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Etat Parti Communiste 

A. Les quatre modernisations

1. La Constitution dans la pensée politique chinoise

En Chine, le droit constitutionnel est le résultat de l’influence occidentale qui a marqué les réformes légales à la fin du XIX° et au début du XX° siècle. La pensée constitutionnelle n’est pas un développement naturel des institutions légales chinoises. En fait, le questionnement constitutionnel n’arrive en Chine qu’à la fin de la dynastie Qing pour des raisons pratiques. La Chine, devant l’effondrement de l’empire, était menacée de morcèlement par les puissances occidentales (Japon, Russie, Grande Bretagne, France et Allemagne). Ayant eu à subir l’humiliation des traités inégaux, la Cour impériale estima que la puissance des Occidentaux résidait dans la nature de leurs institutions, c’est-à-dire leur gouvernement constitutionnel. C’est ainsi que les Chinois s’expliquaient les raisons des succès japonais : l’Empire du soleil levant avait adopté un système politique constitutionnel. La volonté de transformer l’empire autocratique en monarchie constitutionnelle ne se faisait pas comme en Grande Bretagne, par exemple, pour assurer les libertés fondamentales des citoyens mais dans une visée de puissance. L’organisation interne du pays est pensée afin de se positionner sur la scène internationale. Ce premier essai constitutionnel s’inscrivait dans le cadre d’un projet de neuf ans qui visait à réformer l’empire en profondeur. L’idée était de passer en l’espace de neuf ans d’un empire autocratique, tel que la Chine le connaissait à la fin de la dynastie Qing, à une monarchie constitutionnelle. Mais ce programme de réformes graduelles ne fut jamais mené à terme car les révolutionnaires n’avaient ni le temps, ni la patience pour une réforme de l’empire. En août 1911, la révolution dirigée par le docteur Sun Yat-sen1 renversait l’Empire et s’étendait bientôt à l’ensemble de la nation. Un dernier effort fut bien tenté pour sauver l’empire : la Constitution dite des Dix-neuf articles (Zhongda xintiao shijiu tiao) prévoyait l’établissement d’un système de cabinet responsable devant le

1 Précisons, cependant, que Sun n’était pas présent lors du soulèvement de Wuhan et que ce sont les insurgés qui le reconnurent comme leur chef. Sur ce point voir BERGERE Marie-Claire, Sun Yat-sen, Paris, Fayard, 1994.

Parlement. Mais, cette dernière tentative arrive trop tard et fut vaine, l’empire avait vécu.

La Chine présente une particularité en matière constitutionnelle en ceci qu’elle choisit dès l’origine un régime républicain, chose plutôt rare à l’époque. En effet, avant 1914 les pays occidentaux ne connaissent véritablement que trois république : la Suisse, les Etats-Unis et la France.

La jeune république établit un plan général pour l’organisation du gouvernement provisoire (Linshi zhengfu zhuzhi dagang). Ce plan prévoyait d’établir un régime présidentiel sur le modèle américain. Cependant, les révolutionnaires avaient dû passer une alliance de circonstance avec le maréchal Yuan Shikai. Sun dut s’effacer devant lui pour le poste de président. C’est la raison pour laquelle la Constitution provisoire (Linshi yuefa) du 11 mars 1912 changea le régime présidentiel initialement prévu en un régime parlementaire et ce, pour limiter l’appétit de pouvoir et la tentation dictatoriale de Yuan. Ces craintes étaient fondées car Yuan ne tarda pas à restaurer l’empire et se faire proclamer « fils du ciel »initiant ainsi une dynastie qui allait durer quatre-vingt-trois jours. Il est intéressant de noter que la période qui s’ouvre en 1916, à la mort de Yuan, structure d’une certaine manière aujourd’hui encore la réflexion sur la notion d’Etat en Chine.

La première raison en est qu’à la mort de Yuan s’ouvre une période d’instabilité connue sous le nom de période des « seigneurs de la guerre ». Sans entrer dans le détail de ces luttes, on peut retenir qu’à cette période le pays n’est plus réellement unifié tout en gardant un gouvernement officiel qui n’est présent que dans les chancelleries et dont l’autorité est nulle dans les zones contrôlées par les différents seigneurs de la guerre. (La raison de ce dualisme étant que le conflit s’organise selon une double logique : au niveau du gouvernement central, la lutte oppose le président et son premier ministre et chacun est soutenu par différents seigneurs de la guerre. Au niveau local, les provinces déclarèrent leur indépendance les unes après les autres et tantôt s’affrontèrent tantôt s’allièrent au gré des changements de situation. Chacune de ces provinces établit donc sa propre Constitution.) La Chine sombra donc dans une sorte de féodalisme militaire. Cependant, le climat politique changea car chaque seigneur de la guerre cherchait à légitimer sont autorité par la Constitution. Le gouvernement proposa alors une nouvelle Constitution (Zhonghua minguo xianfa_ littéralement : Constitution de la nation chinoise) qui était d’un point de vue juridique bien agencée et instaura un régime de type fédéral. Cette Constitution fut

immédiatement dénoncée partout dans le pays et resta connue sous le nom de Constitution de la corruption. En effet, les voix des parlementaires furent achetées pour qu’ils votent le texte. Cette Constitution ne fut jamais appliquée dans les faits. Il n’en demeure pas moins que cette période marqua les esprits. Premièrement parce que le fédéralisme, qui aurait pu être une forme d’organisation étatique assez pratique pour assurer une bonne gouvernance et qui n’était pas si éloigné dans une certaine mesure de l’administration impériale, fut irrémédiablement associé à la corruption et à un mode de gouvernance archaïque. Cet archaïsme supposé du système fédéral est dû, pour partie, à l’influence de la pensée nationaliste et républicaine de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, pensée qui va structurer la pensée politique moderne en Chine. Les opposants au régime mandchou posent tous comme principe au cœur de leur pensée politique le régime unitaire, principalement au travers du mouvement de « Renaissance chinoise ». Tant Liang Qichao que les membres de la ligue jurée défendent l’idée d’un régime unitaire et centralisé.

Le fédéralisme va être d’autant plus critiqué après la « réunification » du pays par le Guomindang (KMT) suite à l’ « expédition du nord ». Le pays est alors partiellement unifié sous une bannière, celle du KMT. Or le Guomindang instaure comme idéologie officielle la pensée de Sun-Yat-sen : le triple démisme ou trois principes du peuple. Le premier de ces principes, la pierre angulaire de la pensée de Sun, était le nationalisme. C’est la deuxième raison du rejet du fédéralisme. Le fédéralisme dans la pensée nationaliste chinoise est incompatible avec le premier principe suniste de minzuzhuyi (nationalisme).

La Constitution du régime nationaliste est intéressante et riche d’enseignements à plusieurs titres. Tout d’abord, parce que le Guomindang est en 1927 un parti léniniste. Cela s’explique par l’évolution de la pensée de Sun1 et le fait que chef du KMT fut Jiang Jieshi (Tchang Kai-shek) qui a été formé à Moscou sur le modèle de l’armée rouge. On peut suivre J. Chen2 quand il estime que le Guomindang, influencé par l’expérience soviétique, a lui aussi placé le Parti au dessus de l’Etat. D’autre part, rappelons que le Parti communiste chinois a soutenu le KMT quand celui-ci a instauré cette Constitution. En effet, dans la lutte qui les opposait aux seigneurs de la guerre, communistes et nationalistes s’unissent pour mettre fin à cette situation de féodalisme

1 Le troisième principe du peuple fait qu’à la fin de sa vie Sun semble être assez proche du marxisme. Voir BERGERE M.C. op.cit.

militaire. A travers cette alliance, les communistes reconnaissent faire leurs les trois principes du peuple et les cinq idées constitutionnelles de Sun Yat-sen.

La Constitution de 1927 est donc intéressante à plusieurs titres. On peut dire qu’elle présente un lien de parenté avec les Constitutions de la République populaire de Chine dans la mesure où elle est d’inspiration léniniste. Le préambule de la Constitution stipule :

« Le parti nationaliste de Chine (Guomindang), afin d’établir la République de Chine d’après les Trois principes du peuple et les cinq pouvoirs constitutionnels qui forment les principes sous- jacents de la révolution, ayant vaincu militairement toute opposition et ayant amené la révolution de la période militaire à la période de tutelle politique, juge nécessaire de construire une structure pour la Constitution des cinq pouvoirs afin de développer la capacité du peuple à exercer un pouvoir politique, de cette manière le gouvernement constitutionnel pourra bientôt exister et le pouvoir politique pourra être rendu au peuple. »

Avec la victoire des communistes en 1949, la Chine se dote d’une nouvelle Constitution. Sans entrer dans le détail de chacune des différentes Constitutions qu’a connues la République populaire, quelques remarques s’imposent. Tout d’abord, Mao Zedong a lui-même reconnu que la Constitution établie par le nouveau régime quand celui-ci arrive au pouvoir n’est pas de nature socialiste1. D’autre part, le modèle

soviétique, initialement adopté, fut ensuite modifié selon les besoins politiques. Ceci révèle une approche fondamentalement utilitariste du droit2.

2. La Constitution de 1982

a. les modifications constitutionnelles

La Constitution chinoise a été amendée quatre fois depuis son adoption en 1982 : en 1988, 1993 et 2004. Les amendements de 1988, 1993 et 1999 traduisent l’évolution du concept de socialisme. En ce sens, la révision constitutionnelle de 1999 révèle le consensus au sein de la direction du Parti communiste chinois sur la nature du « socialisme aux caractéristiques chinoises » et sur la plus grande protection accordée aux « pratiques économiques capitalistes ».

1 MAO Zedong, « Du nouveau constitutionnalisme démocratique » cité par ZHAO Zhenjiang (dir.) Quarante ans de système légal en Chine (Zhongguo fazhi sishinian) Pékin, Beijing University Press, 1989.

La Constitution de 1982 traduit donc la vision qu’a le Parti communiste du régime. L’article 18 fournit une base constitutionnelle formelle aux investissements étrangers à leur protection. L’article 11 autorise le développement, dans les limites prescrites par la loi, de l’économie individuelle en tant que complément de l’économie socialiste. L’article 10, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle de la RPC, définit la propriété foncière.

La révision constitutionnelle de 1993 fut l’une des plus significatives sur le plan idéologique. Suite à l’adoption lors du XIV° Congrès du Parti communiste chinois de la « notion d’économie socialiste de marché » en 1992, les termes « économie socialiste de marché » remplacent ceux d’ « économie planifiée », et les expressions « économie appartenant à l’Etat » (guoyou) ou « entreprises appartenant à l’Etat » remplacent « économie gérée par l’Etat » (guoying). Les dispositions relatives à la planification étatique sont supprimées et remplacées par d’autres qui demandent à l’Etat de renforcer la législation économique et le contrôle macro-économique.

La dernière révision constitutionnelle donne à penser que le régime a une certaine confiance dans la version du socialisme tel qu’il est défini aujourd’hui. La dernière révision est juste la mise en œuvre du Parti adoptée lors du XVI° Congrès du Parti communiste chinois en 2002. Les divers amendements peuvent être divisés en cinq catégories : « l’adoption d’un nouveau principe directeur ; une reconnaissance explicite des droits de l’homme ; une meilleure protection de la propriété privée ; une nouvelle approche plus civile de l’état d’urgence ; et certaines révisions d’ordre technique »1.

b. le contenu de la Constitution

On peut mettre en exergue plusieurs grands principes constitutionnels.

Le premier principe constitutionnel marquant se retrouve dès le préambule de la loi fondamentale. La Constitution a intégré la doctrine politique du Parti communiste chinois. Cela s’est d’abord traduit par les « quatre principes fondamentaux » de Deng Xiaoping. Puis la Constitution a récemment intégré en son sein la théorie des « trois représentations » de Jiang Zemin. Comme le rappelle Cabestan2, « certains juristes

1 CHEN Jiafu, op.cit.

2 CABESTAN Jean-Pierre, Le système politique de la République populaire de Chine, Paris, PUF, 1994, page 279.

chinois ont mis en cause la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution. Mais les autorités de Pékin ont toujours refusé de détacher cette introduction du corps de la loi fondamentale. Seule allusion faite au rôle dirigeant du Parti, ce passage détermine néanmoins le fonctionnement réel des institutions. »

Le centralisme démocratique et le système des assemblées populaires. Il s’agit d’un principe d’organisation essentiel de tous les partis léninistes. Depuis les premières années du régime, le centralisme démocratique est également devenu un principe constitutionnel. Si le concept était déjà présent dans les Constitutions précédentes, on peut dire que la Constitution de 1982 insiste plus largement sur ce principe d’assemblées populaires.

« Article 3 : les organes de la République populaire de Chine appliquent le principe de centralisme démocratique ;

L’Assemblée nationale populaire et les assemblées populaires locales aux différents échelons sont élues démocratiquement. Elles sont responsables devant le peuple et se soumettent à son contrôle. Tous les organes administratifs, les organes judiciaires et les parquets qui émanent des assemblées populaires, sont responsables devant ces dernières et se soumettent à leur contrôle. La répartition des attributions entre les organismes d’Etat de l’autorité centrale et ceux des autorités locales se fait conformément au principe qui consiste à mettre pleinement en jeu l’initiative et le dynamisme des pouvoirs locaux, tout en maintenant la direction unique du pouvoir central. »

On voit dans cet article la contradiction fondamentale du système politique chinois actuel. Dans la forme, la République populaire de Chine est un régime parlementaire puisque les assemblées sont souveraines. Mais dans le fond (et les faits) deux idées privent ces mêmes assemblées de tout pouvoir réel. En effet, la notion de centralisme démocratique (comprise par les autorités chinoises dans son acception lénino- stalinienne) ainsi que celle de « direction unique du pouvoir central » (zhongyang de tongyi lingdao) sont incompatibles avec l’idée de pouvoir parlementaire.

Le troisième principe constitutionnel qu’on peut mettre en avant est celui d’une Chine Etat unitaire et multi-ethnique. En vertu de sa Constitution, la Chine applique une politique des «nationalités » (proche des politiques des « nationalités » staliniennes) qui feint d’accorder à celles-ci une autonomie politique. Pourtant à regarder l’article 4 de la Constitution de près, on voit que celle-ci n’accorde aucune autonomie de caractère politique aux minorités. La seule autonomie reconnue (rarement appliquée)

est de nature uniquement économique, culturelle et tout au plus administrative. Ainsi, même constitutionnellement, l’autonomie accordée aux régions de minorités est très limitée. Ceci pose, on le verra, un problème avec Taiwan. Pékin ne peut pas appliquer le principe « un pays, deux systèmes » si Taiwan ne s’estime plus chinoise (tendance qu’on retrouve dans la « taiwanisation » de la société au cours des années quatre-vingt dix et deux mille). Il y aurait alors une contradiction entre ce qui est prôné pour les minorités et ce qui serait (dans le cas, peu vraisemblable, où Taiwan accepterait ce plan) appliqué pour Taiwan.

Le front patriotique est un autre principe constitutionnel majeur. Il faut rappeler que la politique de front uni n’a jamais été formellement abandonnée. Mais il apparaît que la Constitution y accorde aujourd’hui plus d’importance qu’hier. D’après le préambule de la Constitution :

« Durant les longues années de notre révolution et de notre édification, un large front uni patriotique s’est formé, dirigé par le Parti communiste et auquel ont participé tous les partis et groupements démocratiques et toutes les organisations populaires, y compris tous les travailleurs socialistes et tous les patriotes, partisans du socialisme et de la réunification de la patrie. Ce front uni continuera à se consolider et à se développer. »

Il convient de relever que le front uni est plus consensuel1. Le front uni est aujourd’hui devenu « patriotique ». On voit ici que la logique nationaliste s’exprime dans la Constitution au travers de concepts. Le but affiché du front est désormais, non plus l’édification du socialisme, mais de réaliser deux objectifs essentiels : la réunification du pays (après le retour de Hong Kong et Macao sous souveraineté chinoise, reste à récupérer Taiwan) et la modernisation du pays. On voit bien ici que la logique marxiste a été abandonnée et s’y substitue le cadre intellectuel du fuguo bing qiang.