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1 ère partie : La CNUDCI, force révélatrice du droit commercial international

Section 2 : La composition de la CNUDCI : la prise en compte universelle des opérateurs du commerce international

A. Les intérêts propres à chaque Etat

53. L’analyse de la composition de la CNUDCI démontre une présence essentiellement étatique. Les Etats y trouvent ainsi la possibilité de négocier selon leurs intérêts propres, parfois au détriment des véritables aspirations des opérateurs privés du commerce international. En effet, le conservatisme de certains Etats, réticents à modifier leur droit, peut faire obstacle au choix de nouveaux sujets d’harmonisation et d’uniformisation206

. M. DE CAROLIS note d’ailleurs avec justesse que ce dernier doit s’opérer en gardant en vue jusqu’où les Etats sont prêts à abandonner leur droit national et à accepter l’élaboration d’un

205 Ibid., par. 47-64.

206

V. GOODE Roy, KRONKE Herbert et MCKENDRICK Ewan, Transnational Commercial Law: Text, Cases

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droit uniforme207. C’est d’ailleurs ce que constate M. GUTTERIDGE : « the citizens of many countries are deeply attached to their national law: at one extrem we have, for instance, the Frenchman, who carries in his pocket the Code Civil, the dog-eared leaves of which bear witness to the frequency with which it is consulted, at the other end of the line we find the Englishman […] who is convinced that his common law is the quintessence of human wisdom and justice. It must not be forgotten that to invite the citizen to give up a rule of law to which he has become accustomed may be to demand almost as great a sacrifice as the abandonment of his national speech or religion »208 (« les citoyens de nombreux pays sont profondément attachés à leur droit national : d’un côté, nous avons, par exemple, le citoyen français, ayant dans sa poche le Code civil, dont les pages écornées reflètent la fréquence avec laquelle il le consulte, et de l’autre côté, le citoyen anglais […] qui est convaincu que la Common law demeure la quintessence de la sagesse humaine et de la justice. Il ne faut pas oublier que le fait de demander à un citoyen de renoncer à une règle de droit à laquelle il avait pris l’habitude de se référer peut être perçu comme un sacrifice aussi important que serait l’abandon de sa langue nationale ou de sa religion »209

). Le détachement des Etats, partiel ou total, à leurs droits nationaux demeure par conséquent complexe et n’est réalisable qu’au prix de négociations, parfois longues, au sein de la CNUDCI.

54. Mais cette défiance se mesure encore davantage à l’égard des autres Etats et des associations privées. A l’observation des organisations non gouvernementales dites invitées, on peut être de prime abord surpris par la présence massive d’associations d’origine privée, le plus souvent anglo-saxonnes et américaines. Face à ce constat, des Etats membres de la CNUDCI s’inquiètent d’un éventuel glissement de la CNUDCI vers une approche privilégiant les intérêts de Common law par une influence américaine210 au détriment du droit continental, voire d’une emprise trop marquée des organisations dites invitées. Aussi, par exemple, la

207 V. DE CAROLIS Daniele, « Some Features of the Harmonization of International Trade Law in the Third Millennium », in Rev. dr. unif., 2010, pp. 37-72.

208 V. GUTTERIDGE Harold C., Comparative Law: An introduction to the Comparative Method of Legal Study

& Research, Cambridge, University Press, 1946, p. 157 ; citation empruntée à DE CAROLIS Daniele, « Some

Features of the Harmonization of International Trade Law in the Third Millennium », in Rev. dr. unif. 2010, pp. 37-72.

209 Traduction non officielle.

210 V. RIFFARD Jean-François, « La mutation de la norme : l’avènement d’un droit nivelé ? Ou retour sur quelques aspects de l’unification et la globalisation des droits », in Les mutations de la norme, le renouvellement

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France constate-t-elle en 2007 qu’« une pratique s’est instaurée pour ce processus « législatif », dans laquelle les associations professionnelles privées qualifiées d’ONG jouent un rôle important compte tenu de l’expertise qu’elles détiennent dans les domaines abordés. Le facteur financier joue également un rôle non négligeable : la CNUDCI ne dispose pas de crédits destinés à financer les frais de déplacement et de séjour de ces experts. Il en résulte que les experts les plus présents sont, avec les délégués dépêchés par les États qui en ont la capacité économique, des représentants de ces associations privées »211. Les critiques les plus vives avaient été formulées à l’égard de deux organisations non gouvernementales : the Center for International Environmental Law (CIEL) et the International Institute for Sustainable Development (IISD) qui avaient été particulièrement critiques au cours des sessions du Groupe de Travail II lors de la révision du règlement d’arbitrage de la CNUDCI reprochant à celle-ci son incursion dans le droit international public par la prise en compte des arbitrages entre un Etat et un investisseur212. Si ces organisations peuvent participer aux sessions de la Commission et de ses organes subsidiaires selon les critères précédemment énoncés, il semble que leur participation soit donc allée au-delà de ce qu’on attendait légitimement de leur statut d’observateur. Face à cela, certains Etats membres ont donc demandé que la consultation de ces organisations demeure purement informelle et non opposable aux Etats Membres tout en rappelant que seuls les documents de travail distribués par les Etats membres pouvaient être soumis à la Commission et ses organes subsidiaires213. Toutefois, certains Etats ont indiqué que nonobstant les observations de la France susmentionnées, les méthodes de travail de la CNUDCI étaient satisfaisantes et répondaient à ses objectifs d’élaboration d’instruments d’harmonisation et d’unification à destination des opérateurs publics et privés214.

211 Note du Secrétariat, Documents de l’Assemblée générale (A/CN.9/635), Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Quarantième session, Vienne, 25 juin-12 juillet 2007, Questions diverses – Observations du Gouvernement français sur les méthodes de travail de la CNUDCI, par. 3.1.

212

V. COHEN Edward S., « Normative Modeling for Global Economic Governance: The Case of the United Nations Commission on International Trade Law (UNCITRAL) », in Brooklyn Journal of International Law, 2011, nº 567, Brooklyn, New York, pp. 1-33.

213 Note du Secrétariat, in Documents de l’Assemblée générale (A/CN.9/635), Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Quarantième session, Vienne, 25 juin-12 juillet 2007, Questions diverses – Observations du Gouvernement français sur les méthodes de travail de la CNUDCI, par. 3.2.

214 V. Note du Secrétariat, in Documents de l’Assemblée générale (A/CN.9/639), Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Quarantième session, Vienne, 10-14 décembre 2007, Règlement intérieur et méthodes de travail de la CNUDCI, Observations des Etats-Unis, 7 pp. ; v. aussi COHEN Edward S., « Normative Modeling for Global Economic Governance: The Case of the United Nations Commission on International Trade Law (UNCITRAL) », op. cit., pp. 1-33.

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55. Mais on peut se demander s’il y a réellement lieu de s’inquiéter de la participation des associations privées dans les travaux de la CNUDCI quand bien même elles représentent de manière plus concrète les opérateurs privés, principaux destinataires des règles du droit commercial international et évidemment pris en compte dans la théorie de la Lex mercatoria. Il semble que, au contraire, celles-ci contribuent à l’enrichissement des débats215. La délégation américaine estime que la participation d’observateurs est suffisamment encadrée : il suffit dès lors de préciser la pratique existante sans pour autant nécessairement créer des règles nouvelles à ce sujet216. Ce malaise démontre néanmoins que les Etats entendent continuer à être les seuls à donner les directions dans le processus d’élaboration du droit. Selon notre avis, ils ne doivent toutefois pas oublier que la participation des opérateurs privés est indispensable dans la mesure où ils seront les principaux destinataires des instruments adoptés. Il serait difficilement envisageable, pour la pérennité et la légitimité de la CNUDCI et de ses instruments, d’enfermer les discussions aux seuls Etats membres. Parce que l’objectif final est de recueillir le plus d’adhésion possible à un instrument qui serait reconnu par les opérateurs du droit commercial international comme suffisamment représentatif et reflétant parfaitement leurs préoccupations. Aussi la CNUDCI établit-elle une liste des organisations internationales et des organisations non gouvernementales qui seront invitées217. Il n’y a pas d’invitation accordée de droit mais plutôt une évaluation objective de la pertinence quant à la présence de telle ou telle organisation ou association. Par conséquent, la Commission ou ses organes subsidiaires peuvent inviter certaines organisations à participer à une session donnée dans la mesure où le thème de la discussion nécessite une expertise particulière qui ne pourra être enrichie que par la présence d’une organisation spécialisée. Inversement, la Commission peut recevoir une demande d’invitation de la part d’une organisation. Trois critères émergent : la coopération de longue date avec la CNUDCI, la pertinence de la participation et l’utilité de celle-ci218. Le Secrétariat se doit alors d’informer

215 POILLOT-PERUZZETTO Sylvaine, « Les méthodes de la C.N.U.D.C.I., le choix de l’instrument », in La

Commission des Nations Unies pour le droit commercial international : à propos de 35 ans d’activité, Petites

Affiches, 18 décembre 2003, n° 252, pp. 43-53.

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V. par exemple : Note du Secrétariat, in Documents de l’Assemblée générale (A/CN.9/639), Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Quarantième session, Vienne, 25 juin-12 juillet 2007, Règlement intérieur et méthodes de travail de la CNUDCI – Observations des Etats-Unis, par. 12-15.

217 V. Rapport de la Commission des Nations pour le droit commercial international, quarante-quatrième session (27 juin – 8 juillet 2011), in Documents officiels de l’Assemblée générale, Soixante-cinquième session,

Supplément n° 17 (A/65/17), Annexe III (Règlement intérieur et méthodes de travail de la CNUDCI), par. 9.

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les Etats membres de la Commission qui peuvent soulever une objection qui sera alors tranchée par la Commission elle-même219. Ce débat relance la nécessité de promouvoir les activités de la CNUDCI et d’encourager toute organisation ou toute association ayant une expertise à participer aux travaux220. Au-delà des intérêts nationaux, légitimes certes mais finalement contrôlables, le succès de la CNUDCI s’explique par sa capacité, et ce dès sa création, à regrouper l’ensemble des Etats sans être marquée par une domination politique exacerbée comme certains commentateurs ont pu le faire en évoquant la dimension « Europe de l’Ouest » d’UNIDROIT et de la Conférence de La Haye de droit international privé221

. La composition, ainsi établie, de la CNUDCI joue donc un rôle fondamental dans la reconnaissance et l’efficacité de ses travaux.