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Notre étude se bornera à la période allant de 1992 à 2008. La Chine moderne n’est pas dissociable de son histoire et on ne peut comprendre la situation actuelle si l’on mésestime l’importance du passé. Mais, il serait abusif d’essayer d’analyser la situation contemporaine avec une grille d’analyse qui appartiendrait au passé. Il convient donc de comprendre en quoi le passé détermine la situation politique contemporaine et les limites de ces déterminants historiques.

Pour comprendre la période étudiée, il nous faut aborder différents cadres historiques d’analyse (le terme « cadre » s’entend ici comme on cadrerait une photo). Cependant, il ne faut pas oublier que le politiste est engagé dans l’observation quotidienne

1 D’après SHEN Simon, Redefining Chinese Nationalism, New York, Palgrave MacMillan, 2007, page 37 mais modifié pour l’étude de la notion d’Etat.

  Conception contemporaine de l’Etat en République populaire de Chine    Ressort  communicationnel    Ressort idéologique   Ressort stratégique   Parti‐Etat    Intellectuels    Citoyens ordinaires 

d’évènements toujours plus nombreux et risque de n’avoir qu’une vision événementielle de l’histoire ; les arbres lui cachent souvent la forêt. Le facteur temps est souvent ignoré ; or ces influences réciproques que nous venons de mentionner demandent du temps pour se manifester.

Une perspective historique : il s’agit ici de la période historique au sens le plus large du terme. On peut considérer que la modernité en politique débute en Chine au cours de la seconde moitié du XIX° siècle. C’est à cette période que les Chinois vont réinterroger leur système de pensée traditionnel. Comme le souligne Anne Cheng « ce qui change avec les guerres de l’opium et l’ouverture des ports, c’est l’intrusion en force d’un Occident indéniablement plus puissant et plus riche. Ce qui contraint la Chine impériale à reconnaître non seulement l’existence mais aussi la supériorité d’un autre qu’elle et qui n’est plus réductible au statut traditionnel de barbare de la périphérie »1. C’est à cette période que le questionnement sur l’Etat est repensé. De cette période naît un double constat. D’une part, la nécessité de s’adapter à une modernité qui n’est plus chinoise mais occidentale. En ce sens, la formule de Feng Guifen2, reprise par Zhang Zhidong3 (Zhongti xiyong :« la sagesse/pensée chinoise

comme constitutive, le savoir occidental comme fonctionnel ») est représentative. En effet, cette formule représente tout à la fois la dernière tentative d’assimiler les cultures étrangères et ainsi de préserver le mythe de l’universalisme chinois. Mais elle représente aussi le fondement d’un mouvement politique contemporain qui nie les valeurs occidentales de liberté et de démocratie (asiatisme ou néo-confucianisme selon les auteurs) et qui ne voient dans la modernité venue d’occident qu’un aspect technique. D’autre part, c’est le second constat, c’est à cette époque qu’apparaît le questionnement sur l’identité chinoise. La formule de Feng Guifen n’est pas sans rappeler la formule japonaise du Wakon Kanzai, qui, dès le XI° siècle, tente de ménager une existence propre du Japon face à la Chine. L’un des pionner de l’occidentalisation du Japon, Sakuma Shôzan4 propose, du reste, une formule assez proche de celle de Feng guifen : Tôyô no dôtoku, seiyô no gakugei (« les valeurs morales et spirituelles de l’Orient, les compétences techniques de l’Occident »). La

1 CHENG Anne, conférence du 13 janvier 2003 : « Modernité et invention de la tradition chez les intellectuels chinois du XX° siècle », Paris, Université Paris V.

2 Feng Guifen (1809-1874) : penseur chinois de la fin de la dynastie Qing.

3 Zhang Zhidong (1837-1909) : homme politique et penseur chinois de la fin de la dynastie Qing. 4 Sakuma Shôzan (1811-1864) : homme politique et intellectuel japonais. Il fut l’un des plus ardents défenseurs de la modernisation de l’ère Meiji. Partisan de l’ouverture de son pays sur l’étranger, il est l’auteur de la formule : 和魂洋才 (l’éthique de l’Orient, la technique de l’Occident).

nation japonaise ne se définit plus alors face à la Chine mais face à l’Occident, ce qui explique qu’à cette époque le terme de Chûgoku (traduction japonaise de Zhongguo, le pays du milieu) devient Shina pour en contester la centralité et opérer un déplacement sur la notion d’Orient (Tôyô) dont le Japon deviendrait le centre implicite. La défaite traumatisante face au Japon en 1895 achève d’opérer ce changement dans la manière de penser le politique en Chine. Le politique ne peut plus se penser alors à partir de la centralité et de l’universalisme de la Chine.

Une perspective longue : Au-delà de ces tendances lourdes, la période contemporaine se comprend aussi comme une phase d’un développement historique : la République populaire de Chine qui débute en 1949. Il nous semblerait erroné de réduire la RPC et à plus forte raison le régime actuel à une assimilation au système maoïste. Les années de maoïsme ne furent qu’une période de l’histoire de la République populaire. Il convient donc d’établir ce que peut être considéré comme un élément persistant propre à chaque période. Mais, répétons le, le totalitarisme en Chine ne peut se réduire à Mao Zedong (même s’il en fut le point culminant). En effet, le Parti-Etat n’était pas moins totalitaire avant la période de délire utopiste du Grand timonier qu’il ne se démocratisa à sa mort. Ainsi, la nature totalitaire du régime dépasse la seule personne de Mao Zedong.

Pour répondre donc à la question de la nature du régime chinois contemporain, il faut donc essayer de définir le système qui existait avant la réforme. Et voir ce qui en reste aujourd’hui.

Une perspective courte : Le troisième plénum du 11° Comité central à la fin de l’année 1978 porte Deng Xiaoping au pouvoir. Cette date marque le début d’une période nouvelle dans l’histoire de la République populaire de Chine, période dans laquelle selon nous la Chine se trouve encore aujourd’hui. On assiste à cette époque à une libéralisation. Nous prenons ce terme de libéralisation dans le sens que lui donne Michel Bonnin1, à savoir « une autolimitation du champ où le pouvoir exerce son contrôle mais sans modification des structures de ce pouvoir ». Cette libéralisation s’est exprimée dans la sphère économique et privée. En revanche, elle fut nulle au

1 BONNIN Michel, conférence du 15 janvier 2003 « Comment définir le régime chinois aujourd’hui ? », Paris, Université Paris V.

niveau politique. 1978 marque plutôt un retour au système d’avant la période maoïste plutôt qu’un assouplissement du régime1.

Le choix de la période étudiée 1992-2008: C’est donc dans ce contexte historique que doit se comprendre la période contemporaine. Il nous semble que celle-ci débute à l’année 1992. C’est à cette date, en effet, que Deng Xiaoping, déjà malade, sort de son mutisme pour effectuer un voyage dans les zones économiques spéciales du sud du pays. C’est lors de cette tournée qu’il relancera le cycle des réformes économiques et qu’il lancera cette formule aux Chinois : « enrichissez-vous ! ». Dès lors, la ligne politique est claire : relancer le développement économique et ne rien changer au système politique au nom de la stabilité du pays (du régime s’entend). C’est à partir de 1992, que le régime communiste est de retour sur la scène internationale, d’abord d’un point de vue économique. Les investissements étrangers en Chine vont rompre l’isolement diplomatique né des sanctions à l’encontre de la Chine suite aux massacres de la place Tian’anmen au printemps 1989. Dans la mesure où la diplomatie chinoise est toujours tributaire de sa politique économique, nous pouvons considérer que cette période initiée en 1992, n’est pas achevée. Les impératifs de la rédaction nous ordonnaient de trouver une limite de fin. Nous avons fait le choix d’arrêter l’étude au printemps 2008. Un tel choix a toujours quelque chose d’artificiel. Cependant, le printemps 2008 nous a semblé opportun car c’est à cette date que, sous couvert de passage de la torche olympique, on assiste à des manifestations nationalistes et xénophobes en Chine. Or de telles manifestations illustrent la nature nationaliste du régime, nature que nous tenterons d’expliquer dans cette étude. Alors que certains voyaient dans les démonstrations deux ans plus tôt l’expression d’une peur face un à Japon soudainement redevenu impérialiste (comme ne cessait de le clamer la presse officielle chinoise). On voit aujourd’hui que les mêmes manifestations, les mêmes slogans sont utilisés face à la France. Le printemps 2008 montre de manière flagrante que, dans un pays où les manifestations politiques sont interdites à moins de servir le régime, les autorités communistes chinoises adoptent une attitude ouvertement nationaliste.

1 Voilà pourquoi on peut considérer que la période maoïste fut à bien des égards une « parenthèse » car elle n’a pas modifié les structures du pouvoir. Le système de terreur installé par Mao n’est pas propre à la révolution culturelle puisque dans une large mesure sa logique sous-tend toujours l’action du gouvernement.