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Chapitre 2 : La diffusion d’une norme participative en France et en Allemagne France et en Allemagne

A) La mise en scène du pouvoir mayoral

1) La valorisation du registre de la proximité en France

La participation locale est un symbole renvoyant à deux significations entrelacées, d’une part celle d’une communauté solidaire et d’autre part celle d’un locus propice à ce mode de fonctionnement. Il n’est donc pas étonnant qu’elle soit mobilisée dans les discours politiques. Selon Cornélius Castoriadis, la signification est

« Un faisceau indéfini de renvois interminables à autre chose que (ce qui paraîtrait comme immédiatement dit). […] La signification pleine d’un mot est tout ce qui, à partir ou à propos de ce mot, peut être socialement dit, pensé, représenté, fait »1.

La signification imaginaire renvoie à l’imaginaire social qui institue les significations des choses pour un groupe social donné. Dans la culture politique française, la participation locale renvoie à la commune2 pour laquelle il existe un attachement profond. Les élus locaux restent les élus préférés des Français parce qu’ils sont au contact de leurs préoccupations quotidiennes, leur rôle est régulièrement valorisé dans le discours politique3. Dans le cadre de la campagne des élections présidentielles de 2007, plusieurs candidats ont manifesté leur attachement à la ruralité et aux 36 000 communes, à l’instar du candidat centriste4, du candidat de CPNT, du candidat soutenu par le PT et du candidat du MPF5. La commune définit en fait le cadre mythique de la participation en France : la proximité n’est pas un gage démocratique, mais elle est utilisée dans ce sens dans les discours politiques. Nous nous sommes appuyé sur quatre discours présidentiels entre 2000 et 2002 évoquant la réalité de la

de trouble et de désorganisation législative ». Adhémar ESMEIN, 1894, « Deux formes de gouvernement », Revue de Droit Public, p. 41.

1 Cornélius CASTORIADIS, 1975, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, pp. 359-360.

2 Luciano VANDELLI, 2000, « La cellule de base de toutes les démocraties », Pouvoirs, n°95, pp. 6-7.

3 Allocution de François Mitterrand le 17 novembre 1994 lors du Congrès de l’AMF. La France

a-t-elle encore besoin d’élus? Actes du colloque 14 et 15 octobre 2004 au Palais du Luxembourg, Paris,

Institut François Mitterrand, p. 11.

4 Allocution de François Bayrou au Congrès des Maires de France, 21 novembre 2006 : « Je suis un ardent défenseur des 36 000 communes. La plus petite commune de ma circonscription, dans les Pyrénées-Atlantiques, avait, il y a peu, 18 habitants ; la plus grande 85 000. Je n’ai jamais considéré la commune de 18 habitants comme secondaire par rapport à celle de 85 000 ».

http://www.bayrou.fr/discours/bayrou-congres-maires-211106.html, site consulté pour la dernière fois le 3 mars 2007.

5 Les points 265 à 269 du programme de Philippe de Villiers insistent sur la priorité donnée aux 30 000 communes rurales. http://www.pourlafrance.fr/projetpresidentiel.php#ruralite, site consulté le 6 avril 2007 pour la dernière dois.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 126 démocratie locale pour analyser la manière dont la proximité a été mise en scène, le tableau suivant définissant le lieu et les circonstances de ces discours.

Tableau 9 : Les discours présidentiels sur la démocratie locale entre 2000 et 2002

Lieu et date du discours présidentiel Destinataires et Circonstances du discours présidentiel

Rouillac, 21 septembre 2000 Maires de la Charente, discours de campagne référendaire

Nîmes, 25 octobre 2001 Maire de Nîmes et aux élus locaux présents, pré-campagne électorale

Rouen, 10 avril 2002 Assises des libertés locales, discours de campagne présidentielle

Troyes, 14 octobre 2002 Maire de Troyes et élus locaux, préparation de l’acte II de la réforme de décentralisation

Source : Archives du site de l’Elysée

Il faut rappeler que le contexte des discours de 2002 sur la démocratie locale est destiné en filigrane à préparer la révision constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République. L’étude du lexique de ces discours a été effectuée à l’aide du logiciel d’analyse sémantique Tropes afin de repérer les thèmes récurrents et la construction de ces discours sur la démocratie locale qui sont pris dans un contexte similaire. L’approche lexicométrique a des limites certaines, dans la mesure où les symboles ont un contenu syncrétique qui augmente l’étendue des connotations et parfois des malentendus. Étant fondée sur la notion de fréquence, elle permet de pointer les alliances thématiques et la dynamique d’un discours politique et d’établir des marqueurs lexicaux1. Dans le cadre de ces discours sélectionnés, il s’agit de montrer en quoi le champ de la démocratie locale est invoqué pour conforter la place de ces élus et annoncer le deuxième acte de décentralisation.

Tableau 10 : Analyse de la dynamique discursive des discours présidentiels sur la démocratie locale

Discours

présidentiels Verbes

2 Champ lexical du

territoire du discours (type Structure de scénario) Champ lexical de la démocratie locale

1 Frédéric BON, 1991, Les discours politiques, Paris, éditions Economica, p. 262.

2 Le logiciel distingue quatre types de verbes, les verbes exprimant des actions (factifs), ceux indiquant un état ou une notion de possession (statifs), ceux exprimant une déclaration sur un être, un état, un objet (déclaratifs) et ceux qui sont des actes de langage (performatifs).

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 127 Rouillac

(2649 mots) déclaratifs (24,4%), 95 verbes 171 verbes factifs (43,8%), 121 verbes statifs (31%), 3 verbes performatifs (0,8%) 6 occurrences du territoire (pris en tant qu’adjectif ou en tant que nom)

Territoire associé à mission, action publique, cohésion sociale, lien entre les hommes

Discours dont les thèmes portent

principalement sur des sujets de politique et de société (166 références, 43 occurrences du terme « démocratie », 13 références au citoyen, 21 au vote, 9 au référendum) 5 occurrences, association avec vitalité, proximité, participation, citoyenneté, dialogue social, référendum local, référendum d’initiative populaire Nîmes

(2135 mots) factifs (47,7%), 74 137 verbes verbes statifs (25,8%), 72 verbes déclaratifs (25,1%), 4 verbes performatifs (1,4%) Territoire associé à l’action des collectivités locales (fiscalité et développement) Politique et société (129) occurrences de 3 la démocratie locale, 2 occurrences des « libertés locales » et 1 référence au « dialogue local » Rouen

(2708 mots) factifs (48,3%), 107 189 verbes verbes statifs (27,4%), 92 verbes déclaratifs (23,5%), 3 verbes performatifs (0,8%) 7 occurrences du territoire (vie, communication, politique de la ville) Politique et société (146) occurrences de 3 la démocratie locale, 1 du référendum local, 2 des libertés locales) Troyes (3875 mots) 267 verbes factifs (48,6%), 154 verbes statifs (28,1%), 123 verbes déclaratifs (22,4%), 5 verbes performatifs (0,9%) 6 occurrences du territoire (action économique, vie) Politique et société (199 références) 5 occurrences des libertés locales, 3 de la démocratie locale et de la démocratie de proximité, 1 du référendum local

Source : Recherches personnelles et analyse lexicométrique à l’aide du logiciel Tropes Lorsque nous comparons ces discours, sachant qu’ils s’inscrivent au sein d’un contexte législatif particulier1, nous repérons clairement le champ lexical de la démocratie locale. Cette dernière est essentiellement décrite par des verbes statifs (l’état de la démocratie

1 Les discours de Rouen et de Troyes sont postérieurs à la loi du 27 février 2002 sur la « démocratie de proximité ». Le discours de Troyes vise la préparation du projet de décentralisation du gouvernement Raffarin.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 128 locale) et des verbes déclaratifs (déclarations sur le fonctionnement de la démocratie locale). Le contexte politique est déterminant en ce que les discours du Président en période de cohabitation et de campagne électorale sont beaucoup plus axés sur la volonté d’approfondir l’état de la démocratie locale. À ce titre, le discours de Rouillac est plus explicite sur les instruments de la démocratie locale et sur l’insertion du référendum local1, alors que le discours de Troyes est plus prudent et mentionne la possibilité du droit de pétition et de référendum local pour les habitants désireux de faire entendre leur voix. Le local est perçu dans sa dimension exemplaire de possibilité et d’animation par les élus locaux. Ainsi, dans le discours de Rouillac, en s’adressant aux élus locaux charentais, le président déclarait:

« La démocratie locale a valeur d’exemple. C’est grâce à vous que la démocratie signifie service, proximité, participation au lieu d’être seulement une idée, un rite, un moyen d’organiser la compétition pour le pouvoir ».

Tous les discours sont organisés en fonction de l’idée que la démocratie locale est une démocratie vivante, de participation et de solidarité entre les habitants et leurs élus. Les catégories de citoyen et d’habitant sont convoquées simultanément, la sphère locale mêlant le domaine privé et public.

Ce carrefour lexical est au centre de la dynamique discursive, à savoir « l’entrelacs » ou le « chiasme »2 entre la sphère publique et la sphère privée. Castoriadis, dans Les

Carrefours du Labyrinthe VI3, définit la différence entre trois types de sphères humaines en se

référant au régime athénien, la sphère du privé/privé (l’oïkos, c’est-à-dire la sphère domestique), la sphère du privé/public (l’agora, c’est-à-dire le lieu où nous rencontrons les autres), et la sphère du public/public (l’ecclésia, où les décisions se prennent). Le discours sur la démocratie locale relie les sphères du privé/public et du public/public : les élus s’adressent aux habitants pour les rendre solidaires de leur action, car ils restent maîtres des décisions même si le référendum local décisionnel offre la possibilité aux habitants de faire des incursions exceptionnelles dans cette sphère publique/publique. L’élu local est celui qui agit directement pour que la sphère privée/publique soit plus harmonieuse. Autrement dit, le discours sur la démocratie locale n’énonce en aucun cas la nécessité d’une citoyenneté plus

1 Le discours de Rouillac fut un discours de fin de campagne, trois jours avant le référendum portant sur la réforme du quinquennat.

2 Maurice MERLEAU-PONTY, 1964, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, pp. 172-204.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 129 élargie dotée d’instruments de participation directe, mais plutôt celle d’une solidarité plus forte entre les habitants et les élus locaux. L’habitat, qui renvoie au domaine de la sphère privée/privée et de la sphère privée/publique est caractéristique de la vie politique locale : les habitants peuvent se plaindre, éventuellement se mobiliser pour faire part de leurs revendications aux élus locaux. La symbolique de la démocratie locale se situe dans cette frontière ; on sait qu’en grec, le symbolon indique les deux faces d’un même objet et ce qui les fait tenir ensemble1 : le lien entre l’habitat et le territoire local est judicieusement mis en valeur dans les discours sur la démocratie locale. Castoriadis effectue pour sa part une distinction centrale entre le symbolique et l’institution.

« Les institutions, écrit-il, ne se réduisent pas au symbolique, mais elles ne peuvent exister que dans le symbolique, elles sont impossibles en dehors d’un symbolique au second degré, elles constituent chacune son réseau symbolique »2.

Les symboles (les signifiants) sont attachés à des signifiés (des représentations) : la symbolique de la démocratie locale fait surgir la poétique d’un espace intime3 au sein de la sphère publique. John Searle insiste sur l’opérativité d’un signifiant flottant dans le discours :

« il y a des mots, des symboles, ou autres dispositifs conventionnels, qui signifient quelque chose ou expriment quelque chose ou représentent ou symbolisent quelque chose qui les dépasse, d’une manière qui est publiquement compréhensible »4.

L’institution qui est une dialectique de l’instituant et de l’institué, va au-delà du symbolique. L’institution de la démocratie locale en France via la reconnaissance juridique et politique d’un faisceau d’instruments de participation locale transcende la symbolique de la proximité entre élus et administrés qui tend à ancrer l’équation représentative aux échelons locaux. Le registre de la proximité justifie le fait que les élus locaux incarnent à eux seuls la démocratie locale. Ce discours de proximité est relayé par les élus locaux eux-mêmes qui se vantent d’être en contact permanent avec le citoyen sans perdre pour autant le monopole de décision. L’imputation, à savoir le « discours visant à ce qu’un public attribue à un homme »5, n’existe plus tant du point de vue de la rhétorique du maire entrepreneur, au centre de l’action

1 ARISTOTE, 1989, De l’interprétation, Paris, éditions Vrin pour la traduction française, p. 78

2 Cornélius CASTORIADIS, 1975, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, p. 174.

3 Gaston BACHELARD, 1994, La poétique de l’espace, Paris, PUF.

4 John SEARLE, 1998, La construction de la réalité sociale, Traduit par Claudine Tiercelin, Paris, Gallimard, p. 85.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 130 économique et sociale que du point de vue de la capacité d’écoute. L’image participative est au service de la mutation de ce rôle au sein de l’espace public. Lors d’un entretien avec un fonctionnaire territorial de la mairie d’Arcueil, chargé de la mission citoyenneté, celui-ci nous a exposé la façon dont la démarche de participation des habitants à la vie locale était conçue :

« Il y a un attachement réel à la personnalité du maire. Le maire est l’élu le plus apprécié par la population. Il est nécessaire de rétablir le contact entre les décideurs et la population, le premier échelon étant celui de la démocratie de proximité. Cette démarche participative est une démarche d’enrichissement et non une démarche de neutralisation de la démocratie représentative »1.

Les élus souhaitent clarifier leur politique à la population et tout ce qui concourt à cette présentation est à mettre sur le compte de la démocratie de proximité. Les conflits sont interprétés dans le sens d’une non-participation ou d’une démarche personnelle. Comme le confiait le maire-adjoint communiste d’Arcueil,

« Il y a un rapport à la participation qui est curieux en France. On a une demande de participation et de proximité mais pas au point que la proximité empêche les décisions des élus. Au nom de la proximité, on dit aux gens : occupez-vous de tout ce qui est proche, la politique relève de la nation. On a ainsi un dessaisissement du droit des citoyens à intervenir sur les choix politiques du pays, c’est un thème dangereux »2.

Par conséquent, les élus organisent et pilotent la participation locale alors qu’en Allemagne, cette participation est conçue en dehors de l’influence directe des élus locaux, même si cet espace est strictement contrôlé. L’incarnation de la démocratie locale en France pose le problème d’une distanciation nécessaire à l’exercice du mandat pour les élus3. Les affaires publiques locales sont ainsi gérées dans un domaine imbriquant la sphère privée et la sphère publique. L’indépendance du mandat est exclue de ce type de conception et l’invocation du référendum local s’inscrit dans la perspective d’une légitimation de l’influence du maire sur cette scène publique / privée.

1 Entretien réalisé par nos soins avec Farid Benadou, responsable de la mission citoyenneté de la mairie d’Arcueil, à Arcueil le 12 décembre 2003.

2 Entretien réalisé avec Max Staat le 14 décembre 2003.

3 Marion PAOLETTI, 1999, « La démocratie locale française. Spécificité et alignement », dans CURAPP/CRAPS, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, Paris, PUF, p. 48.

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