• Aucun résultat trouvé

B à la direction actuelle

2. Développement du rôle des factions

En partie à cause du besoin de consolider la nouvelle direction, mais aussi à cause des zones d’ombres qui demeurent dans le processus de désignation, le XV° Congrès du Parti communiste chinois (1997) a eu le taux de renouvellement des membres le plus élevé en dix ans : le PCC se targuait d’avoir 57% de nouveaux délégués et 70% en ce qui concerne les suppléants2.

La caractéristique majeure de ce XV° Congrès est l’augmentation du nombre de technocrates (jishu guanliao) c’est-à-dire des ingénieurs ou des cadres éduqués à l’université dans les sciences dures qui sont en charge des problèmes politiques. En témoigne le nombre de membres du Congrès, cinq plus 83,5% des 2 048 délégués ont un diplôme universitaire. Cette tendance se retrouve dans le Secrétariat ou six des sept membres sont ingénieurs. Cela signifie que dans la période contemporaine, on passe à un Parti de gestionnaires. Cela signifie deux choses. D’abord cela traduit l’abandon de la visée révolutionnaire (changer l’homme) mais son remplacement par une visée gestionnaire (conserver le pouvoir). Ensuite, cela met à jour la stratégie du Parti communiste chinois pour réaliser ce but. Pour garder le pouvoir, il faut des professionnels, des techniciens qui assurent la bonne marche du pays.

Or, la plupart de ces cadres qui ont suivi des études supérieures ont poursuivi leur formation dans le bloc soviétique (le plus souvent en URSS).

1 Sur la notion de guanxi dans la politique contemporaine voir BALME Stéphanie, Entre soi, Fayard, Paris 2004.

Les patronages politiques deviennent plus importants. 21% des membres du Comité central viennent de l’université Qinghua1.

En plus du réseau personnel, se développe l’influence régionale. Du coup, il apparaît avant même l’ouverture du XV° Congrès qu’il faut respecter une règle d’équilibre entre régions. Pour exemple, aucune province n’a plus de deux sièges permanents au Comité central. La tentative de Jiang Zemin d’attribuer quatre sièges permanents au Comité central à des représentants de Shanghai a été rejetée par les députés en première lecture.

Mais cela ne concerne pas les sièges de suppléants où l’on constate une surreprésentation des natifs du Shandong et du Jiangsu.

La représentation militaire continue d’augmenter2.

Tableau 1.3 : âges moyens des membres du Comité permanent, du Politburo et du  Secrétariat  Echelon  XII°  Congrès  XII°  Congrès  XIV°  Congrès  XV°  Congrès  Comité permanent  73,8  63,6  63,4  65,1  Politburo  71,8  64,0  61,9  62,9  Secrétariat  63,7  56,2  59,3  62,9  Source: d’après DITTMER Lowell, « China’s new leadership » in TIEN & CHU, China  Under Jiang  Un nouveau moyen de gérer les conflits au sein du Parti communiste a été d’instaurer et de faire respecter, autant que faire se peut, la limite d’âge pour les postes les plus importants y compris les postes de ministres et de gouverneur provincial.

Jiang a consolidé sa position centrale en proposant des initiatives pour la réforme économique et avec la diplomatie.

Comme le rappelle Lam1, contrairement à ce qui se passait à l’époque de Mao et de

Deng, l’importance de l’idéologie a été considérablement amoindrie sous Jiang Zemin.

1 Ibid.

Voir aussi ANDRESY, Agnès, Who’s Hu, le président chinois Hu Jintao, sa politique et ses réseaux, Paris L’Harmattan, 2008.

2 Sur le poids et le rôle des militaires dans la politique chinoise aujourd’hui, se reporter au chapitre 2 section 2.

La plupart des factions et des groupes de pouvoirs au sein du Parti communiste chinois n’étaient pas tant définis par des caractéristiques idéologiques spontanées que par leurs intérêts propres. En termes de philosophie politique ou de philosophie économique, il n’y a pas une si grande différence entre les cliques comme celles dirigées par Jiang ou Hu Jintao. Il est donc pertinent de voir les factions au sein du Parti communiste chinois comme des groupes d’intérêts. Par exemple la faction de Shanghai cherche le bien-être et les perspectives _ en terme de pouvoir et statut, en terme de ressources financières et en terme d’intérêts économiques_ de la région du « grand Shanghai » (qui comprend le Jiangsu et le cours inférieur du fleuve Yangtze) tout comme le font les cadres affiliés aux autres grandes métropoles.

En terme d’analyse d’économie politique internationale, il nous semble que la situation qui s’instaure en Chine à partir de 1997 n’est pas très éloignée du cadre théorique proposé par Grossman et Helpman2 sur la concurrence des lobbies, le bien- être collectif et la fonction de décision gouvernementale. Comme Magee, Brock et Young3, Grossman et Helpman supposent que les lobbies proposent des contributions

pour obtenir en échange des avantages. A la différence des cas étudiés par Grossman et Helpman, on peut considérer que la négociation dans le cas chinois se fait au sein même de l’appareil Etatico-Partisan. La politique mise en place résulta alors d’un jeu4 en deux étapes. D’abord, chaque faction choisit un barème de contributions qu’elle est prête à offrir en fonction des politiques possibles et des contributions des autres factions. Dans une seconde étape, le gouvernement (l’exécutif du Parti-Etat plus exactement) détermine sa politique en fonction du barème des contributions proposées et en fonction du poids qu’il accorde au bien-être collectif associé à cette politique.

1 LAM, op.cit, page 116 2 Pour le modèle initial voir :

GROSSMAN Gene et HELPMAN Elhanan, « Protection for sale », American economic review, vol 84,n°4, septembre 1994, pages 833 à 850.

Pour les développements ultérieurs de ce même modèle, voir :

GROSSMAN Gene et HELPMAN Elhanan, « trade wars and trade talks », Journal of Political Economy, vol.103, n°4, août 1995, pages 675à708

“The politics of free-trade agreements”, American Economic Review, vol. 85, n°4, septembre 1995, pages 667 à 690

“Politics and Trade policiy”, in GROSSMAN &

HELPMAN (dir.),Interest groups and trade policy, Princeton, Princeton University Press, 2002, pages 173 à 198.

Sur le meme theme voir aussi :

GUILLOCHON Bernard, « L’économie politique du protectionnisme » in KEBABDJIAN et BERTHAUD, op.cit. page 47.

3 MAGEE Stephen, BROCK William et YOUNG Leslie, Black Holes tariffs and endogenous policy theory, Cambridge (MA) Cambridge University Press, 1989.

Précisément la fonction objectif G du gouvernement est égale à C + aW, où C vaut la somme des contributions versées, W mesure le bien-être collectif et a est un paramètre qui traduit le poids que le gouvernement attribue au bien-être collectif.

On peut rassembler la relation sous la forme : G = C + aW

Ce modèle possède la structure d’un problème d’agence, au sens de la théorie de l’agence, dans lequel les principaux (les factions) cherchent à influencer un agent (le gouvernement) pour que celui-ci adopte une mesure dont le coût pour chaque principal aurait été plus élevé s’il avait dû agir lui-même. Dans une telle situation caractérisée par un menu d’options proposé au décideur, il existe un ensemble de fonctions de contributions réalisables (conformément à l’analyse de Bernheim et Whinston1). Compte tenu de celles-ci, le gouvernement choisit le vecteur des taxes, subventions ou toute autre politique publique qui maximise G.

Etant donné que le XVI° Congrès du PCC devait paver la route pour l’émergence d’une nouvelle génération _ et une redistribution générale du pouvoir et donc des avantages_ la guerre à mort qui se déroule en coulisses et les coups de couteaux dans le dos se poursuivent jusqu’à la veille du grand soir (le fameux congrès !). Ainsi, alors que les grandes figures de la troisième génération comme Jiang ou Li Peng (devenu le président de l’Assemblée populaire nationale) avaient dépassé l’âge de la retraite (certains chroniqueurs de Hong Kong et de Taiwan ironisèrent en allant jusqu’à dire qu’ils avaient dépassé la date de péremption !). Ils conspirèrent pour s’accrocher au pouvoir et conserver au moins un poste important au sein du Parti-Etat. Et les cadres qui acceptaient de passer la main, comme le premier ministre Zhu le fera, firent de leur mieux pour assurer la promotion de leurs protégés. « En effet, il semble que Jiang soit plus intéressé par la détention du pouvoir que par son exercice. Ceci explique deux traits marquants de son « mandat ». D’abord son peu de volonté à mener les réformes. Car il y a un risque si les réformes sont trop brutales de perdre le pouvoir. D’autre part, sa difficulté à passer la main. Cela se voit dans sa relation difficile avec Hu Jintao et sa tentative pour mettre Zeng Qinghong (son bras droit) à la place de Hu. Le fait qu’il a voulu, comme Deng, rester à la tête de la commission centrale militaire après avoir quitté la présidence. Ou encore le fait qu’il ait intégré sa

1 BERNHEIM Douglas et WHINSTON Michael, « Menu auctions, ressource allocation and economic influence », Quarterly Journal of Economics, vol.101, n°1, janvier 1986, pages 1à31.

« pensée » (la théorie des Trois représentativités) dans la doctrine officielle et qu’il ait insisté pour ses « œuvres choisies » soient étudiées au même titre que celle de Mao et Deng1. Jiang, on l’a dit, a favorisé les « Shanghaiens » mais parmi la quatrième génération, ceux-ci ne semblent pas être majoritaires. En fait, il apparaît que les membres de cette disidai soient « choisis sur deux critères majeurs. Première priorité, la loyauté à Jiang Zemin personnellement et la « stabilité politique » ; c’est-à-dire unité au sommet et monopole du pouvoir au parti ; seconde priorité, modernisation de l’économie pour ramener la Chine au premier rang. »2