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La culture (les intellectuels) dans la Chine des réformes Philosophie de l’Etat ou gouvernance pragmatique et technique ?

B à la direction actuelle

A. Les débats intellectuels à la fin de la décennie

1. La culture (les intellectuels) dans la Chine des réformes Philosophie de l’Etat ou gouvernance pragmatique et technique ?

La question de la pensée politique, du rôle des intellectuels dans la Chine des réformes n’est pas purement rhétorique. Il ne s’agit pas ici d’un travail de philologie mais bien d’un questionnement politique. La répression sanglante des manifestations

Non‐libéraux Gauchisme  économique  Gauchistes néo‐ autoritaristes  Neo  Confucéens Nouvelle  gauche  Nationalistes  Libéraux Libéraux Libéraux  continentaux Libéraux d’outre‐ mer et expatriés

étudiantes de la place Tiananmen au printemps 1989, l’effondrement de la plupart des régimes communistes entre 1989 et 1991 et le choix assumé d’un passage à une économie de marché en Chine à partir de 1992, au cours de la décennie quatre-vingt- dix tous les fondements de la pensée politique du régime sont sapés les uns après les autres. Se pose donc la question de savoir si on va assister à un débat qui permettra un nouveau questionnement de la pensée politique chinoise ou si le gouvernement refusera d’admettre les faits et s’enfermera dans une vision purement technicienne du politique. D’autre part, il convient de savoir ce que ces différents débats intellectuels ont apporté, dans quelle mesure ils ont fait évoluer la réflexion sur la notion d’Etat dans la Chine des réformes.

a. tentative de reprise en main par les communistes conservateurs.

Après la répression de Tiananmen l’aile libérale du parti est écartée du pouvoir et les postes qu’ils occupaient sont attribués aux conservateurs. C’est tout à fait notable dans les domaines idéologiques et culturels. Les principaux intellectuels libéraux sont démis : Hu Qili (membre permanent du Bureau politique), Hu Jiwei (le rédacteur en chef du Quotidien du peuple), Zhu Houze (ministre de la propagande) et Wang Meng (écrivain célèbre et ministre de la culture). Tous les secteurs stratégiques dans le domaine culturel sont alors aux mains des communistes orthodoxes : ministère de la Culture, Association des travailleurs culturels et artistiques (wenlian), Association des écrivains (Zuojia xiehui), etc. Les conservateurs vont commencer une véritable chasse aux libéraux1. Les principaux leaders du mouvement étudiant de 1989 sont arrêtés tout comme de nombreux intellectuels libéraux (mais les intellectuels contrairement aux leaders étudiants resteront moins longtemps en prison). C’est à cette époque que de nombreux intellectuels de premier plan émigrent : Yan Jiaqi, Su Shaozhi, Liu Binyan, Jin Guantao, Liu Zaifu, Su Xiaokang, Fang Lizhi, Hu Ping. Les conservateurs vont essayer d’opérer un retour à un marxiste orthodoxe. Entre 1989 et 1992, on assiste à une volonté de la part des conservateurs de lancer une campagne idéologique comme aux beaux jours de la révolution culturelle. Mais dans le même temps une partie du PCC s’y oppose et, chose plus inattendue, la population va résister à cette campagne. Le contenu de cette campagne n’a que peu d’intérêt pour

le sujet qui nous préoccupe. En fait, il s’agit surtout de dénoncer les intellectuels libéraux et de glorifier le régime à la manière de ce qui se faisait dans les années 1950 et 1960. Mais quant au fond, cette campagne idéologique lancée par les conservateurs au début des années 1990 n’apporte aucun contenu réel sur la définition de l’Etat. Bref, on est plus dans la dénonciation que dans la construction d’un modèle intellectuel conservateurs qui pourrait se présenter comme une alternative à la politique de réformes telle qu’elle a été pensée et expérimentée à partir de la fin des années 1970. Cependant, cette campagne a ceci d’intéressant que la population ne va pas s’y soumettre y compris au sein même du Parti. On peut dire que cette campagne trouve son point d’orgue et en même temps s’arrêtera à partir de l’affaire dite du gruau de riz1.

Les conservateurs ont essayé d’attaquer Wang Meng (ancien ministre de la culture et intellectuel réformateur). Sous couvert d’un soi-disant « courrier de lecteur », ils s’en prennent à lui à travers sa nouvelle Le gruau de riz. Les attaques commencent au cours de l’année 1991 alors que la nouvelle était parue en 1989. Mais à la surprise des conservateurs, Wang se défend et, chose plus surprenante vue le contexte de l’époque, ne nombreux intellectuels viennent prendre part au débat pour apporter leur soutien à ce dernier. Ce qui n’était qu’une campagne idéologique des conservateurs en vue d’écarter un adversaire va se retourner contre les communistes orthodoxes et donner lieu au premier débat intellectuel d’envergure depuis les manifestations de 1989. Si les intellectuels se sont tant manifestés, c’est qu’ils contestent la démarche des gauchistes et les accusent de ne pas tenir compte de l’héritage de la révolution culturelle et donc de recommencer les mêmes erreurs. « Pendant toute l’année 1991, des centaines de nouvelles et d’essais paraissent avec des jeux de mots sur « gruau de riz » dans leur titre. Des écrivains de renom y participent, comme Liu Xinxu, Chen Rong, Zhang Kangkang, Zhang Jie. A la fin de l’année, la tendance orthodoxe est contrainte à la défensive : elle est ridiculisée. »2

Cet épisode de la campagne culturelle orthodoxe et l’affaire du gruau de riz montrent la volonté de la part d’une frange du PCC de conserver un Parti-Etat qui décide de tous les aspects de la vie sociale à commencer par le monde des idées et la vie culturelle : c’est-à-dire un totalitarisme tel qu’il a pu s’exprimer lors de l’âge d’or du

1 Pour le détail de l’affaire voir chapitre 3 section 2 2 CHEN Yan, op.cit, page 133

communisme chinois (1949-1955) ou pendant la révolution culturelle. La réaction de la part de la société civile (bas) et des intellectuels (intermédiaire) est révélatrice d’une conception politique de la question. Au-delà de l’aspect purement littéraire de l’affaire du gruau de riz s’exprime la volonté d’affirmer l’existence d’un corps social affranchi du politique. Certes, les intellectuels qui participent à la campagne ne se font pas d’illusion après la répression sanglante de Tiananem, le Parti n’est pas près de laisser une partie de son pouvoir à la société civile. Mais disons que les corps intermédiaire et de base de la société chinoise (pour reprendre la terminologie de Shen1) défendent les gains acquis au cours de la libéralisation qui a eu lieu dans les années 1980 c’est-à- dire une semi-société civile où l’individu lambda n’est plus contraint d’adhérer aux idées du Parti dans la mesure où il ne s’y oppose pas.

Mais c’est l’incapacité de la ligne dure du Parti à assurer la pérennité du régime qui les condamne à abandonner le pouvoir au profit d’une ligne plus pragmatique, prête à accepter l’économie de marché sans pour autant revenir sur le monopole du PCC. Avec le voyage de Deng Xiaoping dans le Sud : « Ainsi débute la deuxième vague de la réforme économique, qui déchirera la société chinoise à la fois sur le plan matériel et spirituel. Elle ouvre une période où les intellectuels sont écartés du processus de décision, où il n’y as plus ni dessein politique ni justification idéologique. Autant la réforme de la décennie quatre-vingt était perçue comme un processus de libéralisation de la société du joug totalitaire, autant la relance de la réforme des années quatre- vingt-dix est comprise comme un moyen pour le régime de se racheter. La perspective ouverte par l’appel de Deng dans ce début des années quatre-vingt-dix signifie pour les uns un avenir radieux d’enrichissement, et pour les autres le chemin de la décadence. »2

C’est dans ce contexte que naissent des réflexions sur le déclin moral de la Chine mais aussi la justification de l’autoritarisme et donc la théorie de l’asiatisme.

1 SHEN Simon, op.cit. 2 Ibid, page 135