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Détente politique et groupe public dans la vie politique chinoise

Etat Parti Communiste 

C. Existe-t-il une société civile en Chine aujourd’hui ?

1. Détente politique et groupe public dans la vie politique chinoise

Bien qu’on estime souvent que la politique en Chine est un processus unitaire (de part le monopôle exercé par le Parti communiste), la stratification sociale et le pluralisme en Chine sont des concepts anciens. Déjà en 1926, dans un article intitulé « une analyse des différentes classes sociales en Chine »1, Mao Zedong définissait cinq classes au sein de la république de Chine : les propriétaires terriens, la classe moyenne, la petite bourgeoisie, les « semi-prolétaires » et le prolétariat. Pour la période qui nous intéresse (1992-2008), les chercheurs proches du pouvoir ont publié sur le même sujet mais où les nouvelles classes sont définies sur la base des ressources économiques, organisationnelles et culturelles2.

L’existence de classes et de groupes en Chine ne signifie pas pour autant qu’ils jouissent d’une liberté d’expression tant que le contrôle du parti-Etat ne se relâchera pas. Nous pouvons brièvement identifier une liste des raisons conduisant à un tel relâchement de l’emprise du Parti au cours des années 1990-2000 : les changements de l’environnement international, la révolution dans les techniques de l’information avec le développement d’internet et des groupes de presse, la très timide réforme du système électoral expérimentée au niveau des villages et la polarisation croissante quant aux revenus au sein de la population. Mais une légitimation plus instrumentale de l’idéologie de groupe a été réalisée avec l’évolution récente de l’idéologie. En septembre 1999, le Parti-Etat lançait la campagne des « Trois accents » (sanjiang). Selon cette campagne, il faut insister sur la conscience politique (zhengzhi), l’étude (xuexi) et une éthique saine (zhengqi). Cinq mois plus tard, comme une extension de cette campagne, Jiang Zemin marquait son emprunte avec la théorie des Trois représentations qui sera intégrée à l’idéologie officielle en août 2001. Au moins deux de ces « représentativités » présupposent du pluralisme au sein de la société chinoise : l’expression les « forces productives les plus avancées » fait référence au monde des affaires, tandis que « l’intérêt fondamental du peuple » fait référence de manière subtile au populisme ou plus ou moins aux aspirations primaires. Quand Jiang essaie

1 MAO Zedong, « Zhongguo Ge Jiezeng De Fengxi » « Une analyse des différentes classes sociales en Chine) in Mao Zedong Xuanji (Selected Works of Mao Zedong), vol.1, Beijing, Renmin Chubanshe. 2 LIANG Xiaosheng, Zhongguo Shehui Jiecen Fenxi (Analysis on Social classes in China), Beijing, Jingji Ribou Chubanshu, 1997

LU Yi (dir.), Dangdai Zhongguo Shehui Jiecen Yangjiu Baogao ( A Study of social classes in contemporary China), Beijing, Sheke Wenxian Chubanshe, 2002.

d’institutionnaliser la représentation du Parti communiste chinois du prolétariat à un Parti à l’assise plus large, il reconnaît également des droits acquis en Chine.

2. Y-a-t-il une société civile en Chine ? L’introuvable groupe d’intérêt à

l’américaine

Il résulte du développement de ces différents groupes que le concept de « société civile chinoise » est apparu sur le devant de la scène. Dans son sens académique strict, la société civile, le fondement des groupes d’intérêts, doit avoir deux prérequis : une démocratie pluraliste et une économie capitaliste.

Graphique 1.2: Le modèle américain des groupes d’intérêts et la société 

Source : SHEN, op.cit. , page 11 

En étudiant le pluralisme chinois de la même manière que les groupes d’intérêts américains, un certain nombre d’universitaires, comme le sociologue Gordon White1 relie la réforme économique et le passage à l’économie de marché à la société civile naissante, à l’embryon de société civile. Mais l’existence de groupes signifie-t-elle nécessairement l’existence d’une société civile en Chine comme le suggère le modèle de White ? Les similarités apparentes entre les groupes politiques chinois et américains sont superficielles car la manière dont les groupes fonctionnent en Chine semble être unique et avoir de nombreuses caractéristiques typiquement chinoises.

1 WHITE Gordon, HOWELL Jude & Alii, In Search of Civil Society: Market Reform and Social Change in Contemporary China, Oxford, Clarendon Press, 1996, pages 98 à 127.

Société civile  (avec des  groupes  d’intérêts)  Démocratie  pluraliste  Economie  capitaliste 

Les groupes d’intérêts américains qui s’intéressent à la politique s’engageraient dans une stratégie de lobbying. Ils ont compliqué la structure du pouvoir du fédéral et de la société civile en introduisant ce que Theodore Lowi1 appelle un « issue network » : c’est-à-dire la capacité de certains groupes à maîtriser certaines questions pour compenser la relative ignorance du corps politique sur ces problèmes (en somme avoir une expertise que les acteurs publics n’ont pas). Nous pouvons étudier leur manière de manœuvrer à travers des données quantitatives comme les votes au Congrès ou le financement des campagnes électorales. Mais ce modèle des groupes d’intérêts américains ne peut pas s’appliquer à la Chine à cause de la manière dont ils sont formés.

En Chine, le Parti-Etat a une politique très stricte quant à la formation de toute nouvelle organisation afin d’anticiper le développement d’organisations rivales à la dictature du Parti communiste chinois. Bien que le droit d’association soit garanti par l’article 35 de la Constitution de 1982 : « Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté d’expression, de la presse, de regroupement, d’association, de procession ou de manifestation. »2. Tous les groupes en Chine

doivent impérativement respecter l’Ordonnance sur la gestion et l’enregistrement des groupes sociaux établi par le Conseil d’Etat après les incidents de la place Tiananmen en 1989. Celui-ci impose à tous les groupes de s’enregistrer auprès d’un ministère et d’être supervisé par les autorités. Politiquement les groupes d’intérêts, comme toutes les organisations publiques (même les associations nationalistes), ont des difficultés à être officiellement formée. Dans un régime de « dictature démocratique du prolétariat », il est difficile d’y adhérer. Contrairement aux groupes d’intérêts américains puissants et organisés, comme l’a montré Dorothy Solinger3, les groupes en Chine sont incapables ou ne veulent pas s’organiser. Afin d’influencer le gouvernement, les groupes en Chine ont peu d’autres alternatives que d’exprimer leurs opinions dans des journaux, des publications académiques ou des forums internet. L’organisation de mouvements sociaux a un coût élevé ; y compris celui de risquer leur droit à exister comme organisation, voire même de risquer la vie de ses membres. A cause de leur nature apparemment désorganisée, les groupes peuvent être

1 LOWI Theodore, « American Business, Public Policy, Case Studies and Political Theory » in World Politics, vol. 16, 1964, pages 677 à 715.

2 Constitution de la République populaire de Chine, Pékin, Editions populaires, 2004

3 SOLINGER Dorothy, « China’s Transcients and the State : A Form of Civil Society ? » Hong Kong Institute of Asia-Pacific Studies Working Papers, Chinese University, Hong Kong, 1991.

seulement décrits par leurs liens personnels ou informels et leurs connections (bref leur guanxi), ce qui est vraisemblablement en désaccord avec le concept de « issue network ».

Par conséquent, de nombreux chercheurs pensent qu’une société civile de type occidental n’est pas nécessaire en Chine. Par exemple, Thomas Metzger1 a fourni une étude historique sur le sujet. Il relève les inconsistances des interprétations occidentales (qui suivent un modèle ascendant _down-top) et chinoise (qui suit un modèle descendant _ top-down) de la société civile. Toujours réticent à appliquer les théories occidentales à la Chine, Wang Shaoguang2 est en désaccord avec la notion de société civile et a mis en évidence le fait que la « société civile chinoise comporte un certain nombre de différences politiques dont la question de la démocratie n’est pas une des moindres ». Si l’on parle de l’autre prérequis pour une société civile, l’économie de marché, la Chine est un produit hybride avec des réminiscences d’économie étatisée comme les entreprises d’Etat qui sont inefficaces. Comme He Baogang3 et Jonathan Unger4 ont montré de manière évidente, la société chinoise doit

être regardée comme une « société semi-civile » ou un « hybride de corporatisme socialiste et de clientélisme ». La société civile, pour peu qu’elle existe en Chine, est imparfaite comme l’illustre le graphique 1.3 :

Graphique 1.3: L’analyse politique de la diversité publique   dans le cadre d’une Chine non‐démocratique 

Source: SHEN, op.cit. page 12 

1 METZGER Thomas, The Western Concept of Civil Society in the Context of Chinese History, Stanford Ca, Stanford University Press, 1998.

2 WANG Shaoguang, « Gongmin Shehui De Fanyi » (Some Reflexions on Civil Society), in Ershiyi Shiji (XXI° siècle), n°8, décembre 1991, pages 102 à 114.

3 HE Baogang, The Democratic Implications of Civil Society in China, Basingstoke, MacMillan, 1997. 4 UNGER Jonathan, « Bridges : Private Business, the Chinese Government and the Rise of New Associations » in The China Quarterly, n°147, septembre 1996, pages 795 à 819.

Société civile  imparfaite (avec une  diversité publique)  “dictature  démocratique  du peuple”  Economie  socialiste de  marché 

3. Le second cadre théorique: “l’analyse politique de la diversité