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CONCLUSION DU TITRE 1 :

Section 1 : La commercialité des opérations

B. Le choix du critère de commercialité : le choix de l’approche objective

1. La vente internationale de marchandises et les opérations dites connexes (les contrats)

111. La vente est évidemment l’opération la plus courante mais ne constitue pas en elle-même l’unique opération du commerce international441. La vente est en effet l’opération qui peut engendrer la production de contrats que l’on pourrait appeler « contrats satellites » formant ainsi une chaîne de contrats parfois complexe en intégrant des opérations juridiques liées – par exemple – au transport, transfert de technologie, etc. Cette diversité de la technique contractuelle, ou plutôt devrait-on dire des techniques contractuelles, est prise en compte par la CNUDCI qui a ainsi élaboré plusieurs instruments portant sur le contrat442.

112. Le principal de ces instruments est la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980)443. D’une apparente simplicité, la convention de Vienne a en réalité un champ d’application bien plus complexe qu’il n’y paraît et qui n’est pas dû à l’essence même de l’opération concernée mais plutôt à la nécessité d’en dégager une définition suffisamment neutre afin de surmonter d’éventuels problèmes d’interprétation. Pourtant, l’approche apparaît prudente lorsqu’on établit un parallèle avec les deux conventions de La Haye de 1964444. En effet, si ces dernières disposent que « la présente convention s’applique aux contrats de vente de marchandises […] »445

et que « la présente convention détermine les conditions dans lesquelles les droits et actions réciproques d’un acheteur et d’un vendeur, issus d’un contrat de vente internationale d’objets mobiliers

441

JACQUET Jean-Michel, DELEBECQUE Philippe et CORNELOUP Sabine, op. cit., par. 519 et 520.

442 La Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (1980) ; la Convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises (1974 – modifiée par le Protocole modifiant la Convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises, 1980) ; les Règles uniformes relatives aux clauses contractuelles stipulant qu’une somme convenue est due en cas de défaut d’exécution (1983) ; et enfin le Guide juridique de la CNUDCI sur les opérations internationales d’échanges compensés (1992).

443 Pour une analyse de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980), v. dans la présente thèse : 2ème Partie, Titre 2, Chapitre 1.

444

La Convention portant loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels (La Gaye – 1964) et la Convention portant loi uniforme sur la formation des contrats de vente internationale des objets mobiliers corporels (La Haye – 1964).

445

V. at. 1er, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

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corporels […] »446, la Convention de Vienne n’établit pas une définition formelle de la notion de vente. En suivant l’analyse de M. KAHN447

, on relève néanmoins que la Convention prévoit explicitement que le vendeur a une obligation de livraison de la marchandise et de transfert de propriété448 tandis que l’acheteur s’oblige au paiement du prix et à accepter la livraison de la marchandise449. En cumulant ces deux obligations, on constate que l’on remplit – et même de manière plus précise – les conditions de l’article 1582 du Code civil français450

, lequel dispose que « la vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer ». On peut donc en déduire que l’on est bien en présence d’une vente au sens juridique traditionnel. Toutefois, une distinction entre les contrats de vente et les contrats de prestations de services est néanmoins mentionnée en précisant que les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire sont considérés comme des contrats de vente, sauf si l’on constate qu’une part essentielle des éléments matériels entrant dans le processus de fabrication ou de production est fournie par la partie qui passe la commande451. De même, lorsqu’une fourniture de main-d’œuvre ou de services constitue une part essentielle de l’obligation de la partie qui fournit les marchandises, la convention n’a pas vocation à s’appliquer à ces contrats452

. Cette distinction permet en effet de prendre en compte la diversité des contrats que l’on trouve dans la pratique et surtout d’éviter d’appliquer la convention à des contrats qualifiés de manière erronée par les parties – volontairement ou non – de contrat de vente453

. La doctrine relève que la notion de « part prépondérante » n’est pas

446

V. art. 1er, Convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises (1974) modifiée par le protocole modifiant la convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises.

447 KAHN Philippe, « La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises », in Revue internationale de droit comparé, 1981, Vol. 33, n°4, pp. 951-986 et plus spéc. p. 954.

448 V. art. 30, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

449 V. art. 53, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

450

L’article 1382 du Code civil français fait partie du Livre troisième, Des différentes manières dont on acquiert la propriété ; Titre sixième, De la vente ; Chapitre premier, De la nature et de la forme de la vente.

451 V. art. 3, alinéa 1er, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

452

V. art. 3, alinéa 2, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

453 KAHN Philippe, « La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises », op. cit., pp. 951-986 : l’auteur relève notamment qu’une confusion peut exister entre contrat de vente et contrat d’entreprise. Il évoque notamment la part importante de la prestation de service dans certains

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définie avec précision laissant la place à de potentiels problèmes d’interprétation, cette omission n’étant pas propre à la convention en elle-même et à ses rédacteurs mais récurrente dans tout système juridique. Les critères habituellement retenus en droit français sont donc écartés : un travail spécifique répondant aux besoins du cocontractant quand bien même le fournisseur apporte les matériaux est qualifié de contrat d’entreprise454

. M. KAHN considère, en se référant à l’article 3 de la Convention de Vienne, que la théorie du principal et de l’accessoire a vocation à s’appliquer dans le cadre de la Convention de Vienne tout en indiquant les difficultés à établir un critère permettant une distinction nette entre marchandise et prestation de service455. Cette analyse semble dès lors procurer une certaine flexibilité, certes imprécise, mais indispensable dans l’établissement de la sécurité juridique. La convention énumère enfin une liste des différents types de ventes n’entrant pas dans le champ d’application de celle-ci456. Il s’agit de ventes particulières soit en raison de leur objet (à savoir les marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique) soit en raison de leur nature (à savoir les valeurs mobilières, les effets de commerce, les monnaies, les navires, les bateaux, les aéroglisseurs, les aéronefs ou l’électricité457). Cette exclusion se justifie par le fait que ces ventes en question sont soumises à des règles particulières458. De même, et malgré un article consacré à la terminologie, le terme « vente » n’est pas défini par la convention sur la prescription. En revanche sont définis les termes « acheteur »,

contrats rencontrés dans la pratique par exemple les contrats de vente de biens d’équipement avec montage, les contrats de vente d’ateliers, les contrats de vente d’ensembles industriels clé en main (léger, courant, lourd), etc.

454

V. par ex. : CA Chambéry, 25 mai 1993, Bull. inf. C. cass., 1er octobre 1993, p. 35.

455 KAHN Philippe, « La Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises », op. cit., pp. 951-986 : l’auteur cite notamment un arrêt de la Cour de cassation illustrant cette difficulté à établir une distinction nette entre marchandise et prestation de service dans le cadre d’un contrat de vente clé en main d’une machinerie et d’un bâtiment pour la recevoir (en l’occurrence un silo de grains) : v. Cass. Civ. 1ère, 26 novembre 1980, Clunet 1981, 355, note KAHN. Au terme de cette analyse, M. KAHN exclut par conséquent du champ d’application de la convention les contrats dont la marchandise constitue l’accessoire (par exemple, les contrats d’ingénierie, les contrats de formation, les contrats de gestion, les contrats d’assistance technique : dans ces contrats l’obligation principale est une obligation de service).

456 V. art. 2, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

457 Un tribunal autrichien a néanmoins appliqué la convention à une vente de gaz propane : v. Recueil analytique de jurisprudence concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, Publication des Nations Unies, 2012, : CNUDCI ; Décision 176, Oberster Gerichtshof, Autriche, 6 février 1996.

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V. Note explicative du Secrétariat de la CNUDCI sur la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, par. 10.

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« vendeur » et « partie », ainsi que les termes « créancier » et « débiteur ». On peut en déduire que la vente consiste en une relation contractuelle entre un acheteur et un vendeur, ces derniers étant définis par la Convention. Les articles 1 à 6 indiquent en effet ce qui est couvert par la convention et ce qui ne l’est pas. Aussi les deux conventions ont-elles vocation à s’appliquer aux contrats de vente internationale de marchandises ou aux objets mobiliers corporels. Enfin, si la notion de marchandises est évoquée par la Convention de Vienne, la Convention sur la prescription mentionne les objets mobiliers corporels. Le terme « marchandise » n’est pas défini en soi-même. La convention donne néanmoins des indications en précisant que – a contrario – celle-ci ne peut s’appliquer aux ventes suivantes : soit en raison de la cause de la vente (usage personnel, familial ou domestique), soit en raison de la particularité de la vente (enchères, sur saisie ou par autorité de justice, de valeurs mobilières, d’effets de commerce, de monnaies, de navires, de bateaux, d’aéroglisseurs, d’aéronefs et enfin d’électricité)459

. Si la Convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises (1974) est antérieure à la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, l’élaboration de cette dernière a nécessité une harmonisation460. En effet, devant s’appliquer aux ventes internationales de marchandises, elle ne pouvait être en contradiction avec celle-ci. Elle retient donc une approche identique à celle de la Convention de Vienne.

113. Par ailleurs, trois types d’opérations connexes au contrat de vente portant sur les opérations d’échanges compensés, la passation de marchés et le développement des infrastructures ainsi que le commerce électronique sont pris en compte dans les travaux et les instruments de la CNUDCI. Concernant les opérations internationales d’échanges compensés, il s’agit de celles dans le cadre desquelles « une partie fournit des marchandises, des services, des techniques ou une autre contrepartie économique à une autre partie, en retour de quoi la première partie achète à la seconde un volume convenu de marchandises, de services, de techniques ou d’une autre contrepartie économique »461

. Elles reprennent le mécanisme de la « double compensation » ou des « accords commerciaux de compensation » tels qu’utilisés

459

V. art. 2, Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980).

460 Protocole modifiant la Convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises (11 avril 1980).

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notamment par les pays en développement. La caractéristique propre à ces opérations est l’existence d’un lien entre les fournitures dans les deux directions, en ce sens que la conclusion du contrat ou des contrats de fourniture dans une direction dépend de la conclusion du contrat ou des contrats de fourniture dans l’autre direction. Lorsque les parties concluent des contrats dans les deux directions sans faire état de l’existence d’un lien entre les deux, ces contrats, pour ce qui est des droits et obligations contractuels des parties, ne sauraient être distingués de simples opérations indépendantes462. Différentes opérations sont prises en compte comme le troc, le contre-achat, l’achat en retour (« buy-back » en anglais) et la compensation industrielle (« offset » en anglais)463. La distinction entre ces notions s’appuie sur le caractère de l’échange (unilatéral ou synallagmatique) et sur l’objet de celui-ci. Le troc est ainsi défini comme un contrat qui prévoit « un échange dans les deux directions de marchandises données, dans le cadre duquel la fourniture de marchandises dans une direction remplace, entièrement ou partiellement, le paiement pécuniaire de la fourniture des marchandises dans l'autre direction »464. De même, les parties peuvent s’engager mutuellement à contracter sans lien avec les marchandises fournies (contre-achat) ou en lien avec celles-ci (achat en retour). Le mécanisme peut également se retrouver dans une opération identique mais basée sur un transfert de techniques ou de savoir-faire, l’investissement ou l’accès à certains marchés (compensation industrielle)465

. De tels mécanismes viennent indéniablement faciliter le commerce international notamment en évitant tous les risques liés aux transferts de fonds et aux opérations de change466.

114. Concernant la passation de marchés, cette opération a fait l’objet d’instruments de la part de la CNUDCI à plusieurs reprises. Tout d’abord en 1993 et en 1994 avec respectivement la Loi type de la CNUDCI sur la passation de marchés de biens et de constructions et la Loi type de la CNUDCI sur la passation de marchés de biens, de travaux et de services, puis en 2011 avec la Loi type de la CNUDCI sur la passation de marchés publics, celle-ci venant ainsi

462 V. Ibid., Chap. I, p. 6, par. 1.

463

V. Ibid., Chap. I (Portée et terminologie)

464 V. Guide juridique de la CNUDCI sur les opérations internationales d’échanges compensés (1992), par. 14, p. 9.

465

V. Ibid, par. 15-17, p. 9.

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prendre en compte l’évolution des pratiques en la matière467

. Cette dernière élargit son champ d’application à toutes les passations de marchés publics sans exception468

. Les restrictions posées par le texte de 1994 ont ainsi disparu. Il s’agissait de la condition d’application aux marchés passés par des entités adjudicatrices et de la non-application aux marchés portant sur la défense et la sécurité nationales, aux marchés exclus par leur propre règlement ainsi qu’aux marchés exclus par la législation des Etats469. Cette définition extensive de la notion a pour objectif de prendre en compte l’évolution des pratiques dans ce domaine et notamment le recours aux communications électroniques. Celles-ci portent sur l’« acquisition » qui est le critère commun donné à la définition de la passation de marchés par les instruments de la CNUDCI470.

115. Enfin, les projets d’infrastructures à financement privé sont pris en compte par la CNUDCI au travers de deux instruments : le Guide législatif de la CNUDCI sur les projets d’infrastructure à financement privé (200) et les Dispositions types de la CNUDCI sur les projets d’infrastructure à financement privé (2003). Ils sont devenus une réalité importante surtout lorsque les Etats ne sont plus en mesure d’assurer la charge de tels projets471

. Les textes susmentionnés portent sur les projets d’infrastructure incluant une obligation pour les investisseurs sélectionnés d’entreprendre des travaux et recevant en échange la possibilité de faire payer l’utilisation ultérieure de l’infrastructure en question. En revanche, sont exclues du champ d’application les opérations dites de privatisation ainsi que les opérations liées à l’exploitation de ressources naturelles (notamment dans le cadre d’extraction minière,

467

V. NICHOLAS Caroline, « Reform of the UNCITRAL Model Law on Procurement », in EBRD, Law in transition online, October 2010, London, 9 pp. ; « A critical evaluation of the revised UNCITRAL Model Law provisions on regulating framework agreements », in Public procurement law review, 2012, Vol. 21, n° 2, pp. 19-46 ; v. aussi DISCHENDORFER Martin, « The UNCITRAL Model Law on Procurement: How Does it Reconcile the Theoretical Goal of Total Objectivity with the Practical Requirement for Some Degree of Subjectivity », in Public procurement law review, 2003, Vol. 12, n° 2, pp. 100-107.

468 V. art. 1er (champ d’application), Loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics (2011).

469 V. art. 1er (champ d’application), Loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés de biens, de travaux et de services (1994).

470

V. art. 2 (définitions), Loi type de la CNUDCI sur la passation de marchés de biens, de travaux et de services (1994) ; art. 2 (définitions), Loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics (2011) ; v. aussi dans la présente thèse : Annexe A (Lexique des termes juridiques de la CNUDCI).

471

THALMANN Philippe, « Le financement des grandes infrastructures : comment faire participer le secteur privé ? », in Revue économique, 1997, Vol. 48, n°2, pp. 189-196.

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exploitation de pétrole ou de gaz)472. Sont notamment cités comme exemples de secteurs d’infrastructure les télécommunications, l’électricité, l’eau et l’assainissement et les transports473.