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Chapitre 1 : L’insertion du référendum dans les systèmes politiques locaux politiques locaux

A) La banalisation de la pratique référendaire

2) Les référendums communaux en Suisse

Le cas suisse a pour mérite de montrer en quoi le referendum est un outil adapté à un régime mêlant des institutions de gouvernement direct et de gouvernement représentatif. Il est évident que cet outil y a été banalisé dans la culture politique, parce qu’il a été utilisé pour construire la Confédération. Il est difficile de faire une recension de tous les référendums au niveau communal et cantonal, tant ces pratiques sont développées. Même dans les cantons où la structure communale est un Parlement (les cantons de Genève, de Vaud, du Valais, de Neuchâtel et du Tessin), ces pratiques sont très présentes. Les citoyens suisses sont très attachés aux droits populaires qui comprennent le droit d’initiative et le droit de pétition. Cependant, dans la plupart des cantons alémaniques, la démocratie locale ne se limite pas au recours référendaire, puisque des assemblées communales prennent les décisions de politique publique. Les droits populaires deviennent plus étendus, puisque outre le droit de motion ou de pétition, figure le droit de convoquer une assemblée extraordinaire. Ce droit de convoquer une assemblée en dehors du calendrier politique, est lié au droit d’initiative, puisqu’il s’agit de saisir l’assemblée sur un ordre du jour bien précis. Certains cantons, comme celui de Nidwald ne connaissent qu’un seul type d’initiative, l’initiative individuelle. Les droits populaires divergeant sensiblement d’une commune à l’autre et d’un canton à l’autre, il est d’abord préférable de rappeler la répartition des communes suivant les cantons italophones, francophones et germanophones.

1 Entretien réalisé par nos soins à Fukuoka le 12 juillet 2006 avec Bruno Kaufmann en marge du colloque de l’association internationale de science politique sur le thème « La démocratie fonctionne-t-elle ? ».

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Tableau 4 : Nombre de communes suisses, population et taille moyenne

Région (cantons) Nombre de

communes (2000) globale (2000) Population des communes en nombre Taille moyenne d’habitants (2000) Suisse alémanique (19) 1675 5'117’300 3’055 Suisse romande (6) 960 1'776’100 1’850 Suisse italienne (1) 245 310’200 1’266 Total (26) 2880 7'203’600 2’500

Source : Rapport de recherche de Michael Bützer et de Sébastien Micotti, Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe de Genève, 2003.

Le recours au référendum local est inégal selon les communes. Par exemple, entre 1980 et 1990, 130 sujets ont été soumis à référendum à Berne, alors que dans le même temps à la Chaux-de-Fonds (canton de Neuchâtel), seulement 3 sujets ont été soumis. Le référendum obligatoire au niveau communal est prescrit par toutes les législations cantonales, sauf celles de Genève, Vaud, Fribourg, Schwyz et du Tessin. Là encore, il faut veiller à ne pas opposer systématiquement les cantons latins aux cantons alémaniques. Le taux de participation est en moyenne entre 35 et 45%1 et s’explique par la fréquence de ces votations. Pour réduire cette fréquence, les Suisses connaissent le système des votations « multi-pack », c’est-à-dire qu’ils se rendent aux urnes pour voter sur un paquet de mesures : les propositions communales sont le plus souvent complétées par des votations cantonales ou fédérales.

Contrairement à l’Allemagne et à la France, des référendums financiers et administratifs ont été introduits dans un nombre considérable de cantons. Même si certains cantons comme celui de Vaud ont refusé par référendum l’introduction du référendum financier en juin 1998 (50,8% de non) ainsi que l’introduction d’un mécanisme de frein à l’endettement (à 54,6%), l’objet des référendums cantonaux concerne souvent l’imposition, comme c’est le cas avec une initiative populaire présentée en juin 2001 dans le même canton sous le nom « Oui à la baisse d’impôt pour deux tiers des Vaudois –Halte aux privilèges fiscaux- Justice et solidarité entre les communes vaudoises » et qui a été rejetée à 68,5%. Cette question fiscale est très présente à l’échelon communal, puisque quatre communes de ce

1 Markus GLOE, 2005, « Direkte Demokratie – das Beispiel Schweiz », Politische Bildung, n°38, p. 50.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 80 canton (Pully, Morges, Villeneuve et Renens) ont voté sur un projet d’augmentation des impôts pour remédier à leur surendettement. Dans le canton du Tessin, les sujets financiers ont été fréquemment soumis à votation ces dernières années. Citons l’initiative populaire du 6 février 2000 demandant une redéfinition de la politique fiscale qui a été acceptée à 36,9%. Dans les cantons alémaniques, les référendums financiers sont monnaie courante. Par exemple, dans le canton de Bâle-Ville, le 2 juin 2002, les électeurs ont été appelés à voter sur quatre sujets financiers concernant la baisse des impôts, ces mesures étant accompagnées de contre-projets). Le 28 mars 2004, les citoyens du canton de Neuchâtel ont clairement refusé une initiative libérale visant une réduction d’impôts. Les sujets fréquents sont la définition des droits politiques, les modifications de la Constitution cantonale, la construction de centres de soins, la redéfinition des axes de transport1, l’extension ou la démolition d’infrastructures. Les thèmes sont très variés et ne se limitent pas à des objets de gestion purement locale.

Sur le plan communal, les votations sont encore plus nombreuses. De manière fréquente, les projets coûteux et ambitieux sont refusés par la population. Dans le canton de Neuchâtel, dans le district du Val-de-Travers, la commune Fenin-Vilars-Saules a refusé le 8 février 2004 un projet de salle polyvalente dont le coût s’élevait à 125.000 francs suisses. Plusieurs votations communales ont eu lieu en même temps dans ce district : signalons celle de Môtiers sur la hausse du coefficient fiscal et qui a été refusée et celle de Bôle sur la diminution du nombre de sièges au Conseil général2. Selon l’article 115 de la Constitution de Neuchâtel, 15% des électeurs de la commune peuvent demander l’adoption, la modification ou l’abrogation d’un règlement communal, d’une décision du Conseil général3 ou d’un projet quelconque intéressant la commune. Au Locle, près de la frontière française, un référendum portant sur la gratuité des transports a été refusé en février 2004. Les débats sont très importants autour de ces référendums et se déroulent souvent en dehors des partis politiques, bien que le référendum fiscal soit une scène d’affrontement récurrent entre le parti socialiste et les partis conservateurs. En fin de compte, les partis donnent surtout des consignes pour des votations fédérales et cantonales.

1 Manfred G. SCHMIDT, 2000, Demokratietheorien, eine Einführung, Opladen, Leske+Budrich, p. 365.

2 Dans ce canton, l’appellation « Conseil général » n’a rien à voir avec le Conseil général français, l’appellation désgine en fait le conseil municipal.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 81 La conclusion que l’on peut tirer à propos du cas suisse est que les référendums, s’ils s’enracinent dans une méfiance à l’égard des élites, ont renforcé la pratique d’une démocratie de concordance construite autour de la coopération entre groupes sociaux et groupes d’intérêt1. L’un des premiers à avoir montré l’effet d’intégration qu’a produit l’institutionnalisation du référendum est Leonhard Neidhart, dans un livre paru en 19702. Le référendum a alors l’avantage d’intégrer ces divers groupes au processus politique de décision. Les élites politiques sont contraintes de faire des concessions et de travailler plus à fond le mode de compromis : parfois, elles sont amenées, pour éviter le lancement de référendums, à négocier avec les différents groupes impliqués dans la question afin d’améliorer la qualité du consensus. Cependant, Yannis Papadopoulos a montré les limites de cette thèse institutionnaliste en insistant notamment sur l’accroissement du nombre d’initiatives populaires au niveau fédéral et en soulignant les limites de l’adaptation du système. Les initiatives populaires rentrent alors dans un système de surenchère entre les partis politiques puisque selon l’auteur, entre 1987 et 1999, les deux tiers des votations avec un clivage droite-gauche dans les recommandations des partis étaient à l’origine des initiatives (23 sur un total de 37), ce qui représente moins d’un tiers du nombre total de référendums (37 sur 111) alors que quasiment aucun référendum obligatoire n’a été marqué par ce clivage (2 sur 34)1. Ces remarques sont valables pour les votations fédérales, il nous manque des éléments statistiques précis sur les votations communales pour savoir si les initiatives populaires ont un appui des partis politiques locaux et quels sont les effets qu’elles ont sur le système politique local. Nous avons néanmoins pu mesurer, à partir d’une série d’entretiens effectués sur la commune de Meyrin, la manière dont plusieurs initiatives populaires portant sur le même objet avaient pu créer un effet de perturbation du système politique local. La localisation du bassin de rétention des eaux usées, obligatoire d’après la loi fédérale, a fait l’objet de plusieurs initiatives et référendums et a constitué une ligne dure de conflit entre les partis bourgeois (PDC et Libéraux) et les partis de gauche (Verts et Socialistes).

1 Helge BATT, 6. mars 2006, « Direktdemokratie im internationalen Vergleich », Aus Politik und

Zeitgeschichte, 10/2006, p. 16.

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