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CONCLUSION DU TITRE 1 :

Chapitre 2 Vers une mutation des normes sources du droit commercial international ?

153. Le choix d’une conception extensive du droit commercial international par la CNUDCI confirme la nécessité de s’affranchir de tout lien national. Cette conception, dont un parallèle avec la Lex mercatoria ne peut être écarté663, se traduit par l’élaboration de normes spécifiques s’inscrivant dans cette même démarche, et ce au travers d’instruments juridiques adéquats. Il s’agit dès lors d’analyser comment, au travers des normes et des instruments de la CNUDCI, ceux-ci sont devenus progressivement des sources, à des degrés juridiques plus ou moins variables, du droit commercial international. Ces normes ainsi élaborées nécessitent un instrument capable de les porter juridiquement car, de toute évidence, il ne peut y avoir d’instruments sans normes et de normes sans instruments.

154. La norme est généralement définie comme une règle de droit ayant un caractère obligatoire, et ce quel que soit la source ou l’objet664

. Si la généralité de la norme nous apparaît comme un critère essentiel, on se rangera toutefois davantage vers la définition donnée par M. TERRÉ qui évoque « un énoncé, explicite ou implicite, qui dicte un

663 Pour une étude des instruments et des normes de la CNUDCI par rapport à la Lex mercatoria, v. dans la présente thèse : 2ème Partie, Titre 1, Chapitre 2.

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CORNU Gérard (dir), op. cit., v° Norme, p. 618 ; v. aussi GHESTIN Jacques, GOUBEAUX Gilles et FABRE-MAGNAN Muriel, Traité de droit civil, Introduction générale, Paris, L.G.D.J., 1994, 4ème éd. par. 5 et plus spéc. la note de bas de page 7 : les auteurs relèvent que « […] même s’ils ont sans doute au minimum, des

connotations différentes, le concept de normes se référant davantage au caractère obligatoire de l’énoncé juridique, tandis que celui de règle insiste plutôt sur son caractère général ».

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comportement »665 dans la mesure où la valeur obligatoire sera limitée aux instruments conventionnels et au principe d’autonomie de la volonté. Car les normes de la CNUDCI s’inscrivent davantage dans l’établissement de modèles de comportement plus que dans une obligation au sens strict du terme. Dans ce mouvement, on peut faire un rapprochement avec la Lex mercatoria qui est, quant à elle, définie comme « un ensemble de normes mondialisées, la norme mondialisée s’affirmant comme une solution juridique applicable dans l’espace international, indépendamment de la localisation de la situation qu’elle entend régir »666

. Et c’est justement l’objectif de la CNUDCI qui tend à établir un ensemble de normes mondialisées à destination des opérateurs économiques privés certes mais aussi des Etats. Les qualificatifs de la Lex mercatoria sont nombreux. Berthold GOLDMAN évoque des « règles transnationales »667 tandis que M. KAHN évoque la « coutume internationale » dans le domaine contractuel668 et Philippe FOUCHARD le « droit commun des nations » en matière d’arbitrage commercial international669

. M. AMSELEK considère que « le concept de « normes » ou « règles » (les deux termes sont à nos yeux de purs synonymes interchangeables) paraît constituer par excellence une clef pour entrouvrir les mystères du concept de loi, une sorte de voie royale d’accès à la demeure ou plutôt aux demeures de la loi »670. Par rapport à cette diversité, nous retiendrons donc la notion de « normes » comme regroupant les règles du commerce international telles qu’envisagées à la fois par la CNUDCI, tout comme la Lex mercatoria, en tant qu’expression d’un comportement à suivre.

155. L’instrument – pris dans le sens de l’étymologie latine « instrumentum »671

– désigne d’une manière générale le support permettant la mise en place – au travers des normes qu’il

665 TERRÉ François, « Forces et faiblesses de la norme », in La force normative, Naissance d’un concept, Paris, L.G.D.J., Bruylant, 2009, p. 9.

666 LOQUIN Eric, « Les rapports avec la Lex mercatoria », in La Commission des Nations Unies pour le droit

commercial international : à propos de 35 ans d’activité, Petites Affiches, 18 décembre 2003, nº 252, pp. 63-69.

667 GOLDMAN Berthold, « La Lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalité et perspectives », in J.D.I., 1979, pp. 475-505.

668 KAHN Philippe, La vente commerciale internationale, Paris, Sirey, 1961, 465 pp.

669 FOUCHARD Philippe, L’arbitrage commercial international, Dalloz, Paris, 1964, 613 pp., v. plus spéc. p. 401 et suiv.

670 AMSELEK Paul, « Norme et loi », in Arch. Phil. Dr., 1980, Tome 25, p. 89.

671 GAFFIOT Félix et FLOBERT Pierre, Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette, 2000, 2ème éd. revue et augmentée, vº Instrumentum, p. 834 : l’étymologie fait référence notamment au matériel, aux ressources, aux pièces et au bagage de l’orateur.

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contient – d’un cadre juridique assorti de droits et d’obligations et ayant le plus souvent un caractère obligatoire672. Par rapport au choix d’un ou des instruments, le mandat de la CNUDCI donne deux indications673. Il mentionne tout d’abord l’élaboration de nouveaux textes pouvant prendre la forme de conventions internationales, de lois types et de lois uniformes, mais inclut également la reconnaissance de textes déjà existants pour lesquels la CNUDCI ferait la promotion de leur adoption. Loin d’être exhaustif, le mandat précise également qu’il s’agit de promouvoir la codification, dans le mouvement donné en ce sens par l’article 13 de la Charte des Nations674

, ainsi qu’une acceptation générale des éléments de droit commercial international, désignant entre autres – sans doute implicitement – de manière indirecte la Lex mercatoria.

156. On peut se demander si ces normes et ces instruments, ainsi définis, constituent dès lors dans le cadre de la CNUDCI une source voire des sources du droit commercial international. On peut ainsi mentionner les sources formelles (comme par exemple le bloc de constitutionnalité, les traités internationaux et la loi)675 et les sources informelles (comme par exemple les contrats, la jurisprudence, la coutume et la doctrine)676 en tant que sources du droit. Or, le processus et les textes d’harmonisation et d’uniformisation du droit commercial international par la CNUDCI prennent une place originale dans les sources du droit dont l’analyse s’avère indispensable pour en comprendre l’impact sur le droit commercial international. La multiplication de propositions concernant de nouvelles catégorisations de ce

672

CORNU Gérard (dir), op. cit., v° Instruments juridiques, p. 501.

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V. la Résolution 2205 (XXI) de l’Assemblée générale (ONU), section II, par. 8, alinéa c ; v. aussi. Documents

officiels de l’assemblée générale, vingt et unième session, Annexes, point 88 de l’ordre du jour, documents A/6396 (annuaire de la CNUDCI, volume I : 1968-70 (A/CN.9/SER.A/197), Publication des Nations unies,

numéro de vente : F.71.V.1, I, p.70).

674 V. COT Jean-Pierre, PELLET Alain et FORTEAU Mathias, La charte des Nations Unies, Commentaire

article par article, Paris, Economica, 2005, 3ème éd., pp. 699-744 (commentaire de l’art. 13).

675 V. KELSEN Hans, Théorie pure du droit, Paris, Bruylant-LGDJ, Coll. La pensée juridique, 1999, 2ème éd., Trad. EISENMANN Charles, 367 pp.

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V. pour une étude d’ensemble : v. BUREAU Dominique, Les sources informelles du droit dans les relations

privées internationales, Paris, Université Panthéon-Assas Paris II, 1992, 814 pp. ; v. aussi les chroniques

régulières à la Revue de droit des affaires internationales et plus particulièrement à titre d’illustration : LOQUIN Eric, RAVILLON Laurence, MARTIN Annie et TOURARD Hélène, « Sources informelles du droit commercial international », R.D.A.I., 2008, nº 1, pp. 92-116 ; LOQUIN Eric, « les sources informelles du droit commercial international produites par la CNUDCI », R.D.A.I., 2008, nº 1, p. 103 ; RAVILLON Laurence, TOURARD Hélène et LOQUIN Eric, « Les sources informelles du droit des affaires internationales », R.D.A.I., 2010, nº 3, pp. 278-293 ; LOQUIN Eric et RAVILLON Laurence, « Sources informelles du droit des affaires internationales », R.D.A.I., 2011, nº 3, pp. 342-367.

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droit original s’est par ailleurs multipliée : force normative, droit mou (« soft law » en anglais), nivellement du droit, mutation des normes, jus cogens, etc… Il apparaît donc essentiel d’analyser les instruments et les normes de la CNUDCI dans la mesure où ils bousculent de manière évidente les droits nationaux certes mais aussi le droit international dans son ensemble. Certains auteurs se demandent même si un nouvel ordre juridique autonome n’émergerait pas677

. De toute évidence, si ces aspects sont à considérer, les travaux de la CNUDCI, tout comme la Lex mercatoria, contribuent à une évolution significative des normes répondant aux besoins et aux intérêts du commerce international678. Il s’agit dès lors d’analyser comment les instruments de la CNUDCI sont porteurs de normes de droit