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1 ère partie : La CNUDCI, force révélatrice du droit commercial international

Section 1 : Le mandat de la CNUDCI : la prise en compte universelle des besoins et des intérêts du commerce international

A. Les besoins et les intérêts du commerce international

22. D’une manière générale, lorsqu’on évoque la notion d’« intérêts », celle-ci fait référence à ce qui est utile aussi bien concrètement (argent, propriété, etc.) que moralement (affection, honneur, etc.) et pour laquelle elle est un sujet de préoccupation (cause ou motif) pour la personne concernée88. La notion de « besoin » englobe quant à elle l’élémentaire ou l’indispensable89. Si ces notions ont leurs détracteurs, comme M. HEUZÉ qui n’y voit qu’ « un slogan, qui traduit la désapprobation que les solutions du droit positif inspirent à ceux qui l’emploient »90

, les besoins et les intérêts du commerce international sont bien une réalité, pour ne pas dire, selon nous, une quasi-évidence. Si M. LEBOULANGER constate que la notion d’« intérêts » se retrouve particulièrement dans l’arbitrage91

, Mme NAJJAR va

88 V. CORNU Gérard (dir.), op. cit., vº Intérêt, pp. 506-507.

89 V. CORNU Gérard (dir.), op. cit., vº Besoin, p. 113.

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V. HEUZÉ Vincent, La réglementation française des contrats internationaux, Etude critique des méthodes, Paris, GLN, Joly, 1990, note 35, p. 102.

91 LEBOULANGER Philippe, « La notion d’« intérêts » du commerce international, Rev. arb., 2005, nº 2, pp.487-506.

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même jusqu’à évoquer dans sa thèse sur l’arbitrage dans les pays arabes, non pas les besoins et intérêts mais plutôt les exigences du commerce international92. L’explosion des activités commerciales mondiales a très vite montré les faiblesses d’un droit qui, en se fragmentant, peine à appréhender celles-ci93. Mme ZANOBETTI relève que « le développement économique, la libéralisation des échanges, la circulation des capitaux, bref, en un mot, la globalisation, ne peuvent se réaliser sans un environnement légal qui en assure le déroulement dans un cadre de sécurité juridique »94. M. LEBOULANGER considère que « le recours [aux intérêts] est fondé sur le postulat que, pour pouvoir satisfaire les besoins du commerce international, les contrats internationaux doivent être libérés des prohibitions de l’ordre juridique interne »95. Philippe FOUCHARD s’est interrogé à propos de ces intérêts en se demandant s’il s’agit simplement du développement des échanges économiques ou bien s’il faut l’étendre à la notion de développement durable, c’est-à-dire un commerce international au service de l’essor et bien-être des populations mondiales96

. Ces besoins et intérêts ne peuvent donc pas être écartés ni même ignorés car finalement la création de la CNUDCI, et la volonté d’obtenir des instruments d’harmonisation et d’uniformisation du droit commercial international, est une conséquence de cette constatation qui est également partagée par les tribunaux étatiques. Aussi, par exemple, l’arrêt Messageries maritimes rendu le 24 juin 1950 par la première chambre civile de la Cour de cassation française entend-il reconnaître et protéger les intérêts du commerce international en appliquant directement une règle de droit transnational97. Dans cette affaire, des clauses monétaires, censées protéger les parties, avaient

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NAJJA Nathalie, L’arbitrage dans les pays arabes faces aux exigences du commerce international, Paris, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, 2004, 640 pp.

93 V. BERGÉ Jean-Sylvestre, FORTEAU Mathias, NIBOYET Marie-Laure et THOUVENIN Jean-Marc (dir.), La fragmentation du droit applicable aux relations internationales, Regards croisés d’internationalistes privatistes et publicistes, Paris, Pedone, Coll. Cahiers internationaux, nº 27, 2010, 208 pp.

94 ZANOBETTI Alessandra, « La sécurité juridique des transactions internationales dans un monde global »,

Rev. dr. unif., 2010, p. 930.

95 LEBOULANGER Philippe, « La notion d’« intérêts » du commerce international, op. cit., p. 487.

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V. FOUCHARD Philippe, « La CNUDCI et la défense des intérêts du commerce international », in La

Commission des Nations Unies pour le droit commercial international : à propos de 35 ans d’activité, Petites

Affiches, 18 décembre 2003, n° 252, p. 36.

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V. Civ. 1ère, 21 juin 1950 : Rev. Crit. DIP 1950, 609, note BATIFFOL H., D 1651. 749, note HAMEL J., S. 1952 1.1., note NIBOYET J.-P., JCP 1950. II. 5812, note LEVY J. Ph.; v. aussi ANCEL Bertrand et LEQUETTE Yves, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Paris, Dalloz, 2006, 5ème éd., nº 22. V. aussi LEREBOURS-PIGEONNIERE Paul, « A propos du contrat international », J.D.I., 1951, pp. 4et suiv. : dans cet article, l’auteur conclut à le reconnaissance par la Cour de cassation d’une règle de

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été insérées par une société française dans des contrats internationaux (Canada et Pays-Bas). Or, celles-ci n’étaient pas reconnues valables par certaines lois. Si la Cour de cassation française, saisie de cette affaire, débute par une approche traditionnaliste selon laquelle « attendu que, si tout contrat international est nécessairement rattaché à la loi d’un Etat […] » (loi du for), elle constate que la clause monétaire prise en application du droit français (loi du 25 juin 1928) est valable sur le motif que celle-ci était « en conformité avec la notion française de l’ordre public international ». Aussi la cour vient-elle reconnaître expressément l’existence d’intérêts non plus seulement nationaux mais également internationaux. On peut tenter de dresser les grandes lignes régissant les besoins et les intérêts du commerce international, à savoir celle de la liberté du commerce international et celle de la sécurité juridique.

23. Afin de faciliter les relations économiques mondiales, Philippe FOUCHARD s’est en effet interrogé sur l’opportunité d’instaurer un principe général de liberté de circulation aussi bien pour les marchandises que pour les services, les capitaux, les individus ou les entreprises, voire même d’encourager la mondialisation d’une manière générale98

. Cette question démontre avant tout la réticence des Etats à libérer leur marché national souvent par souci de protection. Philippe FOUCHARD rajoute d’ailleurs à cette constatation que « la méthode des conflits de lois ne fait qu’aggraver la situation, en niant le particularisme des relations économiques internationales »99. Si les travaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) tendent à libéraliser le commerce des marchandises et des services ainsi que la propriété intellectuelle au travers d’accords applicables à ses Etats membres100

, la CNUDCI a reçu pour mission de lever ces obstacles en droit privé avec une insistance particulière sur le principe de la liberté contractuelle. Toutefois, la libéralisation des échanges de biens et de services au niveau mondial vient inévitablement bouleverser le cadre juridique traditionnel dévolu aux opérations internes relevant des règles de droit d’un seul Etat remettant en cause la sécurité juridique de celles-ci.

98 FOUCHARD Philippe, « La CNUDCI et la défense des intérêts du commerce international », op. cit., p. 36-42.

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Ibid., p. 40.

100 V. le site internet de l’OMC disponible à l’adresse suivante : www.wto.org ; à titre d’illustration, on citera les principes généraux de l’OMC à savoir l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

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24. Le besoin de sécurité dans le commerce international est alors primordial101. Il s’agit pour les opérateurs économiques de savoir quelles seront les conséquences juridiques d’un acte ou d’un fait. Or, dans un contexte international, cette sécurité peut être rapidement remise en cause par la simple méconnaissance des règles juridiques d’un autre Etat, mais aussi par leur variabilité, leur validité et leur interprétation. Il est d’autant plus justifié qu’il s’explique par le fait que les parties ou les services se trouvent dans une situation plus complexe que celle de droit interne. M. LOQUIN s’interroge sur le commerce international comme étant potentiellement une activité à risque102. En effet, aux difficultés liées au fait qu’elles se trouvent dans des Etats différents (avec parfois des systèmes juridiques et/ou économiques différents) s’ajoute l’évolution inévitable de la société (notamment à l’ère de l’électronique entraînant la dématérialisation de certaines relations). Ce risque peut être surmonté à partir du moment où s’instaure une véritable prévisibilité notamment quant au for compétent mais aussi concernant les jugements et les sentences arbitrales au plan international, le droit applicable ainsi que les lois de polices applicables. En ayant recours à la technique contractuelle et à l’arbitrage, les parties peuvent elles-mêmes sécuriser leur opération. Mais celle-ci peut avoir des limites, parfois liées aux maladresses de parties non spécialistes en droit commercial international. La sécurité et la transparence passent donc par la nécessité d’élaborer un cadre juridique qui puisse accroître la prévisibilité juridique.