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Chapitre 2 : La diffusion d’une norme participative en France et en Allemagne France et en Allemagne

A) L’attitude des partis politiques face à l’idéologie participative

3) L’idéologie participative des partis hors système

Dans les deux pays, les partis à la marge du système ont toujours revendiqué un surcroît de démocratie directe, car ils n’y sont pas intégrés. Les partis d’extrême droite (Die

Republikaner, le DVU et le NPD) ont réaffirmé dans leurs programmes des législatives de

2005 leur attachement au référendum et à l’initiative populaire sans pour autant définir un cadre précis d’expérimentation ou discuter d’un quelconque quorum. En France, le Front National, le MNR et dans une certaine mesure le MPF, sont attachés à l’expression de la souveraineté populaire via des instruments de démocratie directe.

Le thème de la démocratie directe est utilisé stratégiquement par des partis politiques non intégrés au système, c’est-à-dire n’ayant pas ou peu de représentants parlementaires. Ils jouent alors sur l’écart des systèmes représentatifs entre une souveraineté populaire et une souveraineté nationale, pour incarner une contestation du système politique jugé oligarchique. En pratique, deux des quatre communes acquises à l’extrême droite aux municipales de 1995, Vitrolles4 et Marignane1, ont eu recours au référendum local contre l’installation de l’aéroport

1 François HOLLANDE, 2006, Le devoir de vérité, p. 142. Le Projet socialiste, p. 23 : « nous reconnaîtrons le droit de vote pour les scrutins locaux aux résidents étrangers en situation régulière, et résidant depuis cinq ans dans notre pays ».

2 Les communes communistes de la région parisienne se sont faites les championnes d’une telle pratique. Isabelle MANDRAUD, Jean-Baptiste de MONTVALON, Le Monde, 25 mars 2006, « Consultation à Saint-Denis sur le droit de vote des étrangers », p. 11. Libération, samedi 10 et 11 décembre 2005, « Vote des étrangers, qu’est-ce qu’on attend ? ». En décembre 2002, une première votation citoyenne sur le droit de vote et d’éligibilité des étrangers est organisée en France dans 70 communes gérées par la gauche. Au total, environ 40 000 personnes participent à un scrutin qui recueille 91,2% de oui.

3Voir le programme adopté en décembre 2003 et en janvier 2004,

http://programme.lesverts.fr/article.php3?id_article=292, site consulté le 1er décembre 2006.

4 Les deux délibérations prises par le Conseil Municipal de Vitrolles le 12 novembre 2001 ont été annulées.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 151 de Marseille. Malgré ce référendum annulé, les communes FN n’ont pas mis véritablement en pratique une idéologie référendaire2. D’autres maires, aux thèses idéologiques proches, ont eu également recours au référendum local. Le 24 novembre 1996, Jacques Peyrat, passé du FN au RPR et nouvellement élu, a organisé un référendum pour la reconduction de l’arrêté réglementant la mendicité l’été, lequel fut annulé par la suite par le TA de Nice le 9 décembre de la même année. Si le taux de participation s’est élevé à 22,7%, 66,3% des exprimés se sont déclarés en faveur de cette reconduction, conformément aux vœux de la majorité municipale. Il existe bien un tropisme populiste de l’extrême droite3 qui utilise un sentiment de défiance à l’égard du système représentatif sans approfondir la façon dont les instruments de démocratie directe pourraient être mis en place. Selon Gilles Ivaldi,

« cet appel au “peuple véritable” contre les élites au travers de la pratique du référendum représente un exemple particulièrement intéressant de cette capacité de l’idéologie populiste à mobiliser les masses à partir de revendications en apparence démocratiquement légitimes – en l’occurrence ici la demande de plus de démocratie directe – pour des motifs et objectifs contraires aux principes mêmes des régimes pluralistes représentatifs, illustrant pleinement de la sorte l’ambiguïté de la relation qu’entretient le populisme avec le système démocratique »4.

Les partis d’extrême droite ont adapté leur idéologie à l’évolution des valeurs démocratiques des sociétés post-industrielles ainsi qu’à la contestation des normes traditionnelles de l’exercice politique5, d’où la revendication de la démocratie directe.

Les partis écologistes ont très tôt développé une culture de la démocratie directe dans leur entrée dans le système politique. Que ce soit en France ou en Allemagne, les partis écologistes ont été les premiers à préciser la manière dont on pouvait développer l’initiative populaire et le référendum local. En Allemagne, les Verts sont la mouvance qui s’est le plus

1 Les deux délibérations du 18 septembre 2001 et du 15 octobre 2001 annonçant un référendum local, ont été annulées.

2 Une consultation qualifiée de « mini-référendum » a été organisée le 15 septembre 1997 à Vitrolles pour rebaptiser l’avenue François Mitterrand. Une lettre aux riverains de la rue a été adressée concernant cette consultation. Libération, 23 septembre 1997.

3 Hans-Georg BETZ, 2004, La droite populiste en Europe, Extrême et démocrate, Paris, éditions Autrement, collection Cevipof, p. 99.

4 Gilles IVALDI, 2004, Droites populistes et extrêmes en Europe occidentale, Paris, La documentation française, pp. 38-39.

5 Michael MINKENBERG, Pascal PERRINEAU, 2007, « The Radical Right in the European Elections 2004 », International Political Science Review, Vol. 28, n°1, p. 31.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 152 revendiquée du postmatérialisme puisqu’au milieu des années 1980 où ils comptaient jusqu’à 1000 élus au niveau local, régional et fédéral. Ils ont commencé à être une force structurante en participant aux élections depuis 1976/19771. Dans certaines villes, les Verts sont apparus sur la scène politique suite à l’organisation d’une Bürgerinitiative et d’un comité référendaire. Le 2 mars 1975, le groupe « Wählergemeinschaft Unabhängiger Bürger » (WUB, groupes des citoyens indépendants) a gagné six sièges (14,3% des voix) dans l’arrondissement de Berlin-Zehlendorf. Lors des élections communales du 20 mars 1977 dans le Land de Hesse, un groupe écologiste du nom de « Wählergemeinschaft Darmstadt – Bürger gegen die

Osttangente » (Le groupe des électeurs de Darmstadt – citoyens contre la tangente de l’Est) a

gagné cinq sièges (8% des voix) à l’assemblée de la ville2.

Alors qu’ils avaient été les plus opposés à la mise en forme d’un système représentatif, au début des années 1980, ils ont adapté l’idéologie de la « démocratie de base » (Basisdemokratie) pour l’infléchir dans le sens d’un complément des institutions représentatives. Lors de la discussion au Parlement de Bade-Wurtemberg sur l’abaissement du quorum d’approbation exigé pour les référendums locaux, un député de la CDU a qualifié de « rot-grüne Ideologie » le fait de valoriser systématiquement la participation sans en analyser les conséquences sur le système politique3. Il est évident que la promotion d’instruments de démocratie directe a été favorisée par les nouveaux entrants politiques que sont les Verts à la fin des années 1980. En 1988, les Verts allemands ont envoyé de nombreux conseillers municipaux dans les villes de plus de 50 000 habitants. En 1992, sur 158 villes de cette taille dans les anciens Länder, les Verts ont des élus dans 84 villes alors qu’en 1980 ils en avaient dans 42 villes4. Les écologistes français se sont organisés électoralement dès 1973, mais ils n’ont pas réussi à s’imposer comme une force structurante de la vie politique contrairement à leurs homologues allemands. Les Grünen, créés en 1980, sont entrés au Bundestag avec 28

1 Axel MURSWIECK, 1985, « La représentation comme processus politique, réflexion sur les institutions et les modalités de la représentation politique en République Fédérale d’Allemagne », dans François d’ARCY (dir.), La représentation, Paris, éditions Economica, p. 169.

2 Wolfgang POHL, Uli BURMEISTER, Marianne FRIEDRICH, Herbert KLEMISCH, Hubert LOMMER (Dir.), 1985, Handbuch für alternative Kommunalpolitik, AJZ Verlag, p. 26.

3 Séance du 1er juin 2005 à laquelle nous avons participé. Réaction d’un député de la CDU, applaudi par son banc.

4 Hiltrud NAβMACHER, März 2001, « Die Bedeutung der Kommunen und der Kommunalpolitik für den Aufstieg neuer Parteien », Zeitschrift für Parlamentsfragen, Jahrgang 32, p. 10.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 153 députés élus en 1983 et 44 en 1987 alors qu’aux élections municipales françaises de 1983, les écologistes ont à peine totalisés 0,6%. De 1974 à 1988, le score des écologistes français n’a jamais dépassé les 5% tous scrutins confondus.

Les partis régionalistes sont aussi parfois plus enclins à développer des thématiques de démocratie directe, du fait de leur faible visibilité. En France, l’exemple de la Ligue savoisienne est à ce titre révélateur puisque ce parti revendique l’initiative populaire, le référendum ainsi qu’une rénovation de la vie politique. Selon l’un de ses membres, « l’inspiration est en partie issue de la Confédération [helvétique] qui est toute proche, d’autant plus que Jean de Pingon, le fondateur, a la double nationalité »1. Régulièrement au cours de ses congrès, la Ligue Savoisienne, rattachée au groupe européen fédéraliste, insiste sur la promotion du référendum d’initiative populaire. Chez des élus à coloration régionaliste, le référendum fait partie d’une démarche politique autonome. Nous avons réalisé un entretien avec Gilles Maistre, maire écologiste indépendant et régionaliste de la commune d’Entremont en Haute-Savoie. Ce maire, élu depuis 1989, a organisé quatre référendums locaux dans sa commune de moins de 500 habitants. Le premier en 1992 a porté sur la construction de logements, le deuxième a concerné le choix du rattachement de la commune à la communauté de communes de Bonneville ou de Thônes et le troisième en 1996 a eu pour objet la création d’une piste pastorale. Pour le dernier référendum local consultatif, celui-ci a porté sur l’interdiction des OGM, la préfecture n’a rien dit en raison du caractère consultatif de ce référendum. Pour cet élu attaché à la démocratie rurale,

« Le village est l’alvéole de la démocratie. Il en faut des milliers pour qu’une démocratie forte puisse se développer […] Par rapport à cette alvéole, il faut préserver les conseils municipaux. La décentralisation accentue le pouvoir des structures intercommunales. Le Parti Socialiste souhaite que ces structures soient élues au suffrage universel. Cela apparaît comme démocratique mais il faut que les délégués puissent être désignés et contrôlés par le conseil municipal. Cela politiserait le conseil municipal qui risque sinon d’être dépossédé de tout »2.

Gilles Maistre allie une réflexion sur la nécessité de revitaliser la démocratie locale par tous les moyens face à une décentralisation en cours qui donne plus de poids aux structures intercommunales jugées non transparentes. Certains élus locaux français à coloration régionaliste n’hésitent pas à revendiquer le référendum local et à militer pour l’extension des

1 Correspondance tenue avec l’un des membres de la Ligue Savoisienne, le 1er février 2007.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 154 procédures de démocratie directe. Cependant, lorsqu’on passe du discours idéologique à la réalité de terrain, on se rend compte que les élus locaux y sont beaucoup plus timorés. Parmi les 1881 maires de villes de plus de 5 000 habitants, seuls 14 ont concouru sous une bannière régionaliste. Aucun d’entre eux n’a organisé de consultation locale et seulement 2 sont investis dans la promotion des instruments de démocratie participative1. L’attitude des partis

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