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3 La culture commune

Carte 2.2  : les tensions géopolitiques en Asie

B. La position de Pékin

La solution à la question de Hong Kong peut être simplement résumée en « un pays, deux systèmes ». Cette formule se rapporte à différentes implications dans différents domaines et à différentes lois. Il existe de nombreuses publications chinoises et anglaises traitant de ce nouvel instrument destiné à résoudre cette importante question dans l’histoire de Hong Kong. Parmi toutes les solutions possibles, il y avait « la mise en place continue de trois traités signés entre la dernière dynastie Qing de Chine et le Gouvernement britannique » ou « traiter de la souveraineté de Hong Kong contre le pouvoir d’administration de Hong Kong » (c’est-à-dire, échanger la souveraineté de Hong Kong qui va être rendue à la Chine contre le pouvoir d’administration de Hong Kong qui va toujours être retenu par le gouvernement britannique) ; il s’agissait des solutions proposées par le gouvernement britannique depuis que la question de Hong Kong s’était posée à partir des dernières années 1970. Quelques hommes d’affaires

audacieux de Hong Kong suggérèrent que Deng Xiaoping accepte la solution « d’administrer Hong Kong sous forme d’une SARL » et qu’ils prennent les postes de directeurs généraux1 ».

La solution retenue sera celle dite de « un pays, deux systèmes »2 [一国两制 _ yiguo

liangzhi]. Or, la question n’est pas anodine. En effet, si le poids démographique des « marches insulaires » (Taiwan, Hong Kong, Macao) est dérisoire, leur poids économique est conséquent. Ce qui donne à la question toute son importance au niveau de la politique intérieure chinoise mais aussi au niveau diplomatique. Importance internationale de la question d’autant plus renforcée que deux de ces « marches » étaient sous possession étrangère (Hong Kong et Macao) et que Taiwan est sous la protection de facto des Etats-Unis.

Dès le début, le principe « un pays, deux systèmes » vise Hong Kong et Taiwan. Dans une allocution au mois de juin 19843, Deng Xiaoping déclarait : « Notre politique consiste à appliquer le principe dit « un Etat, deux systèmes » ; pour parler plus précisément, cela signifie qu’au sein de la République populaire de Chine, le milliard de Chinois habitant la partie continentale vit sous un régime socialiste, tandis que Hong Kong et Taiwan sont régis par un système capitaliste ». Cette théorie contient un problème en soi. En effet, le capitalisme est un système économique et pas politique. La théorie dite « un Etat, deux systèmes » ne prévoit donc rien (ou du moins rien de précis) sur la nature du régime politique qui devrait s’installer dans les zones concernées (Hong Kong d’abord, puis à termes, Taiwan).

Ce principe « un Etat, deux systèmes » se veut le résultat des réformes économiques et de la démaoïsation. En effet, Deng de poursuivre : « Ces dernières années, la Chine s’est attachée à redresser les erreurs de « gauche » et a élaboré, dans tous les domaines une politique qui tienne compte des conditions réelles. […] C’est précisément dans

1 Il existe de nombreux textes chinois et anglais traitant de l’histoire de la négociation et fournissant quelques histoires internes. Par exemple, HUANG Wenfan, The process of Decision-making regarding Resuming the Exercices of Sovereignty over Hong Kong by China and its Implementation, bilingue, publié par Institute of East-West Academic Exchange, Baptist University of Hong Kong, 1997, Hong Kong

XU Bin, Le vent et les nuages au-dessus de la retrocession de Hong Kong (à la Chine) en 1997(97 xianggang huigui fengyun), Changchun : Presses Photographiques de Jilin, 1996

ROBERTI Mark, The Fall of Hong Kong : China’s Triumph and Britain’s Betrayal, revised and updated, New York: John Wiley & Sons, Inc., 1994

COTTRELL Robert, The End of Hong Kong: The Secret Diplomacy of Imperial Retreat, London, John Murray, 1993.

2 Deux traductions sont souvent utilisées : « un pays, deux systèmes » ou « un Etat, deux systèmes ». Nous utilisons ici indifféremment les deux traductions dans la mesure où le concept demeure, on le verra, assez mouvant.

cette conjoncture que nous avons avancé la formule « un Etat, deux systèmes » pour régler le problème de Hong Kong et de Taiwan. »1. En effet, si on élargit la perspective, le statut de la région administrative spéciale (xingzheng tequ) renvoie à une dichotomie plus large entamée par les réformes, celle des zones économiques spéciales (jingji tequ) qui concernent les provinces méridionales du pays (Guangdong, Fujian). On peut même aller jusqu’à dire que le principe « un pays, deux systèmes » (yiguo liangzhi) s’applique à l’intérieur même de la République populaire de Chine et qu’il est au cœur même de la pensée politique des réformes c’est-à-dire la coexistence aux côtés d’une Chine socialiste, d’une Chine capitaliste introduite formellement selon le procédé du découpage territorial.

La position de Deng, qui sera la ligne continuellement suivie depuis lors, est celle de l’intransigeance : le principe de l’indivisibilité de la nation chinoise. Cette intransigeance est justifiée, sans doute, par son nationalisme. Cette même intransigeance justifie le fait que l’hypothèse du recours à la force n’est pas écartée (On pense qu’il vise ici surtout Taiwan plus que Hong Kong). Mais, pragmatique, cette intransigeance est tempérée car Deng accepte un retour à long terme et écarte la perspective de l’absorption de Hong Kong et Taiwan. Ainsi prend-il soin de préciser : « Est-ce le socialisme qui absorbera Taiwan ? Ou la doctrine dite des trois principes du peuple prônée par Taiwan qui absorbera la partie continentale ? Ni l’un ni l’autre. Si on ne trouvait aucune solution pacifique, il faudrait recourir à la force, ce qui serait préjudiciable aux deux parties concernées. L’ensemble de la nation aspire à la réunification du pays. Si elle ne s’accomplit pas avant la fin de ce siècle, elle finira bien par se réaliser dans les siècles futurs. »2

Deng Xiaoping, et avec lui tous les hauts responsables chinois depuis, essaie de gagner l’adhésion des Hongkongais en jouant sur la corde du nationalisme. Il insiste dans toutes ses allocutions concernant la question, sur le fait que la Chine c’est le Parti communiste (et inversement). Ainsi, face aux doutes que suscite la rétrocession de la colonie britannique, Deng déclare : « Il est certain que les Chinois de Hong Kong sauront gérer leur ville comme il faut. Avoir des doutes là-dessus reviendrait à témoigner d’une mentalité héritée du colonialisme de la vieille école. […] L’image de la Chine aujourd’hui n’est pas l’œuvre du gouvernement décadent des Qing, ni des

1 Ibid page 65 2 Ibid. page 66

seigneurs de guerre du Beiyang, ni de Jiang Jieshi1 ou de son fils. Tous les enfants de la nation chinoise, quels que soient leurs costumes ou leurs positions2, ont au moins en commun un sentiment de fierté nationale. » On voit ainsi que le nationalisme structure la pensée politique. Chez Deng, ce nationalisme est supposé naturel. Or les mouvements de taiwanisation de la société taiwanaise (voir paragraphe suivant) tendent à être plus circonspects. Pour Pékin, la question des marches insulaires relève de la politique intérieure de part un aspect quasiment ethnique. En effet, les habitants de ces marches sont désignés par Pékin par le terme tong bao (compatriotes) alors que les chinois d’outre-mer sont désignés par le vocable huaqiao. Or, cette position peut être critiquée. Comme le rappelle Mengin3, pour l’historien et néo-confucianiste Tu Wei-ming, Hong Hong et Taiwan seraient plus proches de la diaspora chinoise que de la Chine continentale4. Mais cette position est aussi défendue à propos de Taiwan. Comme le rappelle Joyaux, jusqu’en 1936 Taiwan est assimilée par les leaders chinois au même statut que la Corée. Pierre Mallet et Ho Kang-mei5 rappellent également que les « Continentaux » sont désormais minoritaires. En tout état de cause, il semble évident, dès 1984, que la Chine laissera à Hong Kong une autonomie limitée. Autonomie car au niveau économique liberté absolue mais limitée car les dirigeants doivent être pro-Pékin. Deng sera, lui-même, très clair sur la question : « Pour la gestion de Hong Kong par ses habitants, la limite et le critère, c’est que Hong Kong devra être géré par sa population avec les patriotes comme groupe principal. […] Qu’entendons-nous par patriotes ? Ceux qui respectent leur propre nation, qui sont sincèrement partisans du recouvrement par la Chine de l’exercice de sa souveraineté sur Hong Kong et qui ne portent pas atteinte à la prospérité et à la stabilité6 de Hong Kong. Ceux-là sont des patriotes même s’ils croient au capitalisme ou au féodalisme, voire même à l’esclavagisme. Nous ne leur demandons pas d’approuver le système

1 Jiang Jieshi est la traduction pinyin de 蔣介石, plus connu en France sous la traduction de Tchang Kai-chek.

2 Il semble ici que la traduction retenue par les Editions des Langues Etrangères porte à confusion. Le propos de Deng peut se traduire de la sorte : « Tous les enfants de la nation chinoise, quels que soient les habits qu’ils portent ou leurs points de vue politique, ont au moins… ». Deng fait ici référence aux différences de niveau social (les habits) et différences politiques (les points de vue). Or, il semble que la traduction officielle ait été moins téméraire que le petit timonier puisque d’après la version officielle, les différences sociales et politiques sont minimisées par cette traduction (sans doute de peur d’admettre que de telles différences existent).

3 MENGIN Françoise, Trajectoires chinoise : Taiwan, Hong Kong et Pékin, Paris, Karthala, 1998. 4 Ibid. page 9.

5 HO Kang-mei Jacinta & MALLET Pierre, Lee Teng-hui et la « révolution tranquille » de Taiwan, Paris, L’Harmattan, 2005.

socialiste de la Chine, mais seulement d’aimer la patrie et d’aimer Hong Kong. » On voit bien ici à travers ce passage que la pensée denguiste est pragmatique surtout parce que le fondement idéologique du communisme ne tient plus et que le but réel c’est la réalisation de l’objectif nationaliste. Dès 1984, Deng dit qu’un Hongkongais pro-Pékin n’est pas un communiste mais un nationaliste (ou patriote). En fait, la politique « un Etat, deux systèmes » semble être davantage « deux gouvernements sont tolérés (à Taiwan et Hong Kong) si la dictature du PCC n’est pas remise en cause. »

Finalement, on peut dire qu’il n’existe pas de définition du concept « un pays, deux systèmes » uniformément acceptée. Le secrétaire Général du Parti communiste chinois, Jiang Zemin, a également donné sa définition dans un rapport présenté au XV° Congrès du PCC. Il a avancé la formule comme suit1 : « Un pays, deux systèmes » est un composant important de la théorie de Deng Xiaoping. Sa condition préalable est la réunification du pays. Le continent maintient le système socialiste pendant que Taiwan, Hong Kong et Macao maintiennent le système capitaliste avec un style de vie original inchangé. Cette idée comprend non seulement le principe d’une Chine unifiée, mais il prévoit également une certaine flexibilité vis-à-vis de la réalité historique de Taiwan, Hong Kong et Macao. Zhu Guobin2 posait ainsi la question de savoir si « un pays, deux systèmes » était davantage une idée politique ou une vision pragmatique. « Hong Kong est en train d’inventer un modèle d’autonomie. Cela apparaît non seulement lorsqu’on compare la situation de Hong Kong à celle des autres régions autonomes de la RPC (dans le sens le plus étroit du terme de l’autonomie) mais aussi lorsqu’on la compare avec toutes les autres structures existant dans le monde (au sens large du terme). » A vrai dire, un système malléable de coopération construit sur la base d’une compréhension et d’une acceptation réciproques est envisageable dans un futur proche.

1 Le rapport présenté au XV° Congrès du PCC par Jiang Zemin a été publié dans le Quotidien du Peuple (renmin ribao) dans l’édition du 22 septembre 1997, Pékin.