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Etat Parti Communiste 

A. Les quatre modernisations

4. De l’usage du flou en politique

Le but de Deng Xiaoping est de reconstruire l’idéologie après l’épisode de la révolution culturelle. La pensée de Deng doit donc réconcilier deux extrêmes. D’une part elle doit recréer un corpus idéologique qui justifie la politique de réformes. De l’autre elle doit être suffisamment stricte pour préserver la dictature du Parti communiste. On peut suivre Chen Yan3 quand il estime que « lorsque la réalité entre en conflit avec l’idéologie Deng Xiaoping tente d’élargir le champ de l’idéologie pour l’adapter à la réalité. C’est peut-être une des grandes différences entre lui et Mao, qui

1 CHEN op.cit. page 62

2 DENG Xiaoping, « Développer d’un seul cœur l’économie nationale » in Textes choisis, vol.3, Beijing, Editions en Langues Etrangères, 1994, page 14.

obligerait à son époque la réalité à s’adapter à l’idéologie ». Mais au regard de la décennie, on constate vite que les réformes économiques sont systématiquement accompagnées soit d’une relecture de notions déjà existantes dans le marxisme mais qui n’étaient plus usitées ou qui vont être détournées de leur sens initial ; soit de notions nouvelles inventées pour l’occasion.

La principale innovation idéologique fut indubitablement la formule « construire le socialisme aux couleurs de la Chine ». On retrouve la formule pour la première fois lors de l’allocution d’ouverture du XII° congrès du PCC en septembre 1982. Cette formule marque que la pensée de Deng est désormais dominante mais que celle-ci ne s’embarrasse pas de précisions théoriques. Dominante, elle l’est et impose avec force deux des grandes idées politiques de Deng : les réformes économiques et la modernisation du pays. Ouverte, elle le demeure car jamais ces fameuses « couleurs » ne seront précisées de manière claire et finie. On trouve un autre bon exemple du pragmatisme de Deng dans un texte assez cours prononcé en avril 1983, « Edifier une civilisation socialiste sur le plan matériel et spirituel »1. Au-delà de l’exemple de

pragmatisme appliqué qu’il nous offre, ce texte est intéressant car on y trouve une manière dont le vocabulaire évolue. Ainsi le développement économique (fuguo) est traduit par le terme marxiste de « l’édification matérielle de la civilisation ». « Dans tout pays socialiste, un parti authentiquement marxiste doit nécessairement, après son ascension au pouvoir, se consacrer au développement des forces productives et, sur cette base, élever progressivement le niveau de vie du peuple. C’est là ce que nous appelons l’édification matérielle de la civilisation ». De même, on voit qu’il y a un glissement sémantique au terme de « l’édification spirituelle de la civilisation socialiste ». Ce terme était purement marxiste-maoïste pendant la révolution culturelle. Avec ce texte, Deng aborde un glissement vers le nationalisme tout en l’utilisant pour justifier les campagnes de rectification (voir plus loin) : « Parallèlement, il nous faut édifier spirituellement la civilisation socialiste. Cela signifie surtout que le peuple doit être animé de l’idéal communiste, faire preuve de haute moralité, posséder des connaissances culturelles et avoir le respect de la discipline. L’internationalisme et le patriotisme font aussi partie de la civilisation spirituelle socialiste. » Deux choses peuvent être retenues de ce bref passage. D’abord, il n’appartient pas au peuple mais au Parti de déterminer cet idéal ; c’est-à-dire quand le Parti décidera que l’idéal c’est

le communisme alors le peuple doit « être animé du communisme », mais si le Parti décide que l’idéal est nationaliste alors le peuple sera « animé du nationalisme ». D’autre part, on trouve ici les germes de l’asiatisme mais aussi de la société d’harmonie chère à Hu Jintao.

On assiste également à une évolution de la notion de socialisme. Pendant la décennie quatre-vingt la définition du socialisme en Chine se situe dans la droite ligne de la tradition de l’orthodoxie soviétique. Les statuts du PCC précisent en 1982 puis en 1987 que la société socialiste « était caractérisée par la propriété publique des moyens de production, la suppression de l’exploitation et l’application du principe « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » ». En 1992 les statuts du PCC intègrent le concept d’économie socialiste de marché et « [proposent] une définition du socialisme pratiquement dénuée de toute référence au marxisme-léninisme » 1: « le socialisme signifie essentiellement l’émancipation et le développement des forces productives, l’élimination de l’exploitation et de la polarisation et la réalisation ultime de la prospérité commune ». À partir de 1992 la boucle est bouclée. Comme le suggère Cabestan, cette définition est quasiment celle du principe du bien-être du peuple dans la théorie de Sun Yat-sen (minsheng). Désormais, le socialisme aux couleurs de la Chine (zhongguo tese de shehuizhuyi) ne se base plus sur la propriété des moyens de production et la planification. Le plan qui était un des piliers du socialisme disparaît du vocabulaire officiel. En 1992 Jiang Zemin, en officialisant la théorie de Deng Xiaoping, « annonce, de fait, la fin de la reconstruction de l’idéologie des réformes. Elle marque également la fin de l’ère de Deng »2. Deng avait toujours oscillé entre économie contrôlée par l’Etat et économie de marché. Ici, on l’a dit, l’économie d’Etat est abandonnée. Mais cette déclaration de 1992 va plus loin. Deng avait toujours maintenu un objectif socialiste et était un fervent patriote mais pas un nationaliste. Lors de son intervention du 26 juin 19833 Deng y fait une critique explicite du Triple démisme : « La soi-disant « réunification de la Chine dans l’esprit des trois principes du peuple » est une affirmation qui manque de réalisme ». On voit bien au travers de cette affirmation un aspect essentiel de la pensée politique de Deng sur l’Etat. Deng n’est pas un nationaliste mais un fervent patriote qui a lutté pour l’indépendance de son pays et y est extrêmement attaché. Mais il reste communiste ;

1 Cabestan 2 Chen page 67

3 Deng Xiaoping, « A propos de la réunification pacifique de la partie continentale de la Chine et de Taiwan » in Textes choisis, Editions en Langues Etrangères, Pékin, 1989.

un communisme certes paradoxal. On peut dire que le communisme de Deng est moyen de répondre au défi lancé par les modernisateurs du milieu du XIX° siècle. C’est en ce sens, selon nous, qu’il faut comprendre l’économie socialiste de marché. En vidant le concept de socialisme de son référent marxiste, les dirigeants chinois en font un synonyme du minsheng que le docteur Sun considérait comme l’aboutissement des trois principes fondamentaux du peuple. Dès lors le retour vers le nationalisme devient possible et celui-ci va devenir la seule idéologie en place1.

III. Une évolution de l’économie qui indique un changement