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3 La culture commune

Carte 2.1   L’espace chinois 

Source : François Joyaux, Géopolitique de L’extrême Orient, op.cit. p92. 

De la même manière, « à la fin des années 1990, les dirigeants chinois poussent des cris d’alarme contre la « corrosion » et la « pollution spirituelle » venues d’Occident, en rappelant la vertu des valeurs… chinoises.

La périphérie asiatique est néanmoins utile à la puissance chinoise, surtout si l’on y trouve des descendants de chinois. Une Asie élargie, comme l’entendent les Européens, qui intégrerait l’Inde, l’autre puissance, un autre monde, est difficilement

Territoires de peuplement Han    Territoires peuplement allogène    Territoire occupés par la Russsie à la suite des  « traités inégaux »  « Territoires perdus » énumérées par Sun Yat‐sen  (voir texte)  Limite maritime revendiqué par la RPC 

pensable. Pour le moment [aujourd’hui encore] l’asiatisme fait l’affaire des dirigeants chinois dans la mesure où il met à distance l’Amérique et la Russie. »1

C. L’évolution récente.

L’arrivée des communistes au pouvoir en 1949 marque indéniablement une rupture dans la mesure où le PCC cherche à faire « table rase » de la tradition chinoise. La politique frontalière des débuts de la RPC (jusqu’en 1978) n’est pas seulement iconoclaste. En effet, la Chine ne peut penser la question des frontières sans prendre en compte la bipolarité instaurée par la guerre froide. Influencée par la pensée soviétique, la politique frontalière de la RPC jusqu’en 1978 est aussi largement influencée par des conceptions géopolitiques. Cet aspect sera développé plus longuement dans la section 2 de ce même chapitre.

Il est évident que si l’histoire, la culture jouent un rôle éclairant pour comprendre le concept de frontière dans la pensée politique chinoise contemporaine, ces facteurs ne sauraient être suffisant. Comme le rappelle Cabestan en introduction à l’ouvrage qu’il a consacré au système politique chinois, « on ne peut nier que la culture chinoise, longtemps refermée sur elle-même, possède une spécificité peut-être beaucoup plus affirmée que de nombreuses civilisations plus ouvertes ou plus poreuses aux influences extérieures. Mais pour le politiste, la difficulté n’est pas tant d’accepter cette réalité. Elle est d’une part de tenter de définir cette spécificité culturelle. […] La difficulté est, d’autre part, de mesurer en quoi cette spécificité culturelle influence le politique. Dans quelle mesure la culture chinoise façonne-t-elle les structures et détermine-t-elle le fonctionnement du système politique ? Pèse-t-elle d’un tel poids sur les acteurs politique qu’elle les amène immanquablement à adopter des comportements particuliers, que l’on pourrait qualifier de « chinois » ? »2 On peut suivre Cabestan en disant que deux thèses s’opposent : celle du culturalisme et celle du tout-politique. Au final, « les structures politiques ne possèdent pas a priori un caractère culturel particulier et peuvent se retrouver dans des pays très différents (par exemple l’URSS, Chine, Cuba pour les systèmes communistes), les hommes qui les

1 Ibid.

2 CABESTAN Jean-Pierre, Le système politique de la République Populaire de Chine, Paris, PUF, 1994, page 41.

habitent ne sont pas totalement schizophrènes, l’homme politique est aussi un être social pris en tenaille entre les impératifs du système politique dans lequel il agit et les contraintes de la société dans laquelle il vit. Tout en reconnaissant le primat du politique dès lors qu’il s’agit d’analyser un système politique, l’on peut tout de même partir de l’hypothèse que ce système peut prendre et les comportements que les acteurs de ce système adoptent. »1 Il nous semble, cependant, que l’approche culturaliste doit être abordée avec précaution car elle mène bien souvent à ce que Cabestan appelle « l’écueil de l’exotisme » c’est-à-dire une « fascination pour l’altérité de la Chine, soit que ce pays fût un modèle de sagesse ou de justice, le miroir utopique d’un Empire gouverné par les philosophes […]. »2

La culture chinoise pour être importante n’est pas déterminante. Autrement dit, il serait abusif de penser que la République Populaire de Chine cherche à revenir à un statu quo ante ce qui relèverait de l’utopie. Tout comme il serait réducteur de limiter la définition du concept de frontière dans la pensée politique chinoise contemporaine à l’opposition « sinisé/ barbare ». Pourtant, la question posée par François Joyaux3 en

1994 semble aujourd’hui encore toujours d’actualité : « Pourquoi la Chine admet-elle si difficilement ses frontières ? »

Que reste-t-il aujourd’hui de cette conception classique ? On peut dire que la principale marque de cet héritage est le fait que la Chine a du mal à délimiter ses frontières. Elle a du mal à intégrer sa conception classique dans le système westphalien des Etats-nations qui sert de référence au droit international. Cette difficulté à définir clairement et de manière négociée ses frontières vient aussi du fait que « les frontières de la Chine contemporaine résultaient toutes de traités qui lui avaient été imposées par les puissances coloniales dans la seconde moitié du XIX° siècle, c’est-à-dire de traités que depuis 1912, la République chinoise, puis à sa suite, la République populaire avaient considérés comme « inégaux » et par conséquent comme « illégaux »4. On voit bien que le nationalisme est un courant fort et transversal qui va structurer toute la pensée et l’action politique du XX° siècle à nos jours (bref de la Chine moderne). « Depuis que la République existe, tous les gouvernements s’étaient invariablement attachés à oblitérer la semi-colonisation que

1 Ibid.

2 CABESTAN op.cit. page 40. Cabestan note que ce travers s’il est ancien (de Marco Polo à Leibniz) perdure dans la vision qu’ont certains hommes politiques ou commentateurs de l’Asie.

3 JOYAUX François, Géopolitique de l’Extrême-Orient, tome II, page 11. 4 Ibid, page 11.

le pays avait été contraint d’endurer et, par conséquent, à en faire disparaître les traces les plus outrageantes. Les traités frontaliers figurent parmi celles-ci. Il est essentiel de comprendre que pour la Chine contemporaine, la dignité de son statut international passait par leur remise en cause systématique. »1 On l’a dit, la Chine communiste (mais c’était aussi vrai du temps du régime du KMT) ne cherche pas à revenir à un statut impérial (elle n’en a pas les moyens de toute façon). Il n’y a pas de glorification de la période impériale. La République populaire de Chine partage ceci en commun avec la jeune république de Chine à laquelle elle a succédé que toutes deux ont horreur de l’héritage impérial. Ceci étant, cette Chine impériale jouait en Asie le rôle de ce que nous appellerions aujourd’hui une superpuissance2. La Chine impériale (s’entend, celle d’avant les guerres de l’opium) réalise deux objectifs du nationalisme chinois : indépendance (et rayonnement international) et développement (qui procure les moyens matériels de ce rayonnement). Ces deux facteurs assurent le rayonnement de la Chine. Or, comme le rappelle Joyaux, à cette époque « ses frontières n’étaient pas tant comprises comme les limites précises de la souveraineté de l’Etat que comme des zones de contact et de rayonnement vers l’extérieur, c’est-à-dire, au total, les voies par lesquelles la Chine exerçait son magister »3. Depuis soixante ans la politique étrangère chinoise est intimement liée à ces problèmes frontaliers.

1. La politique frontalière actuelle

Le dédain traditionnel de la Chine pour le droit international est renforcé de nos jours par l’autoritarisme dictatorial du parti unique. La Chine oppose la théorie des frontières historiques au règlement par un organe arbitral ou juridictionnel, communément admis sur le plan international. En 1954, les autorités de la RPC publient une carte montrant que les véritables frontières de la Chine sont celles de l’empire avant la guerre de l’opium (1840). En 1960 le traité frontalier qu’elle passe avec la Birmanie révèle néanmoins qu’elle sait se montrer accommodante. Fondant son avenir par un regard sur le passé, dénonçant le dépeçage des traités inégaux, elle veut une restauration et non une annexion. Selon cette logique, la conquête d’espaces non sinisés n’intéresse pas la Chine. Mais cette dialectique n’est pas perçue et vécue

1 Ibid. 2 Ibid.

de la même façon par des populations comme les Tibétains ou les Ouïghours. Elle explique aussi difficilement le conflit en mer de Chine du sud à propos des îles Spratley et Pescadores. En fonction de ces principes, la RPC tend à déterminer ses frontières de façon unilatérale ; pragmatique elle sait faire la part des choses et peut négocier bilatéralement surtout depuis 1990, mais presque jamais multilatéralement.

2. Les frontières occidentales de la Chine.

a. le Tibet : les raisons d’une invasion

C’est tout d’abord une question de prestige national. Cela est directement lié aux théories de la pensée Mao Zedong. Mais aussi car le communisme chinois est principalement un nationalisme, une idéologie de la libération. La seconde raison qui motive cette invasion c’est la rupture avec la Russie de Khrouchtchev et la menace d’une alliance russo-indienne. Troisième raison, la tradition impériale de colonisation comme ce fut le cas un siècle plus tôt en Mandchourie ou au Yunnan.

Notons que si aujourd’hui l’idéologie nationaliste se marie assez bien avec l’idée d’un Tibet autonome1, reste un problème important : la nouvelle carte du Tibet. En effet, un tiers du Tibet traditionnel se trouve aujourd’hui incorporé dans des provinces chinoises limitrophes. Ce point est intéressant car il montre une caractéristique importante de la notion d’Etat dans la pensée chinoise (et c’est une donnée longue) : il s’agit de cette conception de « colonisation passive » des marches de l’empire. D’une certaine manière, l’annexion du Tibet et l’acharnement contre Taiwan ou la hargne pour récupérer Hong Kong la britannique ou Macao la lusitanienne ne sont que des conséquences de l’entrée de la Chine dans un schéma de pensée de relations internationales occidentales c’est-à-dire tracer une frontière. Dans un monde post seconde guerre mondiale, une telle conception (s’entend la conception classique qui fait fi des frontières au sens occidental du terme) n’est plus possible d’où l’obsession des frontières et les nombreux conflits qui en ont découlé.

b. la frontière sino-soviétique

La frontière sino-soviétique est longue de 6 640 km, et séparée par la Mongolie en deux sections : occidentale de 3 680km et orientale de 2 960km. C’est avec la Russie tsariste, donc un colonisateur blanc européen que l’empire chinois dut passer une série de traités pour tracer la frontière dans ses sections orientales (1689, 1727, 1858, 1860) et occidentale (1879, 1881, 1884, 1894). La plupart d’entre eux sont considérés comme inégaux. 1,5 million de km² sont contestés. Un grand tournant s’opère au début des années 1990 avec la dislocation du bloc soviétique et l’ouverture chinoise. L’accord signé le 16 mai 1991 avec la Russie reconnaît les frontières actuelles. Un traité d’amitié et de coopération est conclu entre les deux pays en 2001, réglant la plupart des différends territoriaux. La RPC lorgne sur le pétrole sibérien et les possibilités commerciales transfrontalières.1

En Asie centrale, la Chine reconnaît dès 1992 les nouveaux Etats d’Asie centrale issus de l’union soviétique. Le 4 juillet 1996 et le 10 novembre 1997, elle signe un accord avec, respectivement, le Kirghizstan et le Kazakhstan, reconnaissant les 858km et les 1533km de frontières fixées entre la Russie tsariste et la Chine impériale (traité du 12 février 1881). Il ne reste plus que 40km de frontière avec la Russie sur la section orientale.

La Chine revendique toujours une partie du Pamir qui résulte d’un ancien traité anglo- russe (11 mars 1895). Mais elle a tout de même reconnu l’Etat du Tadjikistan où il se situe, et établi un projet de zone économique spéciale (février 1997). A cette exception, tout le tracé de la frontière nord-ouest de la Chine est fixé en août 1999.