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CONCLUSION DU TITRE 1 :

Section 2 : L’internationalité des opérations

A. La consécration d’une approche juridico-économique de l’internationalité

137. L’internationalité d’un rapport juridique se constate traditionnellement par un « élément d’extranéité »601. Ce dernier se définit comme la « qualité de ce qui est étranger ; s’applique aux personnes (extranéité du demandeur) ou aux situations (rapport de droit présentant un élément d’extranéité) »602

. Cette définition est donc complétée par les auteurs qui considèrent que c’est à partir du moment où des éléments d’un quelconque rapport de droit sont extérieurs à un Etat que celui-ci devient international, celui-ci devenant un élément d’appréciation. Concrètement, les éléments dits d’extranéité peuvent prendre des formes diverses : il peut en effet s’agir de la nationalité des parties à un rapport de droit, de leur domicile se trouvant dans un Etat différent, du lieu de leur résidence habituelle (personne physique) ou de leur siège social (personne morale), du lieu de conclusion ou d’exécution – par exemple – d’un contrat ou tout autre acte juridique, du lieu de survenance d’un fait

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CORNU Gérard (dir.), op. cit., v° International, p. 508 : référence est faite aux thèmes suivants : crime, délit, droit, droit du travail, fleuve, fonctionnaire, juridiction, organisation, droit privé, droit public et société.

601 V. pour une étude d’ensemble : WYLER Eric et PAPAUX Alain (dir), L’extranéité ou le dépassement de

l’ordre juridique étatique, Paris, Pedone, 1999, 317 pp.

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juridique ou du lieu de situation d’un bien603

. Comme le constate M. SORIEUL : « outre la tension entre les aspirations à l’autorégulation exprimées par les opérateurs et le nécessaire maintien d’une structure de contrainte d’origine étatique, une autre tension existe bien sûr entre les différents ordres juridiques étatiques susceptibles de s’intéresser à une même opération du commerce international »604. Et cette tension est prise en compte par la méthode conflictuelle. MM. JACQUET, DELEBECQUE et Mme CORNELOUP considèrent en effet que « l’internationalité, assimilée à la présence d’un élément d’extranéité au sein du rapport juridique, remet en cause l’application systématique de la loi du for, et autorise ou impose au juge éventuellement saisi, l’application d’une règle de conflits de lois susceptible de conduire à l’application d’une loi étrangère »605

. Or, dans le contexte de la CNUDCI, celle-ci ne peut pleinement se satisfaire d’une définition purement juridique de l’internationalité qui aurait pour conséquence de finalement privilégier la seule méthode conflictuelle. MM. JACQUET, DELEBECQUE et Mme CORNELOUP en concluent avec justesse que « pour exacte qu’elle soit, cette conception [juridique] de l’internationalité ne saurait être considérée comme seule apte à rendre compte de la réalité profonde du droit du commerce international »606. La CNUDCI a donc ajouté un critère économique à la conception juridique en considérant que l’internationalité d’une opération (critère juridique) découle de son lien avec les besoins et les intérêts du commerce international (critère économique)607. L’insertion de ce dernier se retrouve également consacrée en droit français de l’arbitrage notamment dans l’article 1504 du Code de procédure civile qui considère qu’« est international l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international »608 et par la nombreuse jurisprudence en ce sens609.

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MAYER Pierre et HEUZE Vincent, Droit international privé, 10ème éd., Montchrestien, coll. Domat privé, p. 62 et suiv.

604 SORIEUL Renaud, « Présentation générale des textes de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) dans la perspective d’un meilleur accès aux financements », in Symposium

sur l’accès aux financements internationaux, Actes de la table ronde préparatoire nº 3 : La bonne gouvernance : objet et condition du financement, 20-21 novembre 2003, Paris, Publication de l’Organisation internationale de la

francophonie, 2003, pp.265-271.

605 JACQUET Jean-Michel, DELEBECQUE Philippe et CORNELOUP Sabine, op. cit., par. 17.

606

Ibid., par. 18.

607 CORNU Gérard (dir.), op. cit., v° International, p. 508 : « sens économique. Qui met en cause des intérêts du

commerce international ».

608 Depuis le décret nº 2011-48 du 13 janvier 2011 (anciennement article 1492 du Code de procédure civile).

609

V. par ex. Paris, 29 mars 2001, Rev. arb. 2001, p. 543, note BUREAU Dominique ; Paris, 17 janvier 2002,

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138. Par conséquent, une opération est internationale si elle implique un mouvement de biens, de fonds ou de services à travers les frontières. Ce critère se réfère en effet aux besoins et aux intérêts du commerce international610. Certains auteurs résument cette conception en évoquant des « contrats intéressant l’économie de plusieurs pays », l’extranéité faisant place au critère économique611. Si, selon nous, cette conception n’efface en rien l’approche classique fondée sur les éléments d’extranéité, elle élargit en revanche le champ d’application en retenant les conséquences de l’opération sur le plan économique. Il s’agit d’une illustration parfaite de l’absorption de l’économie par le droit provoquant un détachement aux règles traditionnelles de conflit de lois en se détachant – tout au moins partiellement – des ordres juridiques nationaux.

139. On peut toutefois se demander si cela contribue réellement à rendre le droit commercial international autonome. La doctrine semble nuancée sur ce point et considère finalement que droit commercial international et droit étatique se nourrissent l’un à l’autre de manière réciproque612. En effet, le droit commercial international s’inspire de droits nationaux pour créer ses propres normes tandis que les Etats incorporent parfois dans leur propre système juridique des normes issues d’opérations internationales613

. Le caractère international des instruments de la CNUDCI est parfois compris par certains tribunaux nationaux comme une interdiction d’interpréter ceux-ci en se référant à leur droit national propre614

. Pourtant, il ne s’agit pas de mettre à l’écart ce dernier – car, au contraire, l’analyse de la législation interne peut contribuer à la compréhension des textes internationaux615 – mais de rendre en

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V. dans la présente thèse : 1ère Partie, Titre 1, Chapitre 1.

611 JACQUET Jean-Michel, DELEBECQUE Philippe et CORNELOUP Sabine, op. cit., par. 19 ; v. aussi LEBOULANGER Philippe, « La notion d’intérêts du commerce international », op. cit., pp. 487 et suiv., spéc. pp. 496 et suiv.

612

JACQUET Jean-Michel, DELEBECQUE Philippe et CORNELOUP Sabine, op. cit., par. 20.

613 LOQUIN Eric, « Où en est la lex mercatoria ? », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin

du XXème siècle, Mélanges Philippe Kahn, Paris, Litec, 2001, Université de Bourgogne, C.N.R.S., p. 23 et suiv.

614

V. par ex. sur le caractère international dans le cadre de l’interprétation de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (Vienne – 1980) : CNUDCI, Décision 138 [Federal Court of Appeals for the Second Circuit, États-Unis d’Amérique, 6 décembre 1995] ; CNUDCI, Décision 84 [Oberlandesgericht Frankfurt am Main, Allemagne, 20 avril 1994] ; CNUDCI, Décision 201 [Richteramt Laufen des Kantons Berne, Suisse, 7 mai 1993] ; CNUDCI, Décision 418 [Federal District Court, Eastern District of Louisiana, États-Unis, 17 mai 1999].

615 Sont évoqués l’historique législatif et la littérature juridique internationale : v. par ex. : CNUDCI, Décision 84 [Oberlandesgericht Frankfurt am Main, Allemagne, 20 avril 1994] et CNUDCI, Décision 26 [Oberster Gerichtshof, Autriche, 13 avril 2000].

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réalité autonome le texte en question616. En définissant et incorporant un critère d’internationalité, la CNUDCI contribue par conséquent à rendre autonome ses textes. Il s’agit dès lors d’étudier l’application concrète de ce critère.

B. L’application du critère d’internationalité dans les textes de la