question vont de la dégradation de l’ordre public à la montée des prix ou la pénurie de matières premières. On voit ici à quel point l’économie est devenue un facteur légitimant essentiel pour le pouvoir.

Malgré les différences entre Hu et Jiang, Hu a fait sienne la théorie de Jiang de la triple représentativité, c’est-à-dire que seuls les citoyens instruits peuvent réaliser « la plus haute productivité et la culture la plus avancée » à la Chine, c’est-à-dire la fuguo bingqiang. Un exemple témoigne de cette orientation « la nomination mi-2007, de deux personnalités non membres du PCC aux postes de ministres du Conseil des affaires de l’Etat. Wan Gang, un expert en ingénierie industrielle devenu président d’université, fut nommé ministre des Sciences et technologies, et le professeur de

1 op.cit

2 Nous retranscrivons ici les termes en caractères chinois de l’article de Lam à cette différence près que l’article original présente les caractères sous forme non-simplifiée (Willy Wo-Lap Lam étant originaire de Hong Kong). Nous estimons que par soucis de cohérence avec les caractères chinois présents dans le corps de texte, il était préférable de les présenter sous forme simplifiée (celle du reste utilisée en République populaire de Chine).

médecine Chen Zu, ministre de la Santé. Wan est aussi le dirigeant de l’un des huit « partis démocratiques », organisations politiques fondées dans les années 1930 et 1940 puis cooptées par Mao dans les années 1950 »1.

Quand la quatrième génération arrive au pouvoir, de nombreux observateurs et militants des libertés civiles pensaient que la nouvelle équipe ferait évoluer le régime vers moins de dictature. En effet, Hu Jintao avait été le protégé de Hu Yaobang qui fut premier secrétaire du Parti dans les années 1980 et limogé pour ses positions trop libérales. De plus, en tant que président de la Ligue de la jeunesse communiste, il était à la tête d’une tendance plus progressiste au sein du Parti communiste chinois. Wen Jiabao avait été, lui, un proche collaborateur du Zhao Ziyang. Zhao s’était montré réceptif aux demandes des étudiants manifestant sur la place Tiananmen au printemps 1989. Il s’était rendu sur la place, les implorant de ne pas mettre leur vie en danger. Une photo le montre discutant avec les leaders étudiants, à côté de lui son collaborateur Wen Jiabao. Dès leur arrivée au pouvoir, les dirigeants de la quatrième génération s’engagent à renforcer le statut et à améliorer les droits des groupes défavorisés (paysans, ouvriers migrants). Or, la réalité est tout autre. La représentation de ces groupes (notamment au sein du Comité central) est négligeable. De même, les syndicats ouvriers et paysans non affiliés au Parti communiste chinois demeurent illégaux. Comme le fait remarquer Willy Wo-Lap Lam2, cela constitue certainement une erreur stratégique de la part du pouvoir car ces « associations d’ouvriers et de paysans pourraient au moins jouer le rôle de soupapes et devenir le canal par lequel les groupes les plus faibles (ruoshi tuanti) pourraient exprimer leurs griefs ».

Une des idées phare de Hu est officiellement de promouvoir la démocratie au sein du parti (dangmei minzhu). La version officielle est de promouvoir le principe d’harmonie au sein du Parti (dangnei hexie 党内和谐). Il faut voir ici l’influence de Hu Yaobang sur Hu Jintao. Dans un discours prononcé lors du XVII° Congrès, Hu se réfère au concept de « démocratie interne »3 énoncé par Hu Yaobang pour qui le dialogue entre dirigeants était indispensable, sans pour autant que l’autorité du Parti ne soit remise en cause. Pendant leur première année de mandat Hu et Wen ont pris un certain nombre de mesures dans ce sens. Deux exemples en attestent. D’abord, les réunions du Politburo sont rapportées dans les médias. Ensuite, Hu prononce son

1 LAM Willy, op.cit. 2 Ibid.

discours sur l’état du Parti sous la forme d’un rapport au Comité central. « Dans le contexte des rituels hiérarchiques du Parti, cela signifie désormais que le bureau politique rend des comptes au Comité central qui l’a élu lors du XVI° congrès. »1 Pourquoi Hu cherche-t-il à favoriser la démocratie au sein du Parti ? D’un point de vue rationnel, le Parti a tous les pouvoirs alors pourquoi irait-il céder une partie de celui-ci ? Il semble que cela ne relève pas d’un choix mais d’une évolution en fonction de la situation pour rester au pouvoir, autrement dit le rapport de forces a évolué. Premier élément qui pousse à l’assouplissement, la prise de conscience qu’un parti tout puissant peut être renversé du jour au lendemain. Les exemples du Parti communiste soviétique mais surtout de l’Indonésie de Suharto ont durablement marqué les esprits des dirigeants chinois. La conclusion fut donc que le Parti pouvait mourir et bien vite les dirigeants estimèrent que si le Parti ne modernisait pas son mode de gouvernance, il allait mourir. Le deuxième élément qui pousse à la modernisation fut les luttes au sein du Parti. On l’a vu, le Parti est en proie à de fortes luttes internes (qui se superposent partiellement) : lutte entre le centre et les provinces, d’une part, et lutte entre factions, d’autre part. Cette volonté d’instaurer de la démocratie nous semble être un moyen d’intégrer les conflits internes au Parti dans un cadre institutionnel, de contrôler (pour éviter que ces luttes, si elles deviennent trop dures, ne mettent en danger la survie du Parti). Dans cette optique, on peut reprendre l’idée d’Hannah Arendt pour qui la démocratie est le lieu du conflit dans la société. Le troisième élément qui explique cette tendance, c’est l’influence de l’international. Les avancées beaucoup plus radicales réalisées en matière de démocratisation par le Parti communiste vietnamien en 2006 ont mis Pékin sous pression. Un quatrième élément revient à dire que cela s’apparente à une manœuvre politique pour permettre à Hu de promouvoir ses protégés de la Ligue de la jeunesse communiste au sein de l’appareil du Parti.

Pour autant, peut-on en conclure qu’il s’agit là de la première étape vers une démocratisation du régime ? C’est bien sûr une éventualité que l’on ne peut exclure par principe. Cependant au regard des éléments dont nous disposons aujourd’hui, cela semble illusoire. « Tout laisse penser que la marge de manœuvre laissée aux cadres et aux membres ordinaires du Parti pour choisir leurs dirigeants demeurera limitée »2.

1 LAM Willy, op.cit. 2 LAM, op.cit.

On semble être plus dans un processus d’adaptation du Parti que dans un véritable changement de nature du régime.

Finalement, les objectifs de la société d’harmonie ne peuvent être atteints par quelques rares subventions envers les pauvres (il y a toujours 200 millions de Chinois qui vivent sous le seuil de pauvreté tel que défini par l’ONU). Le mode de croissance de la Chine, que le gouvernement reconnaît lui-même comme dur, est incompatible avec cet objectif. Pour limiter l’exploitation des faibles par les puissants (qui est l’objectif de la société d’harmonie), il faut une limitation du pouvoir des forts, la transparence des institutions et la reconnaissance des groupes représentant les plus défavorisés. Or, ce serait s’attaquer à deux des piliers du régime : la croissance comme objectif politique (voir dans ce chapitre I. section 1. III) et le monopôle du pouvoir (voir dans ce chapitre I. section 1. II)

Hu se trouve donc devant deux objectifs contradictoires. Chef du Parti, il doit le maintenir au pouvoir. Mais il ne doit pas changer le régime tout en admettant que le régime tel qu’il fonctionne aujourd’hui est confronté à un risque de crise sociale qui pourrait causer sa perte. Il doit donc ne pas toucher au système pour que le PCC conserve son monopôle politique et social, et dans le même temps, il doit faire évoluer profondément le système sans quoi une crise majeure chasserait les communistes du pouvoir. La société d’harmonie cherche la quadrature du cercle.

III. Le nationalisme : nouvelle idéologie du régime ?

L’idée qui sera développée dans les lignes qui vont suivre est la suivante : le moment clé, l’acte de naissance de la modernité politique en Chine ne se situe pas le 1° Octobre 1949 (date de la fondation de la République populaire) ou lors de la fondation du parti communiste à Shanghai en 1921, ni même le 10-10 (date de la fondation de la République de Chine en 1911). Selon nous, la modernité apparaît en Chine après la guerre de l’opium quand la problématique majeure devient alors : « 富 国 宾强 » [fuguo bingqiang] ce qui signifie « un Etat riche et une armée forte ». Les

termes du problème n’ont que peu (pas ?) changé1. « Pendant les 130 ans qui se sont écoulés depuis le Yangwu2, la Chine a tout essayé : modernisation des techniques en maintenant l’impératrice douairière et le système des examens avec Li Hongzhang et Zeng Guofan, tentative de modernisation de la dynastie avec la Nouvelle Politique (Xinzheng), inspirée de Meiji, réaction conservatrice, révolution bourgeoise, révolution prolétarienne » 3 . Le communisme chinois donc, avant d’être un mouvement léniniste-stalinien, est avant tout un nationalisme. Or, depuis la mort de Deng Xiaoping, les dirigeants communistes sont confrontés à un double problème : d’une part le communisme en tant qu’idéologie est une coquille vide, d’autre part avec la mort de Deng c’est la fin des dirigeants à légitimité historique forte (ceux qui ont fait la révolution). Le nationalisme va donc à la fin des années 1990 se présenter comme la solution presque naturelle pour assurer la légitimité du parti et combler le vide laissé par l’abandon de l’idéologie communiste. A bien des égards, c’est ce que nous essaierons de rappeler dans un premier temps, le régime chinois est un totalitarisme (post-totalitarisme ?) axé principalement sur le nationalisme. En somme, un régime qui s’apparente beaucoup à ce que nous pourrions appeler du fascisme (même s’il semble improbable que Pékin s’en réclame ouvertement). Puis nous essaierons d’expliquer comment le nationalisme est devenu l’idéologie majeure au début de la décennie. Enfin, nous tenterons de clarifier ce qu’est le nationalisme des principaux acteurs (Deng Xiaoping, Ziang Zemin, Zhu Rongji, l’équipe actuelle) en montrant l’influence des différents penseurs contemporains.