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Etat Parti Communiste 

C. Evaluer de manière objective la croissance permet de mieux comprendre la situation.

1. Que nous apprend le taux de croissance ?

Nous expliquerons dans les lignes qui suivent que le taux de croissance dans la Chine des réformes n’est pas un simple indicateur économique. C’est un indicateur, un révélateur de la pensée politique du régime, de la manière dont est pensé l’Etat. Aborder le taux de croissance comme variable unique est assez peu révélateur et ne nous donne que peu d’informations sur l’état réel de l’économie chinoise. La première corrélation qui doit être étudiée est celle entre le taux de chômage et le taux de croissance. On sait depuis la loi d’Okun que quand une économie connaît une période de croissance et atteint le plein emploi, une partie de la population active reste au chômage. C’est ce que l’on appelle le taux de chômage naturel. Une économie se trouve donc véritablement en situation de sous-emploi quand le taux de chômage réel dépasse le taux de chômage naturel. Pour des pays comme les Etats-Unis ou les pays d’Europe de l’Ouest, ce taux de chômage naturel s’établit sur le long terme autour de 5 à 6%. Il leur faut donc une croissance de l’ordre de 3% pour que le chômage n’augmente pas. Selon Cheng Xiaonong1, le taux de chômage naturel en Chine avant les années quatre-vingt dix semble être inférieur à 5%. A partir de la deuxième phase des réformes c’est-à-dire après 1992, il semble s’établir autour de 7 à 8%. Cela signifie qu’en dessous d’une croissance annuelle de 7% le chômage augmente et les entreprises deviennent déficitaires. Ceci est corrélé statistiquement. Depuis 1992, le taux de croissance est élevé et le taux de chômage reste élevé et ne diminue pas. C’est ce que nous montre le graphique 1.6.

1 CHENG Xiaonong « Comment évaluer l’état réel de l’économie chinoise ? » in Marie Holzman et Chen Yan, Ecrits édifiants et curieux sur la Chine du XXI° siècle, Paris, L’aube, 2003, page 84

graphique 1.6 évolutions des taux officiels de chômage urbain et de croissance 0 2 4 6 8 10 12 14 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 années %

taux de chômage urbain officiel

taux de croissance officiel

En effet, même si les statistiques officielles font état d’un taux de chômage à 3% à 4%, le chômage réel est bien plus élevé du fait notamment du phénomène des xiagang1, ces travailleurs qui perdent leur emploi mais qui sont toujours comptabilisés comme membre de leur entreprise. La première conclusion que l’on peut tirer c’est que la Chine a besoin d’un taux de croissance supérieur à 7% pour éviter une hausse du chômage là où une économie de marché comme les Etats-Unis n’a besoin que d’un taux de croissance de 3%.

La deuxième corrélation qu’il faut étudier c’est le taux de profit moyen des entreprises. La différence entre la première phase des réformes de 1978 à 1989 et la seconde phase, de 1992 à 2008, est que la seconde phase met en œuvre le passage à l’économie de marché alors que la première expérimentait le marché à côté de l’économie étatisée. Le marché n’était initialement qu’une béquille le temps de remettre en marche l’économie centralisée après avoir corrigé les dérives du maoïsme et surtout de la révolution culturelle. Depuis 1992, la politique des dirigeants chinois est l’abandon total du plan. Cette transition a renforcé la flexibilité des entreprises chinoises. Mais comme le rappelle Cheng2 « sur le long terme, il s’est formé un excédent dans la capacité de production qui a repoussé le seuil de rentabilité des entreprises bien au- delà du niveau normal. Ce phénomène d’ordre microéconomique s’est répercuté au niveau macroéconomique, à savoir qu’à long terme la capacité de production de nombreux secteurs est devenue excédentaire de façon chronique ». Ce qui lui fait dire

1 voir Paul ANDRE mémoire de DEA IEP de Lille 2003 2 CHENG, op.cit.

que dans de telles conditions, l’économie chinoise est structurellement en situation « d’équilibre périlleux ».

D’après l’office national des statistiques de Chine, le taux de chômage s’établirait autour de 3% et depuis quelques années il serait en hausse pour atteindre 4,1% cette année. Or, ces statistiques sont complètement déconnectées de la réalité. Il est difficile de donner une estimation d’ensemble du taux de chômage car les disparités régionales sont très importantes et à l’intérieur d’une même province les écarts entre ruraux et urbains sont très importants. Les estimations les plus sérieuses s’accordent pour établir le taux de chômage national entre 9 et 12%. Malgré ces estimations, si nous voulons étudier ce « plancher absolu » en dessous duquel la croissance chinoise n’apporte plus de richesse, il faut utiliser un autre indicateur. Le taux de profit moyen dans l’industrie peut nous renseigner. Comme l’explique Cheng1, on constate que les entreprises en monopôle d’Etat ont un taux de profit supérieur aux autres secteurs de l’économie. D’autre part, seuls les secteurs à forte compétitivité ont une rentabilité fortement liée aux variations de la demande sur le marché domestique. Alors quid de toutes les autres, l’écrasante majorité, des entreprises chinoises ? Comme le montre le tableau 1.2, le taux de profit moyen est en réalité assez bas.

                            1 ibid.

Tableau 1.2 : Variations du taux de profit moyen des branches compétitives du  secteur industriel chinois (%) 

Année Taux de croissance du PNB

Taux de croissance1 du PIB

Taux de profit des Branches compétitives2 1992 14,1 21,2 6,0 1994 12,6 18,9 1,8 1995 9,0 14,0 1,6 1996 9,8 12,5 1,1 1997 8,6 11,3 1,4 1998 7,8 8,9 1,2 1999 7,2 8,5 2,3 2000 8,3 9,9 3,4

Source : Cheng Xiaonong

Que nous apprend cet indicateur ? Si les entreprises chinoises veulent augmenter leur taux de profit, elles devront licencier massivement. Mais comme le chômage est déjà à un niveau élevé, ces restructurations vont conduire à une contraction de la demande domestique. Ceci conduirait l’économie au bord de la récession. Ainsi, la croissance chinoise est une croissance sans profit !