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B à la direction actuelle

1. L’absence d’homme fort

Afin d’éviter une trop grande personnalisation de la politique, on va assister à un renouvellement générationnel au cours de la décennie 1990. Ce changement de génération va faire arriver au plus haut niveau de l’Etat des hommes plus jeunes mais aussi moins expérimentés ; ce qui ne va qu’alimenter la thèse de la disparition « d’hommes forts » dans le régime contemporain. On estime que ce processus s’organise principalement autour de deux Congrès : les XIV° et XV° Congrès qui se sont respectivement tenus en octobre 1992 et septembre 1997. Bien évidemment, les Congrès suivants de 2002 et 2007 contribuent aussi au renouvellement générationnel mais, dans une certaine mesure, ils ne font que suivre la logique initiée lors des XIV° et XV° Congrès. « Dans la vision que Deng Xiaoping avait de sa propre succession, il ne devait plus y avoir d’homme fort »1. C’est dans cette optique que Deng va écarter le « clan des Yang » à la veille du XIV° Congrès à l’automne 1992. Yang Shangkun avait dirigé la répression de Tiananmen. Il avait toute une carrière de commissaire politique dans l’Armée populaire de libération. Proche de Deng, il avait encore joué un rôle décisif en mai-juin 1989 pour faire appliquer la loi martiale par les troupes rassemblées à Pékin, qui hésitaient face aux manifestants sans armes. Son frère cadet Yang Baibing (en fait Baibing est le demi-frère de Shangkun), devenu chef du département politique de l’armée, avait étendu son contrôle en s’appuyant sur des officiers partisans de la répression (1989-1993). Il dirigea la purge des cadres militaires qui suivi les évènements. Tous deux étaient largement soupçonnés de profiter des circonstances pour dominer la structure militaire. « Les deux demi-frères avaient été propulsés vers le haut au lendemain de Tiananmen et ils avaient placé trop d’hommes à eux dans la hiérarchie militaire. [Deng] veut imposer un équilibre dosé par lui entre toutes les factions. »2 Dans ce contexte, l’organisation de la succession est méticuleuse. Pour de nombreux observateurs3, Jiang fut choisi car il présente

certains traits qui siéent à la pensée politique de Deng. « On découvre chez lui un conservatisme foncier se manifestant à la moindre appréhension. »4 Selon Willy Wo-

1 EYRAUD, op.cit. 2 ibid.

3 Sur ce point voir EYRAUD, op.cit. et LAM Wo-Lap, Chinese Politics in the Hu Jintao era, Londres, M.E. Sharpe, 2007.

Lap Lam, en 1992 Deng Xiaoping aurait sérieusement envisagé de révoquer Jiang qu’il jugeait trop frileux et surtout trop conservateur1. Jiang, sans pour autant être en position d’être l’homme fort du régime, en devient le point axial, ou, pour reprendre l’image de l’atome utilisée plus haut, le noyau. « Jiang Zemin, qui est le « noyau [de la nouvelle génération] se tient d’instinct au centre des poussées antagonistes qui s’exercent sur lui »2. On va assister à partir du début de la décennie 1990 à ce qui s’apparente aujourd’hui comme le mode de fonctionnement interne au Parti de consolidation et de renouvellement du pouvoir. En effet, Jiang va progressivement, sans jamais créer d’affrontement frontal au sein du Parti, arriver à la tête de tous les postes clés de l’Etat-Parti. Le Bureau politique, le gouvernement et la haute administration vont être graduellement conquis. Dans le même temps, on assiste à l’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants (disidai _ 第四代). Deng Xiaoping, en effet, met en œuvre dès le début des années 1990 un processus de sélection des dirigeants de la quatrième génération. Cette quatrième génération est promue à des postes importants et son objectif est de poursuivre la transition vers une économie de marché3 et s’opposer à toute évolution politique qui pourrait affaiblir le pouvoir du

Parti communiste chinois. Ce processus sera poursuivi par Jiang, preuve qu’on assiste dans cette période de réformes à un processus d’institutionnalisation du régime. Cependant, celle-ci n’est pas une institutionnalisation des rapports entre la société et

1 LAM Willy Wo-Lap, op. cit. 1995 pages 236 à 238 et 2006 page 10 2 EYRAUD, op.cit. , page 105

3 Nous préférons parler de « transition vers l’économie de marché » plutôt que de libéralisation de l’économie. En effet, nous estimons qu’il ne s’agit pas là d’une libéralisation mais une capitalisation c'est-à-dire l’abandon d’un mode de gestion (le plan, la propriété directe d’Etat) pour un autre mode de gestion (le capitalisme d’Etat). Alors que le capitalisme est une technique, le libéralisme est un système de pensée ; et ce système accorde le primat au politique. Comme le rappelle André Comte-Sponville (voir COMTE-SPONVILLE André, Le capitalisme est-il moral ?, Paris, Albin-Michel, 2004) quand on découvre qu’on est à découvert à la banque on ne peut que dire que c’est juste d’un point de vue comptable mais il ne vient à l’esprit de personne de s’interroger : est-ce juste d’un point de vue moral ? De même on peut pousser l’analogie en disant « quel rapport entre une technique de gestion et l’Etat de droit ? » Certains diraient que le marché pour être efficace, efficient doit utiliser le droit, le respect de la propriété privée etc. Or, on sait que le totalitarisme se marie très bien avec le grand capital comme ce fut le cas dans l’Italie fasciste. On sait aussi que le respect des contrats peut se faire sans fondamentalement remettre en cause le pouvoir de l’Etat-parti. Pourquoi ? Parce qu’il nous semble que le capitalisme n’a pas besoin du droit car celui-ci amènerait avec lui mécaniquement le libéralisme ou l’Etat de droit (appelons cela comme on veut) ; mais le capitalisme a besoin du droit comme technique qui réduit voir évite ce que les économistes appellent l’aléa moral (On peut dire aussi que le capitalisme en tant que technique de gestion ou de gouvernance à besoin de lois mais pas du droit). C’est cet aléa qui rend les marchés inefficients et appelle à l’utilisation du droit. L’ordre logique est donc inverse à ce que pensent les prophètes de la démocratisation en Chine par le marché. Cela ne veut pas dire que la démocratisation ne se fera pas par transition. Cela reste une hypothèse que l’on ne peut écarter. Mais cela nous permet, à tout le moins, de dire qu’il n’y a pas dans le capitalisme un appel direct à la démocratie, au libéralisme. Enfin, et c’est peut-être le point le plus important, on sait que le marché chinois n’est structurellement pas efficient (cf. chap1 section 1. III)

le Parti-Etat mais au sein du Parti. Précisons que le terme d’institutionnalisation est ici pris dans une acception très large. En fait, il s’agit ici tant d’un mode de désignation collégial que de l’utilisation du guanxi (on prend donc ici le guanxi comme une institution) 1 . Précisons que dans cette construction, l’aile gauche du Parti (nostalgiques du maoïsme et idéologues d’un communisme orthodoxe) conserve une place, marginale, tout comme les modernisateurs radicaux. Les uns et les autres s’équilibrent et peuvent servir à stimuler le courant majoritaire.